Le président italien Giorgio Napolitano a entamé, hier matin, des discussions formelles en vue de la nomination d'un nouveau gouvernement en remplacement de l'équipe sortante de Silvio Berlusconi, qui a démissionné, la veille au soir, sous les huées du peuple romain. Selon toute vraisemblance, Napolitano proposera à l'ancien commissaire européen Mario Monti de devenir le président du Conseil et de former un cabinet, de préférence avant l'ouverture des marchés financiers lundi. Des consultations avec les responsables des groupes parlementaires se sont ouverts dans la matinée, quelques heures seulement après la fin du rassemblement spontané dans les rues de Rome pour fêter le départ de Berlusconi. On s'attend à ce qu'elles durent jusqu'en fin d'après-midi. La nomination de Mario Monti pourrait être officialisée aux alentours de 18h00 selon le scénario qui circule à Rome. La démission du "Cavaliere", qui a gouverné l'Italie pendant dix des dix-sept dernières années, a suivi l'adoption définitive, avant-hier, d'une loi d'austérité censée remettre les finances publiques italiennes en ordre. Comme prévu, Berlusconi a alors présidé son ultime Conseil des ministres avant de se rendre dans la soirée au palais du Quirinal pour présenter sa démission au président Napolitano. La voiture du président du Conseil a dû se frayer un chemin parmi une foule compacte de centaines de Romains qui l'ont copieusement sifflé et ont scandé "Bouffon, bouffon" à son arrivée au Quirinal. Un an et demi pour redresser l'Italie L'incertitude des dernières semaines a fortement pénalisé l'Italie sur les marchés obligataires, et Rome espère désormais que l'arrivée de Mario Monti permettra de rassurer la planète financière. Ce dernier, nommé la semaine dernière sénateur à vie, a rencontré, avant-hier, le président de la Banque centrale européenne Mario Draghi ainsi que des responsables politiques italiens issus de divers partis. Il a également eu un déjeuner de travail avec Berlusconi. Pas encore nommé formellement, l'ancien commissaire européen à la Concurrence a d'ores et déjà reçu le soutien des principales formations d'opposition ainsi que celui du parti de Berlusconi, le Peuple de la liberté (PDL), soumis toutefois à conditions et arraché après l'opposition initiale de plusieurs factions internes. "Au final, c'est le sens des responsabilités qui l'a emporté", a commenté Mario Baccini, député PDL. Le parti soutiendra un gouvernement Monti, a-t-il précisé, tant qu'il s'en tiendra à l'application des réformes décidées par l'équipe sortante avec l'Union européenne. Les prochaines élections législatives en Italie sont prévues en 2013. Le gouvernement dispose donc d'environ un an et demi pour mener ses réformes, mais devra s'assurer du soutien d'une majorité d'élus au parlement, faute de quoi il pourrait chuter avant cette échéance. Mario Monti devra composer avec les réticences probables des partis de gauche face à la hausse annoncée de l'âge de la retraite ou l'assouplissement des conditions de licenciement, mais aussi avec l'hostilité potentielle de la droite. La Ligue du Nord, ancienne alliée de la majorité sortante, a en effet refusé d'apporter son soutien au prochain gouvernement, et de nombreux éléments du PDL restent très réservés. Les agences de presse italiennes rapportent que Silvio Berlusconi a déclaré à des membres de son parti, avant de quitter le pouvoir, qu'ils contrôleraient l'avenir du prochain gouvernement. "Nous pouvons débrancher la prise quand nous le voudrons", leur aurait-il affirmé. Vers un cabinet restreint Le président Giorgio Napolitano devrait désormais charger l'ancien commissaire européen à la Concurrence Mario Monti de former le prochain gouvernement. Celui-ci devrait former un cabinet restreint composé de techniciens, afin de tirer l'Italie hors de la crise de la dette souveraine. Monti a été nommé mercredi dernier sénateur à vie par le président de la République, un décret inattendu qui a préparé le terrain à sa désignation à la tête du gouvernement. Samedi matin, il a eu des consultations avec Mario Draghi, le nouveau président (italien) de la Banque centrale européenne. Selon certains politologues, son gouvernement pourrait être annoncé dès dimanche soir, avant l'ouverture des marchés. Les prochaines législatives n'étant pas prévues avant 