Bruxelles a annoncé, mercredi 19 septembre, des mesures très sévères pour les compagnies des pays tiers qui souhaiteraient investir en Europe dans les réseaux de distribution. Pour l'économiste américain Jeremy Rifkin, c'est là la meilleure façon pour les Européens d'aborder leur émancipation énergétique : "Si vous voulez être autosuffisants en matière d'énergie, si vous voulez la sécurité énergétique, (…) la clé, c'est de commencer à penser en termes de pouvoir sur les réseaux de distribution". C'est justement ce qu'a fait Bruxelles. La mesure phare de ses nouvelles propositions législatives sur l'énergie, c'est l'obligation pour les groupes qui contrôlent à la fois la production et les réseaux de distribution de céder la gestion de leurs lignes à haute tension ou gazoducs. L'enjeu de la distribution est d'autant plus grand pour les Européens qu'ils dépendent beaucoup de l'extérieur pour leurs approvisionnements. Plus de la moitié de l'énergie consommée provient des pays tiers. Se défendant de tout protectionnisme, M. Barroso a indiqué que "pour protéger notre marché intérieur, pour protéger les bénéfices de la séparation (des activités de transport et de production), nous devons nous assurer que tous jouent selon les mêmes règles", allusion faite au deux grands fournisseurs de l'Europe en l'occurrence Sonatrach et Gazprom. En voulant réformer le secteur énergétique, la Commission européenne a soulevé une vague de critiques de tous bords. L'optimisme affiché par le ministre de l'Energie et des Mines, M. Chakib Khelil, qui a déclaré au lendemain de l'adoption de ces nouvelles propositions à Bruxelles, que "nous ne sommes pas inquiets car la décision n'est pas définitive et je ne pense pas qu'elle concerne Sonatrach ou l'Algérie", s'est, toutefois, accompagné d'une mise en garde adressée à Bruxelles contre les risques du maintien du monopole sur les gazoducs et la distribution. Il dira dans ce sens que "si la commission maintient le monopole sur les gazoducs et la distribution, il faut s'attendre à des conséquences en termes de concurrence et ce sont les consommateurs qui paieront les frais". Pour les Russes, Le géant Gazprom est la principale cible du projet. Selon la presse russe, "c'est une référence directe à la Russie, qui refuse depuis longtemps de ratifier la Charte énergétique. Ce document qui, d'après les Européens, donnera accès au système de transport du gaz en Russie mais aussi aux investissements dans l'extraction de pétrole et de gaz, est la pierre d'achoppement à la signature d'un nouvel accord de coopération stratégique entre Moscou et Bruxelles, alors que l'ancien expire à la fin de cette année". Dans une analyse, le Times de Londres prévient que "la tentative de dompter les géants énergétiques pourrait se retourner contre Bruxelles". "Viser Gazprom est un gros risque. Outre l'empêcher d'acquérir de nouveaux gazoducs et infrastructures européennes, l'UE voudrait le forcer à abandonner ceux déjà acquis. Or Gazprom possède la moitié des parts de Wingas, une entreprise commune avec BASF, qui contrôle des infrastructures gazières en Allemagne. Arracher ces tuyaux à Gazprom aura certainement des conséquences sur le volume de gaz fourni à l'Allemagne, et pour longtemps". Forcer Gazprom à vendre ses actifs européens dans le secteur énergétique est plus facile à dire qu'à faire. Reste que ses propositions ont encore du chemin à faire avant leur mise en œuvre. En effet, plusieurs pays européens se sont montrés réticents, augmentant ainsi la probabilité que le projet de Bruxelles se heurte au veto de certains pays membres. Selon le fonctionnement de l'Union européenne, la majorité des 27 pays membres doivent valider la mise en œuvre d'une législation. Dans le cas de l'énergie, la France et l'Allemagne se sont montrées très hostiles au projet de la Commission. M. Barroso a reconnu s'attendre à de "longues et âpres négociations" sur ces propositions, qui risquent fort d'être amendées par les Etats membres et le Parlement europée n. Le commissaire à l'Energie, Andris Piebalgs, s'est toutefois dit confiant de boucler le dossier durant la présidence française, au deuxième semestre 2008.