Les manifestants répondaient aux appels d'organisations pro-démocratie issues de la société civile, soutenues par des personnalités politiques d'opposition. Au Caire comme à Alexandrie et à Suez, les Egyptiens ont répondu hier à l'appel de «la Marche du million», initiée par le mouvement de protestation réclamant le départ du président Hosni Moubarak. L'annonce, lundi, d'un nouveau gouvernement et la proposition d'un vice-président, Omar Souleimane, d'un dialogue avec l'opposition, n'ont pas entamé la détermination des manifestants et de l'opposition. Bien au contraire, cette marche intervient, selon les organisateurs, en réaction à la nomination par le Raïs d'un nouveau gouvernement dominé par les anciens ministres, à l'exception des portefeuilles de l'Intérieur et des Finances. Très tôt dans la matinée, les manifestants ont commencé à se rendre sur les lieux de la contestation dans les différentes villes du pays. Au Caire, l'armée a fermé tous les accès à la capitale. La même stratégie a été mise en place dans d'autres villes. Cette escalade du mouvement de contestation met l'Armée égyptienne dans une position embarrassante. L'institution militaire égyptienne avait rendu public lundi, un communiqué dans lequel elle juge «légitimes» les revendications du peuple et s'engage à «ne pas faire usage de la force contre les manifestants». Le communiqué de l'institution militaire véhicule des messages politiques précis, adressés aussi bien aux manifestants qu'au régime, selon les observateurs. Malgré ce «soutien», l'armée a procédé à une fouille générale des manifestants désirant rejoindre les lieux des rassemblements, notamment ceux qui s'acheminent vers la place de Libération au Caire. Le contrôle dans la capitale a été renforcé par les hélicoptères qui survolaient régulièrement le centre du Caire. Ce renfort de sécurité n'a ni désarmé ni démobilisé les manifestants à atteindre la grande place Tahrir (place de la Libération). Cet épicentre du mouvement a été pris d'assaut par une marée humaine. Hommes, femmes et enfants ont manifesté pour exiger le départ de Moubarak qui semble s'accrocher désespérément au pouvoir en proposant un dialogue avec l'opposition et des réformes aussitôt rejetées, estimant que leur président est responsable de tous les maux: pauvreté, chômage, violation des libertés, corruption et verrouillage politique qui minent le pays. Selon les images diffusées par les chaînes satellitaires, un bon nombre de protestataires ont passé la nuit de lundi à mardi sur cette place, malgré le couvre-feu instauré par l'armée égyptienne, au début de l'agitation sociale. Même si aucun chiffre officiel n'a été rendu public, on parle d'environ deux millions de manifestants qui se sont rassemblés dans cet endroit pour un même objectif: exiger le départ de Hosni Moubarak. L'atmosphère y était très festive, les manifestants dansant et chantant en conspuant le président égyptien. Un graffiti sur le pont menant à la place disait: «Va-t-en, imbécile», à l'adresse de M.Moubarak. A défaut des moyens de communication tels Internet et les SMS, les manifestants ont recouru, dans leur appel à cette manifestation imposante, aux haut-parleurs et aux communiqués. A Alexandrie, deuxième ville du pays, plusieurs dizaines de milliers de personnes étaient rassemblées en début d'après-midi devant la mosquée Qaëd Ibrahim et la gare ferroviaire, ont rapporté les agences de presse. A Suez (est), des milliers de personnes étaient rassemblées à la mi-journée dans le centre-ville. Les manifestants répondaient aux appels d'organisations pro-démocratie issues de la société civile, soutenues par des personnalités politiques d'opposition. Ces manifestations ont plongé la ville dans le chaos. Les commerces ont baissé rideau, le trafic ferroviaire interrompu. banques et Bourse étaient fermées. Le carburant manquait. A cela s'ajoute l'appel à la grève générale qui est toujours en vigueur. Outre les dégâts matériels, ces manifestations ont coûté la vie à des centaines de protestataires. Cette révolte populaire, du jamais-vu depuis l'arrivée au pouvoir de M.Moubarak en 1981, a fait au moins 300 morts et des milliers de blessés, selon un bilan, non confirmé, évoqué par l'ONU. La montée de la tension dans la rue et la pression étrangère, sont deux éléments sur lesquels certaines capitales européennes et analystes estiment que l'Egypte s'achemine vers la fin d'un règne. Ces derniers avancent que les jours de Moubarak au pouvoir sont comptés. Ils n'écartent pas l'éventualité de le voir lever le drapeau blanc dans quelques jours après plus d'une semaine de résistance. La chute du Pharaon est-elle imminente? C'est, en tout cas, le souhait des manifestants et un scénario qui fait peur aux amis du Raïs.