La décision des pays producteurs de pétrole membres de l'Opep de maintenir leur plafond de production met les producteurs d'hydrocarbures de schiste américains au pied du mur en risquant de les obliger de produire à perte. Déjà au siècle dernier, lorsque le milliardaire américain Rockfeller et sa Standard Oil dominaient le marché, cette tactique consistant à faire baisser les prix pour éliminer les concurrents existait déjà et s'appelait good sweating (bonne suée). L'Opep va continuer d'inonder le globe de son pétrole dans l'espoir d'enterrer la production de pétrole de schiste américaine, dont le boom menace de plein fouet les parts de marché des membres de l'organisation, a commenté l'analyste Phil Flynn de Futures Group. C'est une déclaration de guerre sur la production, tous les barils sont sur la table et l'Opep joue son existence, a-t-il ajouté. Et cette manoeuvre semble fonctionner: Le baril de light sweet crude (WTI) pour livraison en janvier a reculé de 7,54 dollars sur le New York Mercantile Exchange (Nymex) vendredi pour s'établir à 66,15 dollars, son plus bas niveau depuis septembre 2009. A Londres, le baril de Brent est lui passé vendredi sous la barre symbolique des 70 dollars pour la première fois depuis quatre ans et demi, descendant jusqu'à 69,78 dollars sur l'Intercontinental Exchange (ICE) avant de clôturer à 70,15 dollars. Tout le secteur pétrolier, des grands majors américains aux compagnies de services comme Halliburton et Schlumberger ont subi une déroute sur les marchés vendredi. Mais face à ce carnage, les responsables de l'industrie pétrolière américaine serrent les rangs. C'est certainement un test mais ce n'est sûrement pas la fin, affirme Fred Lawrence, vice-président de l'Association des producteurs de pétrole indépendants américains (IPAA). Les producteurs de pétrole américains ont un seuil de résistance bien plus fort que ce qu'imagine l'Opep, ajoute-t-il.
Une nouvelle donne ? La décision de l'Opep, prise jeudi à l'issue d'une réunion à Vienne, survient alors que la production de pétrole et de gaz liquide de schiste américaine a explosé ces dernières années, imposant une nouvelle donne au marché mondial Depuis 2006, la hausse est de 40%, la production américaine dépassant maintenant 9 millions de barils par jour (mbj). Les Etats-Unis se retrouvent maintenant concurrents directs de l'Arabie saoudite et de la Russie pour la place de premier producteur mondial d'hydrocarbures. Confrontés à une baisse de près de 40% des prix mondiaux depuis juin, les pays producteurs de l'Opep auraient pu décider de réduire leur plafond de production pour les faire remonter. Mais ils ont, au contraire, décidés de le maintenir, sous la pression notamment de l'Arabie saoudite qui vise, selon les propos de son ministre du pétrole Ali Al-Nouaïmi, une stabilisation éventuelle du marché. Cette décision a remis radicalement les choses en cause pour le marché pétrolier mondial, souligne la banque Barclays dans une note d'analyse. Elle va permettre à la hausse des stocks mondiaux de se poursuivre grâce à une augmentation de 1,49 million de barils/jour de la production des producteurs non-Opep. L'Opep lance clairement le signal qu'elle ne portera pas toute seule le fardeau de l'ajustement du marché et cette décision place la responsabilité sur les épaules des autres producteurs, y compris Américains, affirme Barclays, en ajoutant à vous de jouer l'Amérique !. Fred Lawrence concède que les producteurs américains vont devoir baisser leur production face à la nouvelle situation sur le marché et que les nouveaux projets pourraient tomber à 200/300 au lieu des quelque 1 500 envisagés. Beaucoup de compagnies vont ajuster leur dépenses d'exploitation dans les deux prochaines semaines, prévoit-t-il. Les forages les plus coûteux vont être mis en veilleuse dans les régions de production de schiste comme le gisement Bakken dans le Dakota du Nord et celui de Tuscaloosa Trend en Louisiane. Mais dans d'autre cas, comme celui du bassin Permian à cheval sur le Texas et le Nouveau-Mexique, les producteurs indépendants ont les reins financiers plus solides que ce qui est généralement admis. Beaucoup d'entre eux tirent aussi leurs ressources de la production de gaz naturel qui n'est pas concerné par les décisions de l'Opep. Les coûts de production baissent également en raison des progrès technologiques, souligne-t-il. C'est un défi qui va rendre nos producteurs encore plus solides, lance-t-il.