Les regards de la zone euro seront braqués demain sur la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe qui doit rendre une décision cruciale, dernier obstacle à la mise en oeuvre du mécanisme de sauvetage de la monnaie unique. Cette institution très respectée des Allemands examine depuis le 10 juillet six plaintes visant à bloquer la ratification du mécanisme européen de stabilité (MES) et du pacte budgétaire, émanant en particulier des députés de la gauche radicale Die Linke, d'un élu conservateur, Peter Gauweiler, et d'une association qui a récemment revendiqué près de 37 000 signatures de citoyens. M. Gauweiler, un habitué des plaintes malchanceuses à Karlsruhe, a annoncé, avant-hier, avoir déposé un nouveau recours.On ignorait si la Cour acceptait de le recevoir. Les huit sages en robe rouge rendront une décision préliminaire à 8H00 GMT et diront si le président de la République, Joachim Gauck, peut signer les textes de loi déjà adoptés par le Parlement, qui dotent la zone euro de ces nouveaux outils. Une fois cette décision rendue, la cour examinera ensuite sur le fonds les plaintes, ce qui peut prendre plusieurs mois. Le tribunal donnera son aval Hier, le ministre des Finances Wolfgang Schäuble s'est dit "sûr" que la haute juridiction "ne bloquera pas ces traités".Pour la plupart des analystes, il est acquis que le tribunal donnera son aval mais il pourrait émettre certaines exigences comme préalables à l'adoption des deux mécanismes. Les plaignants font grief au MES de violer la Loi fondamentale allemande (constitution), en forçant le pays à tirer un trait sur sa souveraineté budgétaire, de bafouer les traités européens, et d'exposer les finances de l'Allemagne, premier contributeur aux plans d'aide, à un risque illimité en cas de défaut d'un pays membre. Le MES doit à terme remplacer le Fonds européen de stabilité financière (FESF). Doté de 500 milliards d'euros, il doit pouvoir recapitaliser directement les banques et acheter des obligations sur les marchés primaire et secondaire. Le parlement a déjà ratifié Ce mécanisme, jugé indispensable par beaucoup d'économistes en cas d'appel à l'aide européenne par l'un des pays de la zone euro, devait entrer en vigueur début juillet et a vu sa mise en œuvre retardée par l'examen de ces plaintes. Le Parlement allemand a déjà ratifié ce mécanisme ainsi que le pacte budgétaire avec une majorité des deux tiers, lors d'une session extraordinaire mi-juillet. D'un point de vue constitutionnel, le pacte budgétaire, qui contraint les Etats européens à la discipline budgétaire, "ne pose pas de problème", a affirmé Matthias Ruffert, chercheur en droit à l'Université d'Iéna (est). Mais "pour le MES, la question est de savoir jusqu'à quel point il est possible de prendre les décisions qui obligent financièrement l'Allemagne sans l'aval du parlement". Depuis deux ans, le juge suprême allemand s'est déjà prononcé plusieurs fois sur le mécanisme d'aide, demandant systématiquement un renforcement de l'implication des députés. C'est ce qui inquiète les partenaires de l'Allemagne, notamment Paris qui juge la décision de Karlsruhe "cruciale". "Le risque n'est pas tant qu'elle le retoque mais qu'elle étende encore le champ du contrôle parlementaire, ce qui rendrait les choses peu opérationnelles", commentait une source proche du gouvernement français. Volatilité des marchés en cas d'avis défavorable Jörg Asmussen, membre du directoire de la Banque centrale européenne (BCE), s'est lui inquiété d'un éventuel rejet par la Cour, soulignant qu'il manquerait alors un "instrument de résolution de crise important". En cas d'avis défavorable de la Cour, le MES devrait attendre encore quelque mois avant d'être fixé sur son sort et sur sa capacité à agir en zone euro.Cela n'entraînerait "probablement pas un effondrement de l'euro, mais la volatilité sur les marchés financiers repartirait à la hausse, mettant fin à la récente période de calme qui a permis un lent retour de la confiance en zone euro", estimait Marie Diron, économiste chez Ernst & Young. Les économistes de Natixis jugeaient également "tout à fait possible que (le tribunal) en arrive à la conclusion que la constitution allemande telle qu'elle existe a atteint ses limites". Un tel scénario pourrait alors contraindre à "des mesures exceptionnelles, et notamment un référendum" sur l'euro en Allemagne, qui ouvrirait un nouveau chapitre d'incertitudes, soulignait Mattias Kumm, spécialiste des questions constitutionnelles à l'université Humboldt de Berlin.