Les bureaux de vote ont ouvert hier matin en Tunisie pour le second tour d'une présidentielle historique opposant, quatre ans après la révolution, le président Moncef Marzouki au favori du vote, Béji Caïd Essebsi, chef du parti anti-islamiste Nidaa Tounès. Les 5,3 millions d'électeurs sont appelés aux urnes de 08H00 (07H00 GMT) à 18H00 (17H00 GMT). Les résultats pourraient être connus dès aujourd'hui, selon l'instance électorale (ISIE) qui a cependant jusqu'au 24 décembre pour annoncer l'identité du président pour les cinq prochaines années. Le vainqueur deviendra le premier chef d'Etat tunisien élu démocratiquement depuis l'indépendance en 1956. Habib Bourguiba, le premier président, et Zine El Abidine Ben Ali, renversé en 2011, avaient constamment eu recours à la fraude ou au plébiscite, et M. Marzouki avait été désigné à la faveur d'un accord politique avec les islamistes d'Ennahda. Les deux finalistes se sont affrontés pendant cette campagne sur un ton acrimonieux agrémenté d'insultes, s'efforçant de dénigrer l'adversaire. Moncef Marzouki s'est posé en défenseur de la révolution face au retour des tenants de l'ancien régime. Il a accusé notamment son adversaire de préparer des fraudes et d'être un représentant du régime chassé par la révolution de 2011. Caïd Essebsi, qui a servi Bourguiba comme Ben Ali avant d'assurer quelques mois la fonction de Premier ministre après la révolution, s'est posé en homme providentiel, seul à même de réparer les dégâts causés par Ennahda, au pouvoir de 2012 à début 2014, et leur allié M. Marzouki. Sa formation Nidaa Tounès a remporté les législatives en octobre. La Tunisie fait figure d'exception parmi les pays du Printemps arabe, l'essentiel d'entre eux ayant basculé dans la répression ou la violence.
Les Tunisiens aux urnes pour parachever la transition démocratique Le second tour de l'élection présidentielle en Tunisie a opposé dimanche Béji Caïd Essebsi, candidat de l'alliance laïque Nidaa Tounès, au chef de l'Etat sortant Moncef Marzouki, élu fin 2011 à titre provisoire par l'Assemblée constituante. Au premier tour, M. Essebsi a obtenu 39,4% des suffrages contre 33,4% à M. Marzouki. Agé de 88 ans, Béji Caïd Essebsi fut ministre dans le gouvernement d'Habib Bourguiba qui prit les rênes du pays en 1957 et les garda trente ans. Son parti Nidaa Tounès est arrivé en tête des élections législatives en octobre. Ses adversaires l'accusent d'être une figure des régimes autocratiques du passé et voient dans sa candidature le risque d'un retour à "l'hégémonie d'un parti unique".
Gommer certains souvenirs M. Essebsi doit surtout gommer le souvenir de son engagement dans le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) de Zine el-Abidine ben Ali, après le coup d'Etat de 1987, et son passage à la présidence de la Chambre des députés entre 1990 et 1991. "Essebsi n'est pas un démocrate. Il ne sait pas ce qu'est la démocratie", a affirmé M. Marzouki lors de la campagne de l'entre-deux tours. Mettant en avant son statut d'homme d'Etat expérimenté, l'intéressé se dit toutefois le mieux à même de "rendre son prestige" à la Tunisie. Moncef Marzouki, 69 ans, se voit quant à lui reprocher l'alliance avec les islamistes d'Ennahda qui lui a permis d'être élu président de transition en novembre 2011.
Pouvoirs présidentiels limités Ancien opposant au régime de Ben Ali, exilé plusieurs années en France, il se présente comme le protecteur de la "révolution de jasmin" qui a déclenché le cycle des printemps arabes. Le parti Ennahda, deuxième des législatives d'octobre, a choisi de ne pas présenter de candidat et n'a donné aucune consigne de vote mais le camp de M. Essebsi affirme que M. Marzouki a fait le plein des voix islamistes. Quel que soit le verdict des urnes, c'est à Nidaa Tounès de former le prochain gouvernement. Ce scrutin est le point d'orgue de la transition entamée début 2011 et doit ouvrir, après la formation du futur gouvernement, un nouveau chapitre de l'histoire tunisienne. Les pouvoirs du futur chef de l'Etat ont été largement limités par la Constitution, adoptée en janvier, afin d'éviter un retour à la dictature.
Attaque contre des militaires, un mort L'armée tunisienne a tué un homme et arrêté trois autres ayant tenté d'attaquer des militaires gardant une école de la région de Kairouan où était stocké du matériel électoral pour la présidentielle, selon le ministère de la Défense. Dans la nuit de samedi à dimanche un groupe armé a essayé d'attaquer une unité (...) La vigilance des soldats et la rapidité de leur réaction a fait avorter cette opération et entraîné la mort d'un homme armé d'un fusil de chasse et l'arrestation de trois suspects, a déclaré le porte-parole du ministère, Belhassan Oueslati. Le responsable n'a cependant pas fait de lien avec la mouvance djihadiste dont les attaques ont fait des dizaines de morts dans les rangs de l'armée depuis la révolution. En général les terroristes n'utilisent pas des fusils de chasse, a-t-il relevé. La meilleure manière de répondre (à cette attaque) est de venir en nombre et en toute sérénité aux élections, a déclaré le Premier ministre Mehdi Jomaa, à l'antenne de la radio Mosaïque FM. Pour lui, il s'agit d'une tentative sans espoir de faire échouer la dernière étape du processus démocratique en cours en Tunisie. Un militaire a été légèrement blessé à l'épaule, et l'un des suspects à la main. Selon le porte-parole, l'unité a été attaquée alors qu'elle gardait une école à Haffouz, près de Kairouan (160 km au sud de Tunis), où était stocké du matériel destiné au second tour de la présidentielle. L'incident intervient quelques jours après que des combattants tunisiens ayant rejoint le groupe Etat islamique, ont revendiqué les assassinats des personnalités anti-islamistes Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi en 2013. Ces crimes avaient plongé la Tunisie dans une crise politique profonde et conduit le parti islamique Ennahda à laisser le pouvoir début 2014 à un gouvernement apolitique. Ces djihadistes ont aussi appelé les Tunisiens à boycotter le scrutin de dimanche et menacé de nouvelles violences. Des dizaines de milliers de militaires et policiers ont été déployés pour assurer le bon déroulement du scrutin.