Le conflit libyen en voie de s'achever, l'économie et les affaires reprennent leurs droits. Les pays alliés de l'OTAN en guerre se positionnent déjà avec, en ligne de mire, le pétrole libyen qui représentait avant les événements 95% des exportations du pays. Comme quoi on ne fait pas la guerre pour apporter la démocratie ou libérer les peuples du joug des dictateurs comme les alliés le revendiquent officiellement; mais il s'agit pour eux de tirer profit sur des milliers de morts et rentabiliser les dépenses militaires, engagées dans le conflit libyen interne à l'origine. Pas de comparaison entre la guerre en Libye et les soulèvements populaires en Tunisie, en ?gypte et même en Syrie. Avec la chute du régime de Tripoli, les guerriers se frottent les mains et aiguisent leurs dents, selon de nombreux experts et analystes internationaux. Avant même la fin de la guerre de libération, la bataille économique est engagée sur le sol libyen. Principale convoitise, le pétrole et ses réserves de brut sous-exploitées estimées à 46,4 milliards de barils en 2011, les plus importantes du continent africain. Le dix-septième producteur mondial (1,55 million de barils par jour avant le conflit, soit 2% de la production mondiale. Seulement 50 000 barils aujourd'hui) et le douzième exportateur mondial de pétrole va bientôt revenir sur le marché. La reprise des exportations va reprendre très rapidement, d'ici à quelques semaines. Pour la production dans les cinq raffineries, ce sera un peu plus long à cause des dommages subis sur les installations et du temps nécessaire pour tout organiser. Ce sera toutefois une priorité pour un pays dont, avant le conflit, 95% des revenus d'exportation provenaient du pétrole comme l'indique l'Agence internationale de l'énergie (AIE). L'Arabian Gulf Oil Company (Agoco), basée à Benghazi à l'est, et donc contrôlée depuis plusieurs mois par l'opposition, devrait être la première à reprendre la production, d'ici à trois semaines selon l'un de ses responsables. Elle produisait 440 000 barils jour notamment depuis les champs de Sarir et de Mesla. La production totale pourrait, selon des analystes et responsables de l'industrie pétrolière interrogés par Reuters, revenir à la moitié de son niveau habituel dès 2012 et retourner à la normale en 2013. L'industrie pétrolière est entre les mains de laNational Oil Corporation (NOC), une entreprise publique créée en novembre 1970 en lieu et place de la Libyan Petroleum Corporation. La NOC contrôle 50% de la production totale. L'Agoco, créée en 1979 par la NOC et présente sur huit champs pétroliers plus un terminal pétrolier et deux raffineries à Tobrouk et Sarir, pourrait bien ravir cette prééminence et devenir la nouvelle grande entreprise pétrolière de l'après Kadhafi. Aucune compagnie étrangère ne peut aujourd'hui venir fouiller le sol libyen, produire ou raffiner, sans créer une filiale dans laquelle la NOC via une de ses filiales comme Agoco prend une participation majoritaire. La Libye est membre de l'Opep (Organisation des pays exportateurs de pétrole) depuis 1962 et elle en a assuré, via son représentant Abdalla Salem El-Badri, son secrétariat général du 1er janvier 2007 jusqu'au 31 décembre 2010. Selon l'AIE, la Libye dispose de six principaux terminaux pétroliers d'exportation : Es Sider (447 000 barils jour), Zoueitina (214 000), Zaouiah (199 000), Ras Lanouf (195 000), Marsa El Brega (51 000) et Tobrouk (51 000). Elle réalise également 333 000 barils jour depuis d'autres terminaux non spécifiés. En 2010, les principaux clients pour le pétrole brut libyen étaient l'Italie (28%), la France (15%), la Chine (11%), l'Allemagne (10%) et l'Espagne (10%). Prendre position pour l'après Kadhafi Le combat terminé, les alliés s'empressent de bien entourer le Conseil national de transition libyen (CNT). France (les premiers à l'avoir reconnu), Royaume-Uni, Etats-Unis continuent d'occuper le terrain pour tirer tous les dividendes économiques de leurs efforts militaires. La rencontre à Paris mercredi 24 août 2011 entre Nicolas Sarkozy, président de la république française, et Mahmoud Jibril, président du conseil exécutif du Conseil national de transition libyen, relève de cette stratégie. Tout comme l'idée de réunir très vite une "conférence internationale de soutien à la Libye" officiellement pour soutenir la transition démocratique dans le pays. Elle rassemblerait, dans la capitale française, le groupe de contact sur la Libye, soit une trentaine de pays, l'Onu, l'Union européenne et la Ligue arabe. Les couloirs devraient être animés de discussions très économiques ! Car les nouveaux contrats vont bientôt pleuvoir dans le domaine de l'énergie. Et les nouveaux vainqueurs devront s'imposer face aux détenteurs actuels. Le CNT qui ne tarit plus d'éloges sur la France de Sarkozy a déjà parlé de lui confier 35% des nouveaux