Une des plus importantes révélations de l'ex-analyste de la CIA Edward Snowden concernant la Russie se trouve dans une présentation de la NSA de 2008 publiée sur le site du Guardian le 31 juillet, a écrit hier le quotidien Vedomosti. Il s'avère que les systèmes américains d'espionnage sont implantés directement à Moscou : la présentation contient une carte localisant 700 serveurs du système global de surveillance totale des utilisateurs internet baptisé XKeyscore. Ces serveurs sont installés dans cent cinquante pays, y compris en Ukraine et même en Chine. Snowden a expliqué au Guardian ce que ce système apportait aux analystes du renseignement : "Derrière mon ordinateur je peux suivre la correspondance de n'importe qui - vous, votre comptable, un juge fédéral et même le président, si je connais son adresse de messagerie". Les autorités américaines ont démenti les accusations de Snowden. "Il ment. Il n'avait pas la possibilité de faire ce dont il parle", déclarait à l'époque le républicain Mike Rogers, le président de la commission du renseignement de la Chambre des représentants. Cependant, d'après la présentation de la NSA, XKeyscore permet d'obtenir des informations sur une correspondance électronique, les pièces jointes téléchargées ou envoyées, les pages visionnées sur internet et l'ensemble de l'activité sur la messagerie instantanée, y compris la liste des contacts et la correspondance avec ces derniers, ainsi que les répertoires de téléphones portables. Ce système permet de suivre l'ensemble du trafic d'un utilisateur donné une fois qu'il a été identifié sur Internet, y compris pour les programmes informatiques dont la NSA ne connaît pas encore l'existence. 300 terroristes ont pu être neutralisés grâce à XKeyscore, rapporte la présentation. Où pourrait se trouver le serveur de XKeyscore dans la capitale russe? Le porte-parole du FSB n'a pas répondu à la question. Une source au sein du renseignement russe a déclaré que les services de renseignement n'avaient pas enquêté sur ce dossier, mais se dit convaincue avec une certitude de pratiquement 100% que le serveur se situe à l'ambassade américaine à Moscou, généreusement munie de divers équipements techniques de renseignement. La source argumente sa théorie en pointant l'absence sur la carte de ce système dans les pays où les ambassades américaines ne sont pas présentes, mais qui intéressent tout particulièrement le renseignement américain, par exemple, en Iran. Le porte-parole de la NSA s'est également refusé à tout commentaire concernant XKeyscore et a renvoyé aux informations sur le site de l'agence. De son côté, l'ambassade américaine à Moscou ne fait aucun commentaire sur tout ce qui concerne Snowden. Ce dernier n'a pas non plus pu être contacté : son avocat Anatoli Koutcherena est en congé jusqu'à la fin du mois. Les experts russes ne croient tout simplement pas à l'histoire du serveur moscovite de XKeyscore. Andreï Kolesnikov, directeur du Centre de coordination du domaine national .RU, pense que le journaliste du Guardian qui a été le premier à en parler s'est trompé dans sa description. Il explique qu'en présence d'un trafic d'informations sur les utilisateurs, les serveurs du système ne pourraient pas rester invisibles - ils ne peuvent pas être cachés dans les centres de données Google à Moscou ou à Saint-Pétersbourg, par exemple. Le directeur général de Hoghloadlab Alexandre Liamine refuse de croire Snowden : "Je ne voudrais pas commenter les déclarations des clowns". Seul le fondateur du réseau social russe VKontakte Pavel Dourov prend au sérieux les informations de Snowden : il a invité le fugitif à s'occuper de la confidentialité des données personnelles des utilisateurs de son réseau social. Mais il n'a répondu à aucune question concernant XKeyscore. Le "redémarrage" russo-américain mis sur pause L'annonce du président américain Barack Obama concernant la nécessité de "marquer une pause" dans les relations avec la Russie, réalisée au cours de la visite à Washington des ministres russes des Affaires étrangères et de la Défense, a constitué une surprise désagréable pour Moscou, a écrit de son côté le quotidien Kommersant. Une source diplomatique russe a affirmé que Moscou n'avait pas l'intention d'entreprendre des mesures de riposte susceptibles d'affecter la coopération entre les deux pays. Toutefois, il sera difficile d'éviter un gel au moins partiel des relations. Avant le voyage de Sergueï Lavrov et de Sergueï Choïgou à Washington, les sources diplomatiques russes évoquaient la possibilité de mesures démonstratives de la part des Américains. Après tout, le président américain avait annoncé la veille l'annulation de sa visite à Moscou. Le premier de ces gestes a été l'absence de la photo de groupe habituelle pour les réunions dans le format 2+2, ainsi que de conférence de presse conclusive, sur demande insistante de la partie américaine. A l'issue des pourparlers, le secrétaire d'Etat John Kerry et le chef du Pentagone Chuck Hagel ont préféré s'abstenir de tout commentaire. Les ministres russes ont déclaré qu'il n'y avait aucune crise dans les relations entre les deux pays. Sergueï Lavrov a affirmé que la Russie et les Etats-Unis adoptaient des positions similaires sur plusieurs points : l'Afghanistan, la Syrie, le problème nucléaire iranien, la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, l'espace et bien d'autres. De plus, selon Lavrov, John Kerry a reconnu que le sort de l'ex-analyste de la CIA Edward Snowden, qui a obtenu l'asile en Russie, ne devait pas faire de l'ombre aux autres thèmes de négociations et saper les intérêts communs qui coïncident sur beaucoup de points. Puis a suivi le principal geste démonstratif des Américains: Barack Obama a annoncé qu'il était nécessaire de "marquer une pause" dans les relations avec Moscou. Il a également déploré que le retour de Vladimir Poutine au Kremlin ait entraîné en Russie une montée en puissance de la rhétorique antiaméricaine et un retour des stéréotypes de la Guerre froide. "Le discours d'Obama est inacceptable, a indiqué une source diplomatique russe. Il a déclaré qu'il était nécessaire de suivre l'évolution de la situation en Russie. Suivre quoi? Il ferait mieux de venir et de parler avec nous". La source a laissé entendre que Sergueï Lavrov et John Kerry avaient établi des relations de confiance. Selon la source, après avoir appris la préparation de la conférence de presse d'Obama, le secrétaire d'Etat est allé à la Maison blanche, "cependant, il n'a pas été autorisé à voir le président". Une source diplomatique russe a déclaré qu'en dépit de la rhétorique du président américain, Moscou n'avait pas l'intention d'adopter de mesures de rétorsion susceptibles d'affecter la coopération réelle entre les deux pays. Toutefois, il sera désormais difficile d'aller de l'avant. "La déclaration du président américain ne signifie pas que nous ne travaillerons plus comme avant avec Moscou dans les secteurs où nous nous entendons, a déclaré une source proche du département d'Etat. Mais sur le court terme, la Maison Blanche ne cherchera plus à convaincre le Kremlin d'arriver à un compromis sur les questions cruciales telles que la réduction d'arsenaux nucléaires et le bouclier antimissile (ABM). Toutes nos propositions ont été mentionnées dans le message adressé par Obama à Poutine en avril. Mais aucune des initiatives n'avait convenu à Moscou. Cette fois, la balle est dans le camp de la Russie - si elle veut éviter que la "pause" dans les relations dure, elle doit elle-même prouvé sa volonté de réaliser une coopération productive."