Alors que le phénomène de transfert illégal de devises vers l'étranger devient une gangrène galopante, le gouvernement semble enfin décidé à se mettre devant le fait accompli et mettre un terme à ces pratiques illégales portant atteinte aux réserves de change du pays. C'est du moins ce qu'on puisse dire suite aux propos du ministre des Finances, Karim Djoudi dans un entretien accordé hier à l'APS. Ainsi, le ministre a fait savoir que le Président de la République, Abdelaziz Bouteflika, et le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, ont été destinataires d'un rapport portant sur les transferts illicites de capitaux, qui a été établi conjointement par le Ministre des Finances et le Gouverneur de la Banque d'Algérie. Pour plus de précisions concernant ce rapport, le ministre a affirmé que ce dernier est un rapport annuel conjoint établi en application des dispositions de l'article 10 de l'Ordonnance 96-22 du 09 juillet 1996 relative à la répression des infractions à la législation des changes et des mouvements de capitaux de et vers l'étranger modifiée et complétée. Il est établi conjointement par le Ministère des Finances et la Banque d'Algérie dans le cadre de leurs attributions respectives qui leur sont dévolues par la loi. Il retrace les infractions constatées en matière d'infractions à la législation des changes et des mouvements de capitaux de et vers l'étranger et fait un inventaire des Procès-verbaux dressés par les différents services concernés. Il rappelle les conditions de prise en charge des poursuites par les instances judiciaires et présente l'évolution des infractions constatées en nombre et en valeur. Sur un autre sillage, M. Djoudi a affirmé que la loi, en l'occurrence l'Ordonnance 96-22, définit avec précision les infractions à la législation des changes et des mouvements de capitaux de et vers l'étranger. Il s'agit de : la fausse déclaration ; l'inobservation des obligations de déclaration ; le défaut de rapatriement des capitaux ; l'inobservation des procédures prescrites ou des formalités exigées ; le défaut d'autorisations requises ou le non-respect des conditions dont elles sont assorties. l'achat, la vente, l'exportation ou l'importation de tout moyen de paiement, valeurs mobilières ou titres de créance libellés en monnaie étrangère ; l'exportation et l'importation de tout moyen de paiement, valeurs mobilières ou titres de créance libellés en monnaie nationale ; l'exportation ou l'importation de lingots d'or, de pièces de monnaies en or ou de pierres et métaux précieux. Interrogé sur d'infractions constatées et leur origine, le ministre a affirmé que les sources à l'origine de ces infractions sont multiples. Il y a bien entendu les infractions au sens de l'Ordonnance 96-22, auxquelles il convient d'ajouter d'autres infractions qui viennent allonger cette liste d'infractions énumérées par l'Ordonnance et étoffer la liste des actes pouvant générer des transferts illicites. Il apparaît donc que le champ couvert par ces actes est très vaste, ce qui nous amène à mettre en place des mécanismes adaptés et coordonnés avec les différentes institutions de l'Etat pour identifier et enrayer ces actes qui sont à l'origine de pertes pour l'économie nationale. Les procédés auxquels ont recours les auteurs de ces infractions sont nombreux et variés. Ils n'hésitent pas par exemple à chercher à tirer profit de tous les dispositifs mis en place par l'Etat pour préserver le pouvoir d'achat du citoyen, stimuler et soutenir les investissements productifs créateurs de richesses. Pour lui, les moyens couramment utilisés dans ce cadre sont notamment : la surfacturation des importations, les ventes sans factures, les fausses déclarations en douane, le défaut de rapatriement par les agents économiques résidents de leurs recettes en devises, les déclarations minorées sur certaines exportations hors hydrocarbures etc… Pour 2013, le rapport relève les infractions constatées successivement par les agents habilités de la Banque d'Algérie (défaut de rapatriement, non-conformité à la législation et réglementation applicables…) ; les agents de douane relevant du Ministère des Finances (fausse déclaration, défaut de rapatriement ; inobservation des obligations de déclaration etc…) ; les officiers de police judiciaire relevant de la Direction Générale de la Sûreté Nationale et de la Gendarmerie Nationale Ainsi plus de 1000 procès-verbaux ont été établis et transmis à la justice pour un corps de délit de 17 (dix-sept) milliards de dinars, soit un équivalent de 220 millions de dollars US. Il convient toutefois d'évaluer correctement l'évolution de ce phénomène. Il faut souligner que ce dernier chiffre même s'il apparaît important marque néanmoins un net recul de 54% par rapport au niveau enregistré l'exercice précédent. Questionné