Annoncer un excédent de la Grèce en oubliant quelques milliards en route, prêter à l'Espagne à des taux dérisoires, saluer le Portugal qui rompt "sans filet" avec l'aide internationale: la zone euro adopte la méthode Coué pour sortir de la crise. C'est au tout début du XXème siècle que le pharmacien français Emile Coué met au point la méthode d'autosuggestion qui portera son nom, dont le principe est le suivant: à force de se dire que tout va bien, tout ira bien. Or dans la zone euro, en pleine "ambiance de sortie de crise, tout le monde veut voir rose", résume Ludovic Subran, économiste de l'assureur Euler Hermes. Cet optimisme s'est exprimé le 23 avril dernier, avec l'annonce que la Grèce, le pays où a commencé la crise de la dette, avait réalisé un budget en excédent "primaire", excluant la charge de la dette. Par hasard, le même jour, le Portugal obtenait un franc succès pour sa première émission régulière de dette à long terme depuis 2011.
La Grèce et sa dette "soutenable" A propos de la Grèce, la Commission européenne a salué "les efforts considérables" du pays, bénéficiaire d'un plan d'aide et dont les réformes sont supervisées par le Fonds monétaire international, la Banque centrale européenne .... et la Commission elle-même. Bruxelles a dans son élan jugé que la dette du pays, à 175% du Produit intérieur brut, était "soutenable". Cet optimisme général a occulté les interrogations sur un calcul qui laisse de côté le paiement des intérêts de la dette, conformément à la définition d'un excédent "primaire", mais aussi le coût du soutien au secteur bancaire grec, pour "mieux refléter la position budgétaire structurelle sous-jacente" selon l'agence statistique européenne Eurostat. Hors correction statistique, la Grèce a affiché en 2013 un déficit public de 12,7% du PIB. "Revoilà les statistiques grecques'", a ironisé par exemple le Wall Street Journal, en référence aux chiffres erronés fournis pendant des années par Athènes sur ses finances publiques, dont la correction en 2010 avait entrainé la descente aux enfers du pays sur les marchés. Pour Agnès Bénassy-Quéré, professeur à l'Université Paris I, l'annonce d'un excédent primaire "est un signal politique important" car "cela signifie que la Grèce n'a plus besoin d'emprunter pour payer ses médicaments ou ses professeurs, seulement pour payer la charge de sa dette". "Cela ouvre la porte à une restructuration" (c'est-à-dire un allègement) de la dette grecque, qui selon l'économiste devrait essentiellement être supporté par les créanciers publics et "laisser de la place aux investisseurs privés" pour recommencer à prêter au pays. Lesquels investisseurs ne devraient pas se priver: il y a quelque temps un emprunt test de la Grèce avait rencontré un grand succès. Même enthousiasme pour les titres de l'Espagne, dont le taux à 10 ans est passé pour la première fois depuis 2005 sous 3%, et autour du Portugal, qui va sortir cette semaine du plan d'aide international dont il bénéficie, sans "filet" c'est-à-dire sans ligne de crédit de précaution, comme l'Irlande avant lui. La décision de Lisbonne, saluée à Bruxelles, lui a valu aussi des commentaires positifs des agences Moody's et Standard and Poor's.
"L'argent revient" "Il y a beaucoup de liquidités dans le monde et peu d'objectifs sûrs", explique Mme Bénassy-Quéré. "L'argent revient" des pays émergents où il avait massivement afflué et "il faut bien que les grands fonds d'investissements prennent un peu de rendement", selon elle. Les pays du sud de l'Europe, avec leur dette plus rentable que celle des émetteurs de premier choix comme l'Allemagne, et bénéficiant d'un "sentiment de sécurité inspiré par la BCE", sont une cible de choix. Mais pour l'économiste, "la situation reste très vulnérable". Sur le front financier, le risque d'une "mini-bulle" existe et surtout, estime Mme Benassy-Quéré, "la crise s'est déplacée. Il y a le risque social lié au chômage de masse, il reste des incertitudes sur la croissance, et le problème de la dette n'a pas été réglé". Ludovic Subran ironise lui sur la "réformite" dont souffrent marchés et agences de notation, prompts à s'enthousiasmer à la moindre annonce. "Regardez (le chef de gouvernement italien) Matteo Renzi, il n'a encore rien fait, mais on lui donne beaucoup de crédit" sur la foi de déclarations, ajoute-t-il. Le taux à 10 ans de l'Italie est récemment passé sous 3%, pour la première fois depuis la création de l'euro.