2013, un gouvernement technique pourrait disposer d'un an et demi pour faire adopter des réformes économiques douloureuses, mais il aura pour cela besoin du soutien d'une majorité parlementaire et risque de ce fait de tomber d'ici là. L'accélération du cours de la vie politique italienne a été impulsée par Giorgio Napolitano et des parlementaires en réponse à la pression exercée par les marchés qui ont porté cette semaine les taux exigés sur les emprunts d'Etat italien à des niveaux frôlant les 7% pour le papier à dix ans, soit le seuil qui a vu l'Irlande et le Portugal se résoudre à demander l'aide de l'UE. Quelle majorité pour Monti? Le scénario d'une éviction programmée de Berlusconi a allégé les tensions en fin de semaine. Mais il faudra à Monti, ou à toute autre personnalité nommée à la tête du gouvernement, obtenir un soutien politique suffisant pour réformer les retraites, le marché du travail et le secteur public ainsi que le réclament les partenaires européens de Rome. Le Parti démocrate, principale formation de l'opposition de centre gauche, et des élus centristes ont promis d'apporter leur soutien au nouveau gouvernement. La Ligue du Nord, alliée fédéraliste de Berlusconi, a déclaré qu'elle ne participerait pas à un gouvernement Monti. Peuple de la liberté (PDL), le parti d'"Il Cavaliere", a accepté de soutenir un gouvernement Monti à condition que ce dernier s'en tienne à l'application des réformes décidées avec l'Union européenne, selon un député PDL, Mario Baccini. "Nous avons donné au premier ministre Berlusconi un mandat pour procéder à des consultations afin de voir que le programme est celui convenu avec l'Union européenne, pour s'assurer que le gouvernement n'est pas politique et par-dessus tout pour vérifier le calendrier du nouveau gouvernement", a expliqué Mario Baccini à des journalistes. "Les gouvernements techniques, ça n'existe pas, parce que tous les gouvernements sont politiques par le biais du vote du Parlement", rappelait jeudi l'actuel ministre des Affaires étrangères, Franco Frattini. Et les atermoiements observés en Grèce cette semaine sont là pour rappeler que le passage du projet à la réalité peut être tortueux. Des milliers de Romains célèbrent la fin de "l'ère Berlusconi" Des milliers de Romains ont fêté, avant-hier soir, la démission de Silvio Berlusconi et sabré le champagne dans les rues de la capitale italienne. Dès la fin de l'après-midi, une foule s'est rassemblée dans le centre de Rome pour célébrer le départ annoncé du président du Conseil. "Nous attendons la fin de l'ère Berlusconi, nous espérons que ce sera la fin", a expliqué une Romaine, Angela Lanza. Aux cris de "Va t'en" ou "Démission", plusieurs centaines d'opposants ont commencé à se regrouper vers 16h00 devant le palais Chigi, siège du gouvernement, et sur la via del Corso, qui mène au palais présidentiel du Quirinal et qui a été fermée à la circulation. Parmi la foule, des militants du "Peuple violet", un mouvement anti-Berlusconi né sur internet, étaient venus dire "Bye Bye Silvio". Des messages circulant sur Facebook ont appelé les Italiens à fêter dans la rue la démission du "Cavaliere" ou à suspendre des bannières tricolores aux balcons. Des huées et des cris de "Bouffon, Bouffon" ont accueilli le président du Conseil à son arrivée dans la soirée devant le Quirinal, où il allait remettre sa démission. Un orchestre s'est installé près du palais présidentiel pour jouer l'Alleluia du Messie d'Haendel. La foule est devenue si compacte que Berlusconi a été contraint de quitter le Quirinal par une porte dérobée pour rejoindre sa résidence privée Des cris de joie ont retenti quand la démission du "Cavaliere" a été officiellement confirmée par un communiqué de la présidence et des manifestants ont chanté, dansé et ouvert des bouteilles de champagne. Un petit groupe de partisans du magnat des médias s'est rassemblé devant la résidence de Berlusconi mais il a été rapidement débordé par le nombre de ses opposants. Des militants du groupe d'extrême droite Forza Nuova se sont également joints brièvement à la foule pour dénoncer la nomination annoncée de l'ancien commissaire européen à la Concurrence Mario Monti à la tête du prochain gouvernement. Ils ont été écartés par la police après quelques brèves échauffourées avec d'autres manifestants.