Les Egyptiens continuaient d'affluer par dizaines de milliers mardi à la mi-journée dans le centre du Caire, où une coalition de mouvements d'opposition a appelé à une marche d'un million de manifestants afin d'obtenir le départ du président Hosni Moubarak. De nombreux manifestants ont passé la nuit sur place. Ils étaient rejoints mardi matin par d'autres protestataires franchissant des points de contrôle gardés par l'armée. Les militaires ont mis en garde lundi contre tout acte de nature à "déstabiliser la sécurité du pays" dans un message diffusé à la télévision qui apparaît comme une réponse à l'appel de l'opposition. Elle a toutefois assuré qu'elle n'"utiliserait pas la force" contre le peuple et que "la liberté d'expression pacifique est garantie pour tout le monde". Selon des responsables des services de sécurité, les autorités s'efforçaient mardi d'empêcher les manifestants de converger vers le Caire en suspendant tous les transports publics. Les trains ne circulaient pas pour la deuxième journée consécutive, et les dessertes par autocar ont été interrompues. Mais cela n'empêchait pas les manifestants d'affluer sur la grande place Tahrir, dans le centre de la capitale, survolée par des hélicoptères de l'armée et dont les accès étaient contrôlés par des blindés. "Le peuple veut faire tomber le régime", "Dehors! Dehors! Dehors!", scandait la foule. "On ne bougera pas jusqu'à ce que Moubarak parte", promettait Mohammed Abdullah, un ingénieur de 27 ans. "Pour lui, c'est la fin. Il est temps", renchérissait Moussab Galal, un étudiant de 23 ans venu avec des amis en minibus de Menoufia, dans le nord de l'Egypte. "Il y a 120 élèves dans ma classe. Aucun professeur ne peut gérer ça", expliquait Samar Ahmad, une enseignante de 41 ans, précisant que son salaire mensuel ne dépassait pas l'équivalent de 50 euros. "Pour moi, le changement serait un meilleur système éducatif, qui garantisse à mes élèves une bonne vie après l'école". Moubarak, pars en Arabie ou à Bahreïn!" et "On ne veut pas de toi, on ne veut pas de toi!", scandait la foule, qui s'est massée petit à petit à partir de l'aube, et dont les organisateurs espèrent qu'elle atteindra d'ici la fin de la journée le million de personnes. Ces scènes de la place Tahrir (Libération) contrastaient fortement avec les événements de vendredi dernier, jour où, au même endroit, les policiers avaient fait usage de gaz lacrymogènes, de leurs matraques et de canons à eau pour disperser la foule. Mardi, les soldats ont déployé des barbelés aux abords de l'immense place, devenue au fil des jours le point de ralliement de la contestation, mais ils n'ont pas tenté quoi que ce soit face aux manifestants. "Nous avons fait le plus difficile: nous avons pris le contrôle de la rue", déclarait un manifestant de 38 ans. Le bruit a couru que les manifestants, dont certains scandaient "révolution, révolution jusqu'à la victoire!", comptaient marcher en direction du palais présidentiel, mais à la mi-journée la foule n'avait pas bougé de la place Tahrir. Moubarak ne s'est pas adressé à la nation depuis vendredi, jour où il avait annoncé un changement de gouvernement. Lundi, c'est le tout nouveau vice-président, Omar Souleimane, qui a lancé un appel au dialogue avec toutes les forces politiques du pays. "La révolution n'acceptera pas Omar Souleimane, même pour une période de transition. Nous voulons un nouveau dirigeant, qui soit un démocrate", déclarait Mohamed Saber, militant des Frères musulmans. "Nous sommes très patients, nous pouvons rester ici longtemps (...)", déclarait de son côté un fonctionnaire de 42 ans, Mahmoud Ali, parmi la foule des manifestants. L'opposant Mohamed ElBaradeï, rentré d'Autriche la semaine dernière, a demandé mardi à Hosni Moubarak de renoncer au pouvoir et de quitter l'Egypte, afin d'éviter un bain de sang. Pour l'ex-directeur général de l'Agence internationale de l'énergie atomique, le départ de Moubarak du pouvoir est une condition préalable à l'ouverture d'un dialogue avec le gouvernement égyptien. Une coalition d'opposants à Moubarak allait dans le même sens, prévenant le gouvernement égyptien qu'elle n'engagerait pas de dialogue sur une transition politique tant que le président n'aurait pas quitté le pouvoir. "Notre première exigence est le départ de Moubarak. Seulement après cela un dialogue pourra débuter avec la hiérarchie militaire sur les détails d'un transfert pacifique du pouvoir", a déclaré Mohamed al Beltagi, ancien député des Frères musulmans. Selon ce dernier, l'opposition est regroupée au sein d'une coalition baptisée le Comité national de suivi des revendications du peuple. Cette coalition inclut les Frères musulmans, l'Association nationale pour le changement de Mohamed ElBaradeï, divers partis politiques et des personnalités représentant notamment les coptes. L'armée, qui détient les clés du pouvoir en Egypte, a jugé lundi "légitimes" les revendications des manifestants et elle s'est engagée à ne pas tirer sur la foule. Le Haut commissariat des Nations unies pour les droits de l'homme a dit mardi disposer d'informations faisant état de 300 morts dans les manifestations hostiles à Hosni Moubarak en Egypte. Navi Pillay, Haut commissaire de l'Onu, a exhorté les autorités égyptiennes à faire en sorte que l'armée et la police ne fassent pas un usage excessif de la force face aux manifestants.