François Fillon, favori pour l'investiture présidentielle à droite, et Alain Juppé, "outsider" malgré lui, se sont mesurés jeudi soir avant le second tour de la primaire. Lors de ce débat, la retenue l'a emporté pour éviter de nouveaux déchirements. Après trois jours d'affrontements consécutifs à la qualification surprise de l'ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy avec 44,1% des voix contre 28,6% au maire de Bordeaux, les deux prétendants ont ostensiblement joué l'entente cordiale, quitte à noyer l'enjeu sous des échanges techniques. Dans ce débat à l'image des duellistes - policé, quelque peu crispé, lesté d'une évidente lassitude -, la polémique lancée dans les médias par Alain Juppé sur la position de François Fillon relativement à l'avortement a donné lieu au seul moment de tension palpable. "Evidemment je ne toucherai à rien dans ce domaine, c'est la loi Veil, toute la loi Veil", s'est défendu François Fillon. "Je trouve que le procès qui m'a été fait depuis quelques jours n'est pas correct", a-t-il poursuivi à l'adresse d'Alain Juppé qui avait jugé "ambigus" ses propos sur l'IVG. Alain Juppé a alors évoqué la "campagne ignominieuse" dont il a été la cible sur les réseaux sociaux, où il a été accusé de collusion avec le salafisme et d'antisémitisme, et a dénoncé l'absence de réaction des fillonistes. Au-delà de cette friction personnelle, l'échange a mis en évidence des différences d'approche sur la méthode de réforme, plus que sur le fond des projets. "La réforme ce n'est pas la pénitence, c'est l'espérance", a souligné Alain Juppé. Le chiraquien a ainsi une nouvelle fois interpellé son rival, qui propose un programme économique libéral, sur son projet de réduire de 500'000 le nombre de fonctionnaires en cinq ans en portant "progressivement" la durée hebdomadaire du travail de 35 heures à 39 heures. "C'est vrai que mon projet est plus radical, peut-être plus difficile", mais il "rompt avec une forme de pensée unique qui s'est déchaînée depuis quatre jours", a plaidé François Fillon, qui a déjà dit par le passé admirer la Dame de fer britannique Margaret Thatcher. Dans une France qu'il juge "au bord de la révolte", face à un modèle social qui "prend l'eau de partout", il a estimé légitime que les fonctionnaires (5,7 millions en France) "accomplissent