"Imaginez que vous gérez une entreprise dans un pays où l'impôt effectif dépasse les 60%, où la TVA est uniformément fixée pour tous les produits et services à 25%, en plus des taxes de luxe (tabac, alcool) ou celles de la protection de l'environnement, et où pour l'achat d'une voiture vous payez presque 200% de taxes additionnelles? De plus, l'Etat attend que vous fassiez des efforts pour l'emploi de chômeurs, qui, sans cela, sont pris en charge par les services sociaux publics. Ce pays est le Danemark, et ça marche!" C'est en ces termes que le représentant d'une grande entreprise danoise a introduit son allocution portant sur la "Perspectives de l'entreprise citoyenne dans la nouvelle économie", lors d'une conférence tenue à Copenhague. Sa description est toujours valable et l'économie danoise est encore plus efficace: le rapport Doing Business 2008 classe le Danemark à la première place mondiale, confirmant que ce pays est déjà pionnier de la nouvelle économie sans perdre de son caractère d'Etat-providence moderne. Les entreprises danoises n'ont jamais réalisé d'aussi bons résultats, alors que le salaire minimum se situe autour de 8 dollars américains l'heure et que le taux de chômage est l'un des plus bas d'Europe. Si environ 25% des personnes d'âge actif sont hors emploi et obtiennent des revenus de la protection sociale, le PIB par habitant est supérieure à celui de la France (51.700 $ US contre 36.550) et même des Etats-Unis d'Amérique (44.970), des Emirats Arabes Unis (26.147), alors que celui de l'Algérie peine à 3.030. Quel est le secret de cette prodigieuse réussite? Le gouvernement danois reçoit régulièrement des délégations de ministres européens venues pour y trouver la réponse. Le ministre français du travail Jean-Louis Borloo faisait l'éloge explicite, dès septembre 2004, au modèle danois, qualifié de source d'inspiration privilégiée pour mettre en place des solutions "novatrices " . Il a été suivi depuis lors par de nombreux ministres, personnalités et délégations . L'éloge n'est pas restreint au modèle social puisqu'il s'étend aux domaines allant du commerce au développement durable . Citons aussi l'OCDE qui avait, dès 1995, fait l'éloge des stratégies danoises, éloge renouvelé en juillet 2004 . L'unique critique que nous avons entendue concerne le coût dissuasif en dépenses publiques d'un tel modèle . Il est évident qu'un tel système ait un prix élevé que l'on le devine du taux de l'impôt et de l'existence d'une frange de plus en plus importante de la population en retraite ou en pré-retraite. Mais c'est d'équilibre global qu'il faut parler. Les avantages tirés sont précieux et ... rentables à long terme. D'ailleurs, l'organisation scandinave SAMAK faisait en 1999 référence au coût du modèle par la voix de l'ex ministre suédois des finances et directeur général de l'Emploi de la Commission européenne, Allan Larsson . Sa conclusion combat l'idée que de basses prestations d'indemnisation chômage favorisaient la recherche d'emploi : l'inverse est empiriquement observé au Danemark (et en Suède). Pour parler du secret de la réussite danoise, certains ont avancé l'idée d'un "socialisme scandinave". Les danois expliquent leur réussite par la BONNE gouvernance. Le mot clé de ses entreprises c'est leur RESPONSABILITE SOCIETALE (ci-après RS des Entreprises ou RSE). Essayons une brève description. Le Danemark c'est une presqu'île, le Jylland (Jutland), adossée au Nord de l'Allemagne, dont le Prince mythique Hamlet est le héros dans une pièce de Shakespeare: "to be or not to be, that is the question". C'est aussi quelque 500 îles, dont Sjælland où se situe Copenhague. La surface du Danemark est réduite avec une population qui dépasse à peine les 5 millions d'habitants, avec une densité de 125 habitants au km⊃2; en raison d'une urbanisation planifiée et concertée démocratiquement. Le Danemark n'a pas de montagnes, ni même de collines notables, la plus haute du pays (148 mètres) s'appelle la " Montagne du Ciel"! Le pays n'a donc aucun potentiel hydro-électrique. Les ressources naturelles ne sont pas nombreuses et le climat est pire que celui de l'Angleterre. Il pleut en juillet et la température moyenne est de 7,8°C (3 en janvier). Pourtant, il a développé sa capacité énergétique grace à l'éolien, la biomasse, la paille, le bio-gaz, l'hydrogène lesquels produisent plus de 30% de son électricité (contre 7% il y a une dizaine d'années). Cela ne signifie pas que d'autres sources ne sont pas exploitées. Le Danemark dispose de plus d'installations de captation