L'annonce de la Commission européenne soulève des interrogations et des oppositions aussi bien en Europe que chez les pays tiers. En révélant, mercredi dernier, le «troisième paquet»du projet de libéralisation du marché européen de l'énergie, le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, a annoncé, si l'on peut dire, la bataille décisive qui décidera de l'avenir énergétique de l'Europe et de ses relations -politiques et économiques- avec les pays tiers. Le moment est «historique» pour l'Europe d'abord. Faut-il rappeler que toute la construction européenne s'est faite sur des projets industriels communs? Ce fut la Communauté du charbon et de l'acier - CECA en 1951 puis la CEE en 1957 - qui annoncèrent l'aventure de l'actuelle Union européenne (UE). C'est pour dire que l'UE est au seuil d'une nouvelle étape historique de sa construction avec la finalisation (libérale) de son marché énergétique. Et comme dans toute compétition économique internationale, la bataille sera rude pour les uns et les autres afin de survivre aux excroissances et dommages collatéraux de la mondialisation galopante. C'est dans ce sens qu'il faut, par ailleurs, interpréter les inquiétudes de l'Algérie (et d'autres comme la Russie) dans son ambition de se faire une place dans le futur marché de l'énergie en Europe. En termes précis, la Commission de Bruxelles estime qu'il faut séparer les activités de transport et de distribution de gaz et d'électricité de ceux de la production et de la commercialisation (séparation patrimoniale). La décision ne date pas d'aujourd'hui. Elle est évoquée dans le livre vert sur l'énergie de la Commission actualisé en 2006. Depuis le 1er juillet 2007, le marché de l'énergie est libre. Les consommateurs ont le choix de leurs fournisseurs. Nombre de nouvelles sociétés de distribution, de diverses tailles, achètent et distribuent l'énergie aux foyers et entreprises. En Belgique, par exemple, pas moins de trois nouvelles sociétés sont déjà actives depuis juillet dernier. La Commission explique que la séparation des sociétés de production de celles de distribution éviterait la concentration et le monopole du marché énergétique aux mains des grands groupes existants. C'est-à-dire comment le libéralisme économique d'aujourd'hui en arrive à lutter contre sa propre logique: le monopole. L'annonce de la Commission européenne soulève des interrogations et des oppositions aussi bien en Europe que chez les pays tiers. D'abord en Europe. Les premiers à crier au dirigisme de Bruxelles sont la France et l'Allemagne suivis de sept autres Etats membres. Ils l'avaient fait savoir à la Commission, en juillet dernier, dans une lettre commune de protestation. Les Etats qui s'opposent à ce projet ont, tous, le monopole sur le secteur énergétique. Le reste, avec à leur tête l'Espagne, l'Italie, l'Angleterre...dispose, depuis, d'un marché interne de l'énergie flexible, dans lequel nombre d'entreprises locales assurent, en partie, le transport et la distribution du produit. Face aux protestataires, la Commission propose des dérogations qui favoriseraient la création «d'opérateurs totalement indépendants de système» (ISO). En d'autres termes, les Etats qui rouspètent n'ont qu'à créer des sociétés publiques ou privées, indépendantes du gouvernement sur le plan du financement et de la gestion. Là encore se posera le sort des actionnaires induit par un certain nombre de contraintes, tels l'investissement pour l'entretien des réseaux de transport et leur développement, la sécurité des réseaux...Mais au-delà de ces aspects juridiques et techniques, apparaît en réalité la course au contrôle des parts de marché. La France, Etat jacobin, avec une gestion centralisée a raison de s'en inquiéter, car les retombées fiscales dans ses caisses ne seront plus les mêmes. Voilà qui promet une rude bagarre entre les Etats de l'UE. Le top départ sera donné le 24 septembre, lors de la plénière du Parlement européen qui s'ouvre à Strasbourg. Les députés ne sont pas aussi unanimes à suivre la Commission comme elle l'a laissé entendre. Les élus européens français, allemands, anglais réaffirmeront l'opposition de leurs pays. En face, les Espagnols, Italiens, Belges...feront tout pour mener à l'approbation du texte. Suivra un autre texte, encore plus controversé, celui sur l'immigration. Certain y verront une coïncidence du calendrier. Les pays tiers, comme l'Algérie, suivent avec plus d'intérêt que d'habitude l'ouverture de cette année politique européenne où il est question d'énergie et d'immigration. Face à la décision de l'UE, l'Algérie, plus précisément Sonatrach, se trouve, pour le moment, interdite d'accès au marché du transport et de la distribution de son gaz sur le marché européen. Au même titre que le géant gazier russe Gazprom. Pourtant, la Commission se défend d'un tel objectif. Elle estime que l'Algérie peut y accéder aux mêmes conditions que les pays européens. Il lui faut monter des sociétés de droit public ou privé algérien ou européen, séparées sur le plan de la gestion de la société productrice qu'est Sonatrach. Plus simple à dire qu'à faire. Où trouver des investisseurs privés algériens capables d'un tel défi? L'autre solution est d'associer des investisseurs étrangers. La boucle est bouclée. A vouloir se lancer sur le marché européen dès 2010-2012, comme prévu, l'Algérie (Sonatrach) s'ouvrira d'abord au capital étranger, ou se délestera de son département transport de gaz. Notre pays pourrait très bien ne pas entrer dans cette bataille et se contenter de vendre son produit comme c'est le cas aujourd'hui. Seulement, avec le bouleversement de l'économie mondiale, principalement dans le secteur des hydrocarbures, il nous est impossible de rester en dehors. Que l'Europe pense à son avenir ne nous empêche pas de penser au nôtre: au plan national, réfléchir à une réforme sur les investissements étrangers dans les hydrocarbures qui les préserve des prédateurs européens, et sur le plan international, chercher des solidarités d'intérêts avec les Russes, les Vénézuéliens, voire avec la Norvège, premier fournisseur de l'UE et dont elle n'est pas membre. Le projet européen poussera-t-il les Algériens à imaginer d'autres formes de partenariat avec l'UE? «A quelque chose malheur est bon», dit le proverbe. La décision européenne, si elle se confirme, aidera peut-être à créer une OPEP du gaz, un moment soulevée par la Russie, l'Algérie et le Venezuela principalement. Pourquoi pas?