Les projets du gouvernement turc de remplacer la constitution du pays, rédigée après un coup d'Etat militaire, par un texte qui devrait autoriser le voile islamique à l'Université a provoqué un violent débat autour de cette question ultra-sensible en Turquie, pays musulman mais laïque. Le président turc Abdullah Gül et le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan, issus de la mouvance islamiste, se sont dits favorables à l'abolition de l'interdiction du port du voile sur les campus, strictement appliquée jusqu'à présent. Alors que juristes et cadres du Parti de la justice et du développement (AKP, issu de la mouvance islamiste), au pouvoir, discutent du bien fondé d'une telle abrogation dans le projet de nouvelle Constitution qu'ils ont élaboré, les deux hommes ont affirmé que l'interdiction violait les libertés individuelles. "Le droit à une éducation supérieure ne peut pas être retreint en raison de la tenue que porte une jeune femme", a déclaré M. Erdogan dans un entretien publié mercredi par le Financial Times. "Un tel problème n'existe pas dans les sociétés occidentales mais il existe en Turquie et je crois qu'il s'agit du premier devoir de ceux qui sont en politique que de résoudre ce problème", a-t-il ajouté. Les défenseurs de la laïcité, comme l'armée, la haute magistrature et les recteurs d'universités, considèrent le port du foulard comme un geste de défiance à l'égard du régime laïc turc. Ils accusent l'AKP de M. Erdogan, et que M. Gül vient de quitter après son élection tumultueuse à la présidence le mois dernier, de vouloir éroder la séparation de l'Etat et de la religion. M. Erdogan devait s'adresser à la presse sur cette question en début d'après-midi tandis que le comité des recteurs, farouchement opposé aux projets du gouvernement, s'était réuni à Ankara pour évoquer la question. M. Gül à également soutenu la fin de l'interdiction. "Il vaut mieux pour elles (les femmes voilées) qu'elles aillent à l'université plutôt que de rester à la maison et d'être isolées de la vie sociale", a déclaré M. Gül. "Nous devons voir la question du point de vue des libertés individuelles", a-t-il dit. M. Gül a assuré que la fin de l'abolition n'entraînerait pas de recrudescence des pressions sur les femmes ne portant pas le voile. M. Erdogan a indiqué que le projet de Constitution serait débattu par la société avant d'être présenté au Parlement, probablement à la fin de l'année. Les épouses de ces deux dirigeants turcs sont voilées tout comme leur filles. La fille de M. Gül a dû porter une perruque pour pouvoir terminer ses études en Turquie tandis que celles de M. Erdogan sont allées aux Etats-Unis pour des études supérieures. Depuis son arrivée au pouvoir en 2002, l'AKP a souhaité lever cette interdiction mais s'est heurté, à chaque tentative, à la vive opposition de l'élite pro-laïque. Fort aujourd'hui de sa victoire sans conteste de 46% aux législatives de juillet, l'AKP souhaiterait désormais régler ses promesses électorales dans le cadre d'une nouvelle loi fondamentale qui remplacerait celle actuelle aux accents autoritaires, instaurée en 1982, deux ans après un putsch militaire mais maintes fois amendée depuis. En 2005 la Cour européenne des droits de l'Homme avait soutenu l'interdiction du port du voile dans les universités, une interdiction qui est aussi appliqué dans la fonction publique. Nombre d'experts ont critiqué les projets du gouvernement, y voyant une volonté de transformer la Turquie en un Etat d'"islam modéré". Mustafa Bumin, un ex-président de la Cour constitutionnelle, a ainsi estimé qu'un allègement de l'interdiction provoquerait des pressions sur les femmes sur les campus. "Cela entraînerait inexorablement la prolifération des habits conservateurs dans les universités. Les étudiantes seront forcées à se couvrir", a-t-il dit.