Bab El-Oued, le baromètre du marché affiche des températures un peu élevées. Dans les cafés, devant les boulangeries, devant les épiceries, dans les rues, le mercure se dilate et personne ne cache son mécontentement quant au manque flagrant des produits de première nécessité à l'instar du lait et du pain. Devenues sujet de tous les matins qui ont suivi la révolte des jeunes, les "perturbations de l'approvisionnement", selon les uns ou, "la pénurie", selon d'autres, provoquent de longues files devant les boulangeries et les épiceries mettant à bout la patience des habitants de ce quartier populaire, à l'image de ceux de tout le pays. Ammi Saïd, quinquagénaire, oublia tout simplement de saluer. Il posa deux sachets de lait sur le comptoir d'un café et dit avec un ton clair, qui ne pouvait être habituellement le sien : "A six heures du matin, il ne restait aucun sachet dans tout Bab El-Oued. La pénurie de pain persiste aussi !". Il était neuf heures du matin, un homme édenté, portant une veste classique, un pantalon jeans et de vieilles chaussures, s'éclata, il était à bout de nerfs : "On ne veut que nous faire rendormir ! Le lait et le pain, les seuls aliments qui font grandir nos enfants nous seront interdits !". Le cafetier retourna vers ses clients et rétorqua, en gardant sa main sur le bras de la presse à café qu'il poussa avec rage : "Oui j'y étais ce matin pour le lait, et les marchands imposent leur dictat. On fait deux chaînes maintenant ! Vous avez vu ?". "Oui, les femmes par-là, les hommes par-là ! Ce n'est pas normal. On veut nous faire machine arrière de mille ans !", répond Ammi Saïd qui garda ses précieux sachets entre les bras comme par peur d'en être déposséder, et rajouta : "Les uns parlent de perturbations d'approvisionnement et les autres parlent de pénurie. On ne sait plus qui croire ?". Un tour dans le grand Bab El-Oued nous dira qu'une peur s'était saisie des livreurs qui ne se risquent pas trop dans ces quartiers centenaires. En effet, en dépit des assurances faites par le ministère du Commerce, nombre de localités ont du mal à se voir livrer les quantités nécessaires de denrées alimentaires. A propos du pain, Hadj Tahar Boulenouar, porte-parole de l'UGCAA que nous avons pris le soin de contacter, a fait état de "dysfonctionnement de distribution de la farine sur l'ensemble des boulangeries du pays, notamment celles de l'ouest et du sud, mais aussi d'un manque d'approvisionnement de minoteries par l'Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC)". "Beaucoup de boulangers nous ont appelés pour signaler la sous-livraison en farine ce qui pénalise en premier le consommateur", dira M. Boulenouar. Cela arrive au moment où le gouvernement annonce 10% de plus dans l'approvisionnement des minoteries en blé tendre, mais, dira notre interlocuteur, "reste insuffisant". L'autre problème soulevé par les boulangers c'est le fait que les quantités dont bénéficient les minoteries ne sont pas entièrement exploitées pour la production de la farine. "La farine est cédée à 2000 dinars le quintal aux minoteries, et l'ivraie, utilisée comme aliment de bétail, à plus de 2400 DA pour le même poids, ce qui fait que ces dernières se penchent plus à la production de l'ivraie", argue M. Boulenouar. Quant au lait, il dira que la pénurie est due à un manque de production, une carence d'organisation et un déficit d'approvisionnement. Il cite à titre d'exemple le fait que les meilleures unités de transformation ne tournent qu'à 60%. M. Boulenouar notera, en outre, le manque d'harmonie entre les différents producteurs et distributeurs, ainsi "des régions se voient sur approvisionnées et d'autres souffrent terriblement du manque de prise en charge". Sur la qualité du lait livré qui devrait contenir de 25% à 30% du volume de poudre, il dira que certains transformateurs, "se contentent de 15%, voire moins". Hamid Fekhart