Les Tunisiens ont voté hier, dimanche, pour élire leur président après une transition chaotique de quatre ans dans ce pays où les tensions restent réelles, un homme armé ayant été tué dans la nuit par des militaires après une tentative d'attaque. Les 5,3 millions d'électeurs ont le choix pour ce deuxième tour entre le président sortant Moncef Marzouki, 69 ans, et le favori du vote, Béji Caïd Essebsi, 88 ans et chef du parti anti-islamiste Nidaa Tounès, victorieux aux législatives d'octobre. A 10h00 (09h00 GMT), la participation s'établissait à 14,04%. Des dizaines de milliers de militaires et policiers ont été déployés pour assurer le bon déroulement du scrutin alors que la Tunisie a été confrontée à de multiples attaques, notamment le long de la frontière avec l'Algérie, attribuées à la mouvance djihadiste depuis la révolution de 2011. Une unité a été attaquée par un «groupe armé» dans la nuit devant une école de la région de Kairouan (160 km au sud de Tunis) où du matériel destiné aux élections était stocké, mais les autorités se sont refusé à évoquer la piste djihadiste. La riposte a «entraîné la mort d'un homme armé d'un fusil de chasse et l'arrestation de trois suspects», selon le ministère de la Défense qui note qu'«en général, les terroristes n'utilisent pas des fusils de chasse». «La meilleure manière de répondre (à cette attaque) est de venir en nombre et en toute sérénité aux élections», a martelé le Premier ministre Mehdi Jomaa. L'incident intervient quelques jours après que des combattants tunisiens ayant rejoint le groupe Etat islamique, ont revendiqué les assassinats des personnalités anti-islamistes Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi en 2013 qui avaient plongé la Tunisie dans une crise politique profonde. Ils ont aussi appelé au boycott du scrutin et brandi des menaces de nouvelles violences. Les autorités se veulent néanmoins rassurantes sur le bon déroulement du vote, qui s'est achevé à 18h00 (17h00 GMT). Les résultats pourraient être connus dès lundi soir, selon l'instance électorale (Isie) qui a cependant jusqu'au 24 décembre pour annoncer l'identité du président pour les cinq prochaines années. Historique Le vainqueur deviendra le premier chef d'Etat tunisien élu démocratiquement depuis l'indépendance en 1956. Habib Bourguiba, le premier président, et Zine El Abidine Ben Ali, renversé en 2011, avaient constamment eu recours à la fraude ou au plébiscite, et M. Marzouki avait été désigné à la faveur d'un accord politique avec les islamistes d'Ennahda. Les journaux saluaient dès lors un jour historique, qui doit achever de doter le pays rescapé et berceau du «Printemps arabe» d'institutions pérennes après les législatives d'octobre déjà considérées comme libres par la communauté internationale. Pour le journal «La Presse» ce dimanche «restera à jamais gravé dans la mémoire collective» et «Le Temps» appelle les Tunisiens à se rendre aux urnes pour ne pas rater «le train de l'Histoire». Campagne tendue La campagne a vu les deux finalistes s'affronter sur un ton acrimonieux agrémenté d'insultes. Moncef Marzouki s'est posé en défenseur de la révolution face au retour des tenants de l'ancien régimen, accusant son adversaire de préparer des fraudes tout en l'égratignant sur son âge. Caïd Essebsi, qui a servi Bourguiba comme Ben Ali avant d'assurer quelques mois la fonction de Premier ministre après la révolution, s'est posé en homme providentiel à même de réparer les dégâts causés par Ennahda, au pouvoir de 2012 à début 2014, et leur allié M. Marzouki. Il a qualifié son concurrent «d'extrémiste» et lui a prêté le soutien des djihadistes. «Le jeu démocratique nécessite que chacun de nous accepte le résultat du vote avec un esprit sportif», a cependant souligné après avoir voté M. Marzouki. Des Tunisiens ont regretté le manque de retenue des candidats, mais estiment que ce scrutin reste la clé pour une sortie par le haut de la transition post-révolutionnaire, à l'inverse de pays comme la Libye, la Syrie ou l'Egypte. «Nos candidats, nos politiques ne sont peut-être pas les meilleurs, mais on avance, la dictature c'est fini», estime Mohamed Taïeb, épicier à Tunis. Les pouvoirs du président ont été largement limités dans la Constitution adoptée en janvier 2014 pour éviter un retour à l'autoritarisme. Quel que soit le résultat dimanche, c'est au parti de M. Caïd Essebsi de former le prochain gouvernement. Il devra rapidement s'atteler à constituer une coalition stable, Nidaa Tounès n'ayant pas de majorité absolue au Parlement.