Pas d'hommage au précurseur du rai love, cheb Hasni qui trépassait tragiquement il ya dix-sept ans, presque jour pour jour, dans sa ville natale d'Elbahia, à l'âge de 25 ans. L'APICO (Association pour la promotion et l'insertion de la chanson oranaise) avait annoncé de bonne heure une grandiose commémoration qu'elle devait organiser avec un tas d'activités culturelles dont la projection d'un film documentaire sur la vie de la star, mais l'épouse de l'artiste s'y est catégoriquement opposée. Tout le monde sait que l'image de Hasni, rapporte, encore, Madame Chekroun qui est actuellement sur un projet autobiographique se rapportant à la vie de son époux disparu, veille. Annulé donc cet hommage qui devait se dérouler sur une semaine (du 25 au 30 octobre) sous le slogan candide, "L'Algérie ne t'oublie pas ". Malika, l'épouse du défunt, a longtemps contesté la gestion des droits de Hasni par les institutions publiques, pirates et exploitants. Il y a quelque temps, elle annonçait la sortie prochaine d'un ouvrage sur la vie et la carrière de son époux. "Lorsque la malveillance tue l'amour", serait le titre fustigateur de cet ouvrage inédit et riche en informations. L'auteur y mettra d'ailleurs les passions de son époux qui affectionnait très fort le football, ses rapports avec sa famille, notamment son grand frère qui l'a particulièrement aidé, ses proches, son quartier populaire de Gambetta où il a vécu….bref tout ce qui a entouré sa jeunesse, puis son ascension fulgurante mais brève dans le monde lyrique, qui à l'époque était une réelle soupape de sécurité pour un pays versé dans le conservatisme séculaire des musiques monocordes. Evénement éditorial, événement artistique est ce prochain livre, parce que d'abord c'est une première, ensuite il est toujours intéressant de connaître de plus près une star du raï qui représente une époque charnière de l'histoire de l'Algérie qui a basculé, quelques temps après son indépendance dans le terrorisme aveugle. Beaucoup ont d'ailleurs rêvé de faire un film, un documentaire, ou carrément un livre sur la vie de Hasni, ils s'y sont essayé, mais aucun réalisateur n'a réussi encore à bien parler du prodigieux Hasni. De son vrai nom Hasni Chakroun, le Rossignol du Raï est né à Oran le 1er février 1968. Avec ses parents, il habitait le quartier "Gambetta" d'Oran, mais sa famille est originaire de la wilaya de Mascara. De parents modestes, il était le fils d'un soudeur père de sept enfants. La future star du raï a quasiment toujours chanté, si l'on en croit ses déclarations au journal Libération, en 1992, reprises dans l'ouvrage "L'aventure du raï - Musique et société", co-écrit par Bouziane Daoudi et Hadj Miliani (Ed. du Seuil) : "Môme, on me connaissait dans le quartier parce que j'avais le gosier toujours déployé, le cartable jeté au loin". Le rossignol s'est d'abord exercé au chant au sein d'une chorale communale. Peu intéressé par l'école (qu'il désertait souvent au grand dam de ses parents qui voulaient en faire un médecin ou un avocat). Au départ, cheb Hasni rêvait d'être footballeur. Son court passage dans une équipe de deuxième division ne l'incite pas à aller plus loin et c'est alors qu'il se tourne vers une autre passion, la musique. Un môme au gosier d'or Au cours d'une soirée animée par l'orchestre de cheb Kada, où il a chanté El mersem (le refuge, la même chanson qui a révélé cheb Mami, qu'il se fait remarquer par un producteur) et après plusieurs tours de piste (à partir de 1984) dans les fêtes de mariage, parcours inévitable pour tous les candidats à la vocalise, Hasni est pris en charge par Hafsi Sid-Ahmed des éditions Saâda, et grave enfin sa première k7. Son mentor lui offre comme partenaire, un vrai cadeau, avait-il coutume de dire, zahouania. En 1992, en réponse a de tenaces rumeurs qui avaient annoncé sa disparition, Hasni enregistre Gualou Hasni met (ils disent que Hasni est mort) un titre hélas prémonitoire :vous m'avez tué alors que je suis vivant /vous m'avez même accompagné jusqu'à la tombe/ce n'est que paroles, rumeurs malveillantes/les gens vont et viennent devant chez moi/s'exclamant :c'est vrai que Hasni est mort?/quelle foule d'admirateurs et surtout quelles nanas/et mes ennemis ne dissimulant pas leur joie/allant jusqu'à fêter ma mort. Deux ans plus tard, un 29 septembre 1994, l'auteur de ces propos poignants était abattu devant le domicile de ses parents. Hasni fut très prolifique (plus d'une centaine de cassettes à son actif), et s'imposa comme la plus grande star du raï, adulé par la jeunesse friande de ses ballades dédiées à tous les malheureux et les malheureuses. Le raï du fils de soudeur est révélateur d'un néo-romantisme sans doute moins choquant que celui de ses aînés mais tout aussi percutant. Empruntant au raï, répliquant quelques plans de la variété occidentale (Julio Iglesias, pierre Bachelet?) ou orientale (Farid El Atrache, ?), truffant ses chansons d'expressions françaises et usant d'une raï-attitude transgressive, cheb Hasni avait su conquérir (et devancer les aspirations et les désirs souvent inavoués) d'un public avide d'évasion et d'affection. En dépit de son statut, qui lui avait valu d'être approché par des islamistes qui lui avaient proposé un poste de muezzin, malgré les menaces dont il fit l'objet par la suite, Hasni avait toujours refusé l'exil doré. Très sollicité par les organisateurs de concerts (il a arpenté bien des scènes mondiales), il retournait régulièrement à Oran par un détour par Perpignan où vit son fils Abdallah. On aurait tort de ranger ses chansons dans la rubrique bleuette. Anodin en surface, son raï love traduisant dans le fond un réel malaise, celui des jeunes de son pays.