sur les moyens mis en œuvre pour lutter efficacement contre ce phénomène, M. Djoudi a affirmé qu'il " s'agit d'un véritable fléau que toutes les institutions de l'Etat doivent combattre ". Avant de poursuivre " le Ministère des Finances, pour ce qui le concerne, met tout en œuvre pour endiguer ces pratiques illicites et mettre un terme chaque fois que cela est possible à ces actions nuisibles à notre économie". Le ministre a, en outre, mis l'accent sur la nécessité de lever toute équivoque concernant les risques d'amalgame entre les transferts effectués dans le cadre d'importations régulières et autres opérations régulièrement autorisées d'une part et les transferts illicites en relation avec des opérations irrégulières, opérées en violation manifeste de la réglementation applicable et constituant des infractions de change selon la loi algérienne, d'autre part. " C'est ce genre d'opérations qui est sanctionné par l'établissement d'un PV transmis à la Justice pour d'éventuelles suites pénales ". a-t-il dit. Egalement, M. Djoudi a indiqué que le degré d'ouverture de l'économie algérienne et la nécessaire fluidification du marché des biens de consommation courants impose une approche adaptée dans le contrôle des flux extérieurs sans affecter négativement l'économie nationale. "La croissance de l'activité économique de 6% en moyenne hors hydrocarbures, la croissance des revenus disponibles des ménages, en phase avec un soutien financier accru aux prix des divers produits ainsi que la croissance des dépenses d'investissements ont engendré une croissance régulière de nos importations de biens et services ", a-t-il indiqué. Le ministre a, de plus, mis l'accent sur le rôle dévolu à la Banque d'Algérie dans ce cadre. Selon lui, " ce rôle concerne bien entendu la régulation en matière de change et de transfert de capitaux ". Cette dernière veille, en accord avec l'autorité monétaire qui est le Conseil de la Monnaie et du Crédit, à la production de la réglementation des changes et à son respect durant toutes les opérations de commerce extérieur et de transfert de devises qui empruntent le canal bancaire. Sur un autre registre, M. Djoudi a indiqué que les flux importants d'importations génèrent une multiplication d'intervenants dans la chaîne du commerce extérieur et, malheureusement, les tentations pour certains intervenants de tirer des avantages indus augmentent également. La tendance haussière des importations s'est ainsi confirmée pour le 1er semestre 2013 qui a enregistré, avec un montant de 28,35 milliards USD une croissance des importations de plus de 17% par rapport à la même période de l'année passée. S'agissant des suites réservées aux instructions de Monsieur le Premier ministre M. Djoudi a fait savoir que celui-ci a réagi sur le rapport établi par le Ministère des Finances et la Banque d'Algérie et l'a commenté. " Il a souhaité que soit conforté le dispositif de lutte contre les infractions de change ", a ajouté la même source. En ce qui concerne le Ministère des Finances, et outre les différents contrôles et dossiers traités, le ministre a dit " les structures ont été instruites pour renforcer leur travail de contrôle sur les thèmes suivants : la surfacturation à l'importation, les transferts éventuels au titre des opérations entre entités d'un même groupe, les achats de produits non nécessaires à l'activité ou à la consommation nationale et disponibles sur le marché de la production nationale ainsi que la non identification des bénéficiaires finaux des produits importés subventionnés et autres... ". Un groupe de travail qui réunit plusieurs secteurs a été constitué et devrait rendre incessamment ses conclusions sur l'évolution des importations. A cet égard, M. Djoudi a déclaré " il est utile de noter que dans le cadre de la lutte contre la surfacturation des importations, le renforcement de l'usage du crédit documentaire comme mode de paiement des importations constitue un élément favorable à la traçabilité des opérations et l'identification de l'acheteur et du vendeur ". Par ailleurs un autre groupe de travail a été mis en place regroupant les services concernés du Ministère des Finances, la Banque d'Algérie et les banques publiques pour soumettre des propositions à l'effet de permettre d'identifier les sources de transferts illicites de capitaux et d'infractions de change ; de lutter de façon plus approfondie contre les sources de transfert illicites de capitaux et d'infractions de change ; sérier les moyens de rationaliser les importations. La lutte contre ces pratiques frauduleuses bat son plein en Algérie. Toutefois, les chiffres, fournis par les pouvoirs publics concernant ce phénomène, illustrent seulement la face cachée de l'iceberg, puisque des sommes astronomiques échappent aux " mailles des filets ".