L'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) semble prête à composer avec le pétrole de schiste américain afin de rééquilibrer le marché, alors que sa stratégie cherchait jusqu'à présent à écarter ce nouveau concurrent plutôt résistant. Le pétrole de schiste est un phénomène qui ne va pas disparaître, et nous devons vivre ensemble et trouver un équilibre, a déclaré mercredi Abdallah El-Badri, secrétaire général de l'Opep, à des journalistes lors du séminaire organisé par le cartel à Vienne. Le secrétaire général de l'Opep n'est pas seul à souligner qu'il faudra désormais faire avec le pétrole de schiste américain. Nous ne pensons pas, n'imaginons pas, ou ne rêvons pas, que les producteurs de pétrole de schiste vont disparaître, a insisté Suhail Mohamed Al Mazrouei, ministre de l'énergie des Emirats arabes unis. Nous voulons qu'ils restent, ils constituent un très bon équilibre pour le marché et nous voulons que chacun partage la responsabilité de le rééquilibrer, a expliqué Mazrouei. La production américaine, qui a explosé grâce au boom du pétrole de schiste, a pourtant souvent été citée comme la cible principale du cartel après la décision de l'organisation de conserver son plafond de production inchangé à 30 millions de barils par jour (mbj) en novembre. Il y a six mois l'Opep avait décidé de ne pas changer ses quotas pour modérer la croissance de la production hors Opep, et notamment celle de la production d'or noir non-conventionnel, comme le pétrole de schiste ou le pétrole issu des sables bitumineux. Cette décision a précipité la baisse des prix du pétrole amorcée à l'été 2014 et a fini par peser sur la production de pétrole de schiste américain qui a commencé à ralentir ces derniers mois.
L'Opep perd de son influence Mais si certains pensent que l'Opep a gagné la première manche face au pétrole de schiste, la victoire est amère, avec un prix du Brent autour des 64 dollars le baril contre 115 dollars à son pic de juin dernier, a souligné Eric Lee, analyste chez Citi. Le pétrole de schiste est un énorme rival pour le cartel et on pourrait dire que l'Opep a dû lui faire de la place et s'est vue forcée d'accepter des prix plus bas afin de conserver ses parts de marché, a tempéré l'analyste. A 60 dollars le baril de WTI, la référence américaine du brut, le pétrole de schiste commence à redevenir profitable, a indiqué Abhishek Deshpande, analyste chez Natixis. L'Opep ne pouvait pas restreindre la production américaine très longtemps, a-t-il souligné. Le rôle de l'Opep en tant que régulateur est considérable. Mais l'importance des pays hors Opec et qui n'exportent pas leur pétrole brut (comme les Etats-Unis qui exportent uniquement leurs produits pétroliers) augmente, a souligné Alexandre Novak, ministre russe de l'énergie. Si autrefois les décisions de l'Opep d'augmenter, maintenir ou diminuer ses quotas influaient directement sur l'équilibre entre l'offre et la demande et sur les cours, aujourd'hui ces décisions doivent être regardées en prenant en compte la production des pays qui n'exportent pas à l'étranger, a-t-il prévenu. Pour John Watson, P-DG de la major pétrolière américaine Chevron, les marchés du pétrole sont entrés dans une nouvelle ère. Le pétrole de schiste a été une incroyable révolution aux Etats-Unis. Nous produisons près de 5 mbj qui n'étaient pas attendus. Et le pétrole de schiste américain va devenir un mécanisme de rééquilibrage du marché dans les prochaines années, a souligné M. Watson. Je pense que l'Opep, ou au moins l'Arabie saoudite, ont reconnu il y a quelque temps déjà que la baisse de l'offre ne peut pas seulement venir du pétrole de schiste, a conclu Richard Mallinson, d'Energy Aspects. Car la production de pétrole de schiste sera la première à rebondir lorsque les prix augmenteront, et ce n'est le brut le plus cher à produire du marché.