contrats pétroliers. L'Emir du Qatar, qui a apporté un appui militaire, n'a pas été oublié non plus, lui qui a obtenu dès mars 2011 un accord de commercialisation pour la distribution du pétrole produit dans les zones contrôlées par l'opposition à Mouammar Kadhafi. Le Qatar, avec sa compagnie nationale Qatar Petroleum, devient un nouvel acteur depuis que ce pays a apporté son aide dans le domaine pétrolier au plus fort du conflit. Tout comme la société de négoce néerlandaise Vitol qui avait su répondre présente dans l'est du pays pour assurer la première exportation controversée de pétrole en pleine guerre civile pour garnir les caisses du CNT en avril 2011. En tout deux tankers avaient pu partir, un à destination des Etats-Unis et l'autre de l'Italie. Les Américains, qui n'achètent que 3% du pétrole libyen, devraient aussi rappeler que c'est grâce à leurs capitaux que le 30 avril 1956 la Libyan American Oil découvrait, après un forage au sud-ouest du pays, le premier gisement de pétrole du pays. Tout en précisant que les contrats signés par Mouammar Kadhafi seraient respectés pendant la période de transition, le CNT a également affirmé que les pays qui ne l'avait pas soutenu risquaient de perdre des contrats. Il visait la Chine, la Russie et le Brésil. Une nouvelle donne est donc attendue dès que les combats s'achèveront et que tombera notamment le bassin de Syrte (80% des réserves pétroliers) encore entre les mains des pro-Kadhafi. L'Italie veut maintenir ses liens historiques et économiques Les Italiens l'ont bien compris. Pour des raisons historiques et son statut d'ancien colonisateur, l'Italie exploite le sous-sol libyen avec la production de 108 000 barils jour. Dès le début de la guerre civile, les entreprises italiennes comme les autres occidentales ont cependant dû plier bagages et rapatrier leurs personnels. Elles commencent déjà à revenir. Eni, le géant italien, premier groupe pétrolier étranger sur place et installé depuis soixante ans, produisait 270 000 barils de pétrole par jour avec 2 000 salariés sur place. Sa filiale Saipem assure des services aux sociétés pétrolières. Dès lundi 22 août 2011, et l'annonce de l'arrivée des rebelles à Tripoli, Eni envoyait ses experts à l'est du pays constater les dégâts sur ses installations et préparer leur redémarrage. Avantage certain, Eni dispose de contrats de production pétrolière courant jusqu'en 2042. On voit mal le nouveau pouvoir les dénoncer. Paolo Scaroni, directeur général du groupe ENI, a affirmé mercredi 24 août 2011 dans le quotidien Il Corriere della Sera, qu'il avait maintenu des contacts quasi quotidiens avec le CNT depuis avril. Et de préciser haut et fort que "nous avons été la première entreprise internationale à rencontrer le CNT. " De plus, l'Italie est reliée à la Libye par le pipeline sous-marin Greenstream (520 km) pour son alimentation en gaz. Aux côtés d'Eni, Total (60 000 barils jour selon IHS Herold ), Wintershall (98 600), Marathon (45 800), Conoco (45 000), Repsol (36 000), Suncor (35 000), OMV (33 000), Hess (22 000), Occidental (6 000) et Statoil (4 500) sont les principales compagnies étrangères présentes en Libye. D'autres étaient en pleine phase de préparation de forages à l'image de BP qui avait signé un accord d'exploration avec la NOC en 2007. Une centrale nucléaire en discussion Mais il n'y a pas que le pétrole ! Outre le gaz naturel, avec des réserves de 1 548 milliards de mètres cube peu exploitées, d'autres marchés intéressent les puissances occidentales. Du côté de la France, la démonstration de ses armes et autres aéronefs a été effectué pendant des semaines au-dessus de la Libye. Une belle vitrine technologique qui ne demande qu'à se concrétiser en achats. D'autre part, Mouammar Kadhafi, autrefois reçu en grandes pompes à Paris jusqu'à planter sa tente dans le parc de l'hôtel Marigny, envisageait d'acquérir une centrale nucléaire en 2007. Officiellement pour dés désaliniser saliniser l'eau de mer et produire de l'eau potable. Mais elle aurait pu trouver sa place dans le schéma électrique du pays. Le 21 octobre 2010, Christian Estrosi, alors ministre de l'industrie, était à Tripoli pour faire avancer le dossier à la faveur de la livraison d'un Airbus à Air Libya. Un document a même été signé entre les deux pays sur un partenariat stratégique qui englobe les domaines de l'économie et de l'énergie et qui évoque la fameuse centrale nucléaire. Areva a d'ailleurs déjà obtenu trois contrats pour le renforcement du réseau électrique libyen en 2007 avec le local Gecol (300 M€ pour douze sous-stations haute tension isolées au gaz clefs en main et la fourniture de soixante neuf transformateurs de puissance). Nul doute que les Areva et consorts vont aller frapper à la porte des nouveaux dirigeants pour leur rappeler la compétence en la matière des entreprises de l'hexagone.