Plusieurs études ont dressés des constats souvent négatifs sur l'évolution du paysage bancaire maghrébine. L'une des études les plus fournies en la matière et qui fait partie du substrat du livre écrit récemment par le cercle des économistes méditerranéens revient au consultant Guillaume Almeras. Pour ce consultant qui, précisons-le, a fondé son étude sur la base des chiffres de l'exercice 2006, le système bancaire maghrébin peut être considéré comme appartenant à “ la moyenne haute des pays en développement ” si on lui appliquait les critères de développement mis en place par les théories de la croissance endogène. Ainsi, le rapport des crédits bancaires sur le PIB est de 78% en Tunisie, 76% au Maroc et seulement 26% en Algérie. A titre de comparaison, ce même rapport atteint 167% pour l'UE et 23% en Turquie. Rapportée au PIB, la capitalisation boursière, qui est de 123% aux USA, 100% au Chili, 76% en Corée du Sud et 41% au Brésil, tombe à 33% au Maroc, premier pays maghrébin par ce ratio. La Tunisie et l'Algérie suivent avec respectivement 15 et 0,2% de capitalisation boursière rapportée au PIB. Cette étude axe aussi sur l'incertitude qui demeure sur l'évolution du système bancaire algérien, dominé par des établissements publics (BNA et BEA, laquelle tire désormais 75% de son PNB de la seule Sonatrach). La phase privatisation (CPA, BDL entre autres) devrait inverser la donne. Si l'Algérie accuse un retard par rapport à la Tunisie et, surtout, par rapport au Maroc, la similarité des problèmes rencontrés est la même d'un pays à l'autre. La question du réemploi des ressources se pose de la même façon. Comme dans beaucoup d'autres pays en développement, les banques maghrébines sont structurellement en sur-liquidités. Mais ces ressources sont soit absorbées par les titres d'Etat à court terme, soit allouées sous forme de crédits à des entreprises publiques réputées mauvaises payeuses. Cette sur-liquidité est d'ailleurs à relativiser puisqu'elle est insuffisante pour répondre aux besoins de financement du développement des pays maghrébins. En Algérie, les banques sont à la fois en sur-liquidités en bilan mais, en réalité, sous capitalisées et très dépendantes des adjudications de la Banque centrale pour leur refinancement à court terme. Sur le plan managérial, le rapport Almeras met le doigt sur un manque d'indépendance du conseil d'administration par rapport à la direction, sur des insuffisances dans les systèmes de contrôle interne et parfois dans le management. Selon ce livre toujours, les banques du Maghreb assurent toujours prioritairement une fonction de conservation de valeurs, dont le montant décide de l'accès ou non des clients au crédit ”. Le retard accumulé demeure sans conteste dans l'accès des opérateurs économiques et les entreprises au financement bancaire. Si l'intermédiation bancaire en Algérie est incontournable en Tunisie et au Maroc, elle y est en revanche peu efficace, poursuit l'auteur du rapport. Les banques de ces deux pays accumulent les créances en souffrance et restreignent l'offre de crédits apportés au secteur privé à un volume sensiblement inférieur à la moyenne des pays émergents. En effet, les non-performing loans ne représentent que 6% de l'ensemble des crédits accordés dans les pays émergents contre 20,9% au Maroc et 19,4% en Tunisie. Le poids des impayés et des défaillances conjugué aux difficultés de traiter les contentieux expliquent en partie la faiblesse du crédit. “ Le crédit est cher parce que les banques limitent l'offre de crédit en quantité (peu d'entreprises y accèdent), en qualité (peu d'engagements à moyen-long terme) ”. A ces raisons restreignant le crédit, il faut ajouter des conditions draconiennes avec une garantie patrimoniale impérative, un cash collatéral exigé pour les opérations de commerce international. Situation d'autant plus insolvable pour les agents économiques que l'alternative censée être apportée par le marché de l'intermédiation non bancaire n'est pas encore suffisamment développée. Le capital investissement compte une dizaine d'acteurs au Maroc, et moins de fonds spécialisés comme celui d'Upline dédié au NTIC. En Tunisie, les SICAR (fonds de capital risque) permettent surtout aux banques de convertir leurs créances en souffrance en titres de participation. En ce qui concerne l'Algérie, le capital investissement est quasiment absent . D'une manière générale, le marché maghrébin est étroit. “ Cela revient à dire que la conquête des marchés financiers maghrébins devrait commencer en Europe. ” Dans une telle situation , les banques ont tendance à se livrer à une surenchère sur quelques “ bons risques ”. “ Leur forte concentration sur ces risques expose les banques à des défaillances en chaîne (l'analyse du stock de créances en souffrance portées par l'ensemble des banques tunisiennes actuellement révèle un faible nombre de contreparties) et les oblige à conserver sous forme de placements sécurisés à court terme (bons du Trésor) de fortes liquidités ”. Autre paradoxe, le faible développement des produits d'épargne, alors que les banques sont engagées dans une véritable course à la collecte des dépôts. “ On retrouve là un effet de la faiblesse des systèmes financiers locaux : le manque de placements porteurs permettant une gestion différenciée, dynamique, des fonds collectés ”. Pour booster ce créneau, la voie la plus rapide serait de permettre le placement des actifs sur des supports européens, ce qu'autoriserait précisément la collecte, à travers ces produits d'épargne, des transferts issus de l'immigration. La conclusion de l'étude sonne comme un bon conseil aux établissements financiers français intéressés par la région : “ Si le Maghreb représente aujourd'hui un potentiel pour les établissements financiers français, ce n'est peut-être pas tant par ses marchés, qui demeurent bien étroits et difficiles, mais dans un cadre englobant les deux côtés de la Méditerranée et profitant des liens linguistiques, culturels et financiers existants pour y démultiplier offres et moyens de traitement. Cela revient à dire que la conquête des marchés financiers maghrébins devrait commencer en Europe ”. C'est là tout l'enjeu que représentent les transferts issus de l'émigration maghrébine. Un marché très conséquent évalué entre 5 et 10 milliards d'euros et sur lequel aucun établissement bancaire européen n'a réussi à greffer ses services.