Renoncer à influencer les prix du pétrole En décidant de maintenir son plafond de production à 30 millions de barils par jour (mbj), et de laisser le marché décider des prix du pétrole, l'Opep abandonne de son influence sur les cours aux Etats-Unis, mais conserve sa force stratégique. La décision du cartel de laisser son objectif de production inchangé vendredi n'aura pas le même impact sur les prix que lors de la réunion précédente, il y a six mois. Les prix avaient alors dégringolé pour finir, en janvier, à leur plus bas niveau en six ans, à 45,19 dollars le baril de Brent, contre autour de 63 dollars actuellement. Le cartel perd un peu de son influence au profit du marché pétrolier américain, et dans une moindre mesure au profit de la Russie. Mais le cartel reste une force dominante, juste un peu moins puissante que par le passé, indique Fawad Razaqzada, analyste chez Forex.com. L'Opep entend poursuivre sa stratégie en maintenant son plafond et en laissant le marché décider des prix, afin de mettre la pression sur la production hors-Opep. Une tactique principalement dirigée vers la production de pétrole de schiste américaine, qui, stimulée par des années de prix à 100 dollars le baril, a explosé et atteint 5 mbj. Mais si le nombre de puits de forage aux Etats-Unis a baissé de 60% depuis son pic du mois de septembre dernier, et que la production américaine montre des signes de ralentissement, l'offre non-Opep est toujours en hausse d'environ 2 mbj par rapport à l'année dernière, explique Richard Mallinson, analyste chez Energy Aspects. De plus, la production américaine semble plus souple et réactive aux prix que celle de l'Opep, ce qui pourrait offrir aux Etats-Unis le nouveau rôle d'équilibrer le marché. Les Etats-Unis semblent avoir la possibilité de contrôler l'offre en augmentant leur production lorsque les prix grimpent ou en la réduisant lorsque les prix baissent, et cela peut facilement influer sur les cours, note Abhishek Deshpande de Natixis.
Mécanisme de rééquilibrage Le pétrole de schiste américain va devenir un mécanisme de rééquilibrage du marché dans les prochaines années, a indiqué John Watson, le P-DG de la major pétrolière américaine Chevron la veille de la réunion de l'Opep. D'autant plus que le cartel dépasse son plafond - l'organisation produit actuellement plus de 31 mbj - ce qui réduit la capacité de production non utilisée que le cartel pourrait débloquer pour rapidement accroître l'approvisionnement des marchés si besoin. En ce moment les Etats-Unis ont une capacité de production non utilisée importante car le pays a foré des puits sans les finir, indique Thomas Pugh, analyste chez Capital Economics. Mais, si l'Opep ne réduit pas son offre et a une capacité de production non utilisée moindre, alors quelle est sa pertinence?, demande Seth Kleinman de Citi. Ce qui conserve à l'Opep toute sa force, c'est que le cartel est toujours capable d'influencer les prix stratégiquement, alors que la production américaine, surtout la production de schiste, est dominée par un grand nombre de petites compagnies. Le marché américain ne fonctionne pas comme une seule et même entité, il est extrêmement fracturé. Les grandes compagnies nationales pétrolières des pays de l'Opep ont une meilleure appréhension du marché mondial, souligne Jason Schenker de Prestige Economics.
Les six prochains mois décisifs Les prochains six mois seront déterminants pour savoir si la stratégie du cartel de continuer à produire pour lester les prix fonctionne vraiment, et ce sans mettre la patience des membres à rude épreuve. Cela va être très dur pour le Venezuela, l'Irak, la Libye et le Nigeria car ces pays sont à court d'argent, mais le résultat devrait donner une augmentation des prix, estime M. Mallinson. Mais l'Opep aura à gérer en son sein le retour de l'Iran en cas de levée des sanctions occidentales contre le pays, et la volonté de l'Irak d'accroître sa production à 6 mbj d'ici à 2020, contre autour de 3,5 mbj actuellement. L'offre dépasse toujours la demande, et si l'Opep continue de produire à ses niveaux actuels au deuxième semestre le surplus pourrait atteindre 1.3 mbj, selon des estimations de Barclays.