Les puissances occidentales vont-elles finir par s'apercevoir qu'elles ont commis l'erreur majeure d'avoir opté pour la stratégie de guerre en Afghanistan, en Irak puis en Libye ? La plupart des pays européens ont décidé, hier, à l'instar des Etats-Unis, de ramener au bercail leurs contingents miliaires déployés en Afghanistan pour faire la guerre à un ennemi qui en est sorti plus renforcé et plus motivé encore que jamais. Les expériences désastreuses afghane et irakienne feront-elles réfléchir la France et le Royaume-Uni, les deux pays qui pilotent les opérations de bombardement en Libye, pour admettre que la solution militaire appliquée à l'armée libyenne sera sans effet sur la nature du conflit politique dans ce pays maghrébin. Même si «Kadhafi a le dos au mur», selon l'expression des «alliés». La coalition militaire internationale a tablé sur «quelques semaines» de bombardements pour assurer la sécurité des populations libyennes soumises opposées à Kadhafi. Les délais fixés sont déjà largement dépassés puisque cette sale guerre dure depuis des mois. Au regard des dégâts matériels et humains d'un côté comme de l'autre, l'impression qui se dégage est celle d'un conflit armé meurtrier qui ne fera toujours que commencer. Al Qaïda se fait inviter Exactement comme en Irak et en Afghanistan, sur le champ de bataille, un troisième adversaire s'est fait inviter. Al Qaïda. Dans quelques années, les coalisés devront vraisemblablement chercher à négocier avec cette organisation terroriste qui consolide ses bases à l'ombre de cette guerre injuste. La guerre de Libye se poursuivra sous d'autres formes plus meurtrières encore, une fois terminée la mission de la coalition internationale et les soldats occidentaux rentrés chez eux. Cette formule de guerre de guerre porte un nom, la «vietnamisation», qui consiste selon la doctrine Nixon à laisser les Afghans, les Irakiens et les Libyens se massacrer entre eux. Après des mois, Kadhafi est toujours à Tripoli et menace de ne jamais quitter ni le pouvoir ni son pays. Derrière lui, les «alliés» auraient tort de l'ignorer, une bonne partie de la population qui n'est pas nécessairement composée des seuls membres de sa tribu des kadhafas disposés à mourir pour le «Guide la Révolution». Le CNT : quelle légitimité ? Quatre mois plus tard, les insurgés ne sont pas plus forts, le Conseil National de Transition (CNT) pas plus légitime et l'Otan plus sûre ou plus convaincue des objectifs qu'elle s'est fixés. Plus d'un pays du nord de l'Europe programme déjà son retrait du champ de bataille. L'Espagne se limite à de confortables opérations logistiques et non de guerre. Le doute des «alliés» s'est installé durablement avec la répétition des «erreurs» de frappes aériennes. Il s'est accentué depuis que l'opinion internationale a commencé à s'interroger sur les objectifs poursuivis à travers cette guerre qui a fait plus de victimes civiles, de dommages collatéraux que de pertes chez l'ennemi. Il est à présent question au sein de l'Otan de la recherche d'une solution politique au problème libyen, maintenant que le fossé est plus profond entre les Libyens et la haine tribale plus forte encore que par le passé. La Ligue arabe qui a servi d'alibi pour l'engagement militaire occidental est à nouveau sollicitée pour la recherche de la voie du dialogue qu'elle avait refusé d'explorer malgré les avertissements de l'Algérie et de l'Union africaine contre l'option de guerre au Maghreb. Le recours de l'Otan à la voie du dialogue avec le régime de Kadhafi s'explique par cette série de facteurs essentiels. L'opinion publique arabe veut certes le changement démocratique, mais que l'on ne s'y trompe pas. Les peuples arabes sont hostiles à toute intervention étrangère contre un pays arabe, surtout s'agissant, à plus forte raison, de l'œuvre de puissances miliaires qui en 1947 avaient imposé la création de l'Etat d'Israël, l'ont armé contre le monde arabe, sans rien faire aujourd'hui encore, 64 ans après, pour la création de l'Etat palestinien. La guerre des Européens Sur le terrain, la situation est encore plus compliquée pour les forces de l'Otan. Les troupes de Kadhafi ont démontré qu'elles ont encore une marge de manœuvre suffisante pour reporter la chute du régime. Ce n'est pas le cas des «alliés» qui ont jeté leurs forces dans la bataille et dont les réserves en munitions s'épuisent à mesure que s'enlise le conflit. Selon les experts, les stocks des pays alliés peuvent encore suffire jusqu'à la fin de l'année, après quoi il faudrait trouver une solution en période de campagne électorale sur fond de grave crise économique. Il faut admettre que Barack Obama a vu juste lorsqu'il y a deux mois, il avait pris la décision de passer la main au commandement opérationnel de l'Alliance atlantique. La guerre de Libye ne sera pas cette fois la guerre des Etats-Unis mais des Européens. Le chef de la Maison Blanche peut accélérer le retrait de ses troupes d'Afghanistan et songer à second mandat.