de l'énergie solaire que l'Algérie et est exportateur net de courant électrique. Il a interdit il y a douze ans la construction de nouvelles centrales charbon ou à gaz sans récupération de chaleur, avant même le Protocole de Kyoto (ouvert à la ratification des Etats seulement en mars 1998). Il est exportateur de biens et de services liés à l'énergie, triplant sa part du marché mondial de ce secteur (8% du marché mondial) soit un bilan net qui dépasse les 8 milliards d'euros. Quel autre pays que le Danemark aurait pensé tirer profit de l'hydrogène, en développer les connaissances et en tirer des applications technologiques? Les petites voitures à l'hydrogène, dont les concepteurs veulent conquérir le marché mondial, sont déjà utilisées dans les hôpitaux et aéroports. Un train et une maison modèle ne consommant que l'énergie à base d'hydrogène existent. Ce n'est pas l'Etat qui est derrière l'initiative mais trois communes et un district (wilaya), avec le soutien financier de l'Europe. Au plan social, l'usage du mobile, du computer et de Internet est généralisé. Dans un de ses discours de fin d'année, la Reine Margrethe demandait qu'un effort soit fait en direction des personnes âgées pour qu'elles puissent jouir du computer et d'internet. Aujourd'hui, le Danemark a plus d'adresses e-mail et de Web sites que tous les pays arabes réunis. Peu de pays dépensent pour l'éducation autant que le Danemark. Le travail en commun est une tradition danoise bien implantée. C'est toujours le groupe qui réussit ou qui échoue. Le travail en réseau utilisant les technologies de communication est pratiqué par 90% des entreprises danoises, qui sont, avec quelques exceptions, petites et moyennes en général. Les danois constituent un peuple discipliné. Un exemple: il existe des pistes cyclables sur tous les grands axes des principales villes, respectées par les automobilistes autant que par les piétons, et personne ne traverse la rue au feu rouge! Sur le marché du travail, le salarié qui n'est pas productif à 100% peut aisément être licencié, sans coût excessif pour l'employeur. C'est l'Etat qui prend en charge les sans revenu, avec les caisses d'assurance chômage s'il s'agit de travailleurs licenciés ou démissionnaires. En raison de la faible inégalité des salaires après impôt (taux fiscal proportionnel comparativement élevé; donc peu de gens sont trop riches et encore moins trop pauvres), la différence entre le fait d'être au chômage indemnisé (en activation ou non) et le fait d'être en emploi reste modérée selon les standards européens. Le modèle danois du marché du travail tient, non pas seulement dans la flexibilité des contrats, mais dans l'universalité des règles qui s'appliquent aux liens juridiques. Que ce soit dans le secteur public ou privé, les règles de droit du travail, de protection contre le licenciement, de préavis, de temps de travail, etc., sont globalement les mêmes, décidées par le jeu des conventions collectives négociées et des accords d'entreprise. Les arrangements institutionnels ou triangle d'or organisent la cohérence du système qui prend en considération aussi bien la protection sociale, le droit du travail, le système de relations professionnelles que les politiques de l'emploi. Ce système fait du marché danois du travail un marché flexible où ceux qui travaillent sont ceux qu'il faut, et ils le font bien. Le danois déteste l'oisiveté, être sans travail, d'être à la charge de l'Etat ou d'une caisse de chômage . Il considère que c'est une atteinte à sa dignité. Le travail n'est pas gagner sa vie seulement, c'est avoir le moyen de garder cette dignité. Historiquement, lorsqu'au début du siècle passé le service social prenait en charge quelqu'un, ce dernier perdait son droit de vote. Bien que cette restriction ait été levée depuis des décades, le sentiment d'indignité attaché à la perte de l'emploi reste très fort. La modestie fait partie de la culture et de la morale danoises. Les Danois ne craignent pas de douter de leur propre valeur, en raison probablement de cette tradition de modestie appelée la Loi de Jante, qui est une référence à un roman des années 30. Ne pas être plus riche que les autres ou du moins de ne pas se présenter tel, ne pas croire que l'on est quelqu'un, que l'on sait mieux... que les jeunes appliquent de moins en moins. Mais tous aiment leur patrie, probablement parce que les poètes et peintres danois décrivent leur pays depuis deux siècles avec une forte émotion amoureuse. Ibrahim Taouti, avocat au Danemark et en Algérie, Lawhouse.biz
