Le projet d'accord élaboré mardi dernier par Ankara et l'UE sur la gestion des flux migratoires a suscité des critiques et la vive préoccupation de l'Onu. Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a exprimé mardi de vives réticences au sujet du projet d'accord entre l'Union européenne et la Turquie prévoyant de renvoyer tous les migrants vers la Turquie, y compris les demandeurs d'asile syriens. "Je suis inquiet que de nombreux pays européens prennent de plus en plus de mesures pour limiter l'asile", a-t-il estimé, à l'issue d'une rencontre avec la chancelière allemande Angela Merkel. Selon ce plan négocié à Bruxelles, Ankara propose d'accepter le retour de tous les migrants, y compris des réfugi és syriens, en échange d'une aide financière de trois milliards d'euros et d'une accélé- ration des négociations d'adhésion à l'UE. En contrepartie, pour chaque demandeur d'asile ainsi renvoyé vers la Turquie, les Européens s'engageraient à "réinstaller" un réfugié dans l'UE depuis la Turquie: c'est le principe du "un pour un". "De telles actions divisent les communautés, sèment l'instabilit é et trahissent les valeurs et les standards qui sont le socle de l'Union europ éenne", a encore déclaré Ban Ki-moon. Le Haut-commissaire aux réfugiés de l'Onu, Filippo Grandi, s'est dit inquiet par l'accord ébauché entre Ankara et l'UE. "Je suis profondément préoccupé par tout arrangement qui impliquerait le retour indiscriminé de gens d'un pays à un autre et ne détaillerait pas les garanties de protection des réfugiés en vertu du droit international", a indiqué M. Grandi, devant le Parlement européen à Strasbourg. "L'expulsion collective d'étrangers est interdite par la convention européenne des droits de l'Homme", a soulign é de son côté le coordinateur régional du HCR en Europe, Vincent Cochetel. Pour Amnesty International, l'accord "signe l'arrêt de mort du droit d'asile en Europe". Sarah Crowe, porte-parole de l'Unicef, a elle, rappelé "que les enfants constituent quelque 40%" des migrants arrivant en Grèce, appelant les décideurs "à leurs responsabilit és et à leurs obligations d'assurer aux enfants fuyant la guerre un accès sûr et légal aux mesures appropriées telles que la réunion avec les familles". "Ces garanties doivent être détaillées légalement et elles devraient gouverner tout mécanisme dans lequel la responsabilit é d'examiner une demande d'asile est transfé- rée" à un pays tiers, en l'occurrence par l'UE à la Turquie, a insisté le haut-commissaire de l'ONU. Un porte-parole de la Commission européenne, Alexandre Winterstein, a assuré mardi que "les détails qui doivent encore être affinés ( ) seront évidemment pleinement conformes à la fois au droit européen et international". Selon The Guardian, Bruxelles ferme les yeux sur le despotisme, la censure et les violences commises par Ankara, lui promettant l'adhé- sion à l'Union européenne en échange de son aide sur la question des réfugiés et le maintien de la stabilité au Proche-Orient. Voir les leaders européens s'incliner devant le président turc, Recep Tayyip Erdogan, lors du sommet UE-Turquie est écurant, estime le chroniqueur du Guardian, Paul Mason. Selon M. Mason, l'Union européenne est à la recherche d'une aide dans la résolution de la crise migratoire auprès d'un pays où la censure et le despotisme s'aggravent de jour en jour: la Turquie mène une guerre contre les minorit és ethniques, la police prend d'assaut le bureau du journal d'opposition Zaman, ses services secrets sont accusés d'envoyer des armes à l'Etat islamique et son armée abat un bombardier russe. Et malgré cela, Ankara espère devenir un membre de l'Union europ éenne. Il y a trois ans, M. Erdogan avait toutes les chances d'atteindre un équilibre dans son pays. On pouvait supposer que les parties progressistes et réactionnaires de la société seraient en mesure de coexister pacifiquement, tandis que les Kurdes auraient des sièges dans l'opposition parlementaire, se souvient Paul Mason. Tout a changé à présent. L'Union européenne sait que le président turc réprime brutalement les manifestations, qu'il a mis fin à la trêve avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et qu'il a presque brûlé plusieurs villes kurdes dans le sud de la Turquie. Mais cette Europe, par intérêt, ferme les yeux sur la destruction de la démocratie turque et les exactions des militaires contre les civils. La question principale, dès lors, pour les Européens, est de déterminer si un Etat qui viole tous les critères d'adhé- sion à l'Union européenne peut espérer y entrer. La réponse est bien sûr négative. Et les citoyens européens ont le droit de connaître la vérité sur la Turquie, estime l'analyste britannique.