La Banque centrale du Japon (BoJ) a été contrainte jeudi de revoir sa copie dans un archipel qui tutoie de nouveau la déflation, mais le gouverneur Kuroda ne se départit pas pour autant de son optimisme sur l'économie nippone. Dans son rapport semestriel, la BoJ parie désormais sur une inflation de 0,8% en 2015-2016, à comparer à sa précédente estimation de 1%, pour un produit intérieur brut (PIB) en hausse de 2% (contre 2,1% auparavant). "L'évolution des prix va probablement se maintenir pour un certain temps aux alentours de 0%", sous l'effet de la chute des cours du pétrole, avant d'"accélérer vers 2%", objectif ultime qu'elle espère atteindre courant 2016, plus précisément entre avril et septembre. Désigné il y a deux ans par le Premier ministre Shinzo Abe pour conduire le volet monétaire de sa stratégie de relance dite des "Abenomics", Haruhiko Kuroda s'était à l'origine fixé ce printemps pour horizon, mais le douloureux relèvement de la taxe sur la consommation début avril 2014 a bousculé ses plans. Il a reconnu lors d'une conférence de presse avoir pris du "retard" sur le calendrier initial, mais la tendance est à ses yeux encourageante.
Statu quo... jusqu'à quand ? Le pire est passé, martèle la Banque centrale qui a renouvelé son diagnostic d'une "reprise modérée" et écarté tout geste dans l'immédiat, douchant les espoirs des investisseurs à la Bourse de Tokyo (l'indice Nikkei a chuté de 2,69%). De fait, elle a reconduit à l'identique son programme de rachat d'actifs consistant à élever la base monétaire de 80 000 milliards de yens par an (620 milliards d'euros). Dans le même temps, M. Kuroda a jugé qu'il était "trop tôt pour discuter d'une éventuelle stratégie de sortie" et promis des "ajustements" si nécessaire pour parvenir à ses fins. De l'avis de nombreux analystes, la BoJ sera probablement obligée de procéder à un nouvel assouplissement, dès cette année, afin de donner un coup de pouce à une économie encore fragile et ranimer une inflation plus que vacillante. Après plusieurs mois de ralentissement, les prix ont stagné en février - en excluant l'impact de la hausse de TVA - pour la première fois depuis mai 2013. "La BoJ considère à l'évidence que ce coup de frein est temporaire, et blâme pour cela le plongeon des prix de l'énergie", a réagi Marcel Thieliant, de Capital Economics. De son point de vue, le tableau est cependant plus compliqué: "La reprise économique se fait attendre, les salaires augmentent à peine et, hors alimentation et énergie, l'inflation est aussi proche de zéro". "Elle traîne des pieds", mais va "devoir agir sans tarder", tranche-t-il.
Une statistique de bon augure "L'indice des prix au détail est sur le point de redevenir négatif, le discours de la Banque du Japon est en contradiction avec la réalité!", renchérit l'analyste tokyoïte d'un site de courtage, Tsutomu Yamada, cité par l'agence Bloomberg. Le Japon de Shinzo Abe, qui s'est juré de vaincre la déflation depuis son retour au pouvoir fin 2012, est sorti de récession au quatrième trimestre 2014, mais les mentalités déflationnistes restent bien ancrées, un phénomène pernicieux qui décourage investissements et achats dans l'archipel depuis une quinzaine d'années. La consommation des ménages tarde à repartir, et malgré de solides résultats sur fond de yen faible, les entreprises restent sur la réserve. Petit signal positif cependant, la production industrielle (20% du PIB) est ressortie meilleure que prévu en mars. Selon les statistiques publiées jeudi par le ministère de l'Industrie, elle a fléchi de 0,3% sur un mois, alors que les économistes tablaient sur une baisse de 2,3%. Autre bonne nouvelle, le Japon, qui ploie sous des déficits commerciaux massifs depuis l'accident nucléaire de Fukushima, a affiché le mois dernier un excédent pour la première fois depuis juin 2012, grâce à la dégringolade de l'or noir et à des exportations dopées par la bonne santé américaine. Le Fonds monétaire international (FMI) a d'ailleurs récemment relevé ses projections pour la troisième économie mondiale. Après une croissance nulle l'an passé, il prévoit une augmentation du PIB de 1% en 2015, puis de 1,2% l'année suivante (contre 0,6% et 0,8% respectivement envisagés jusqu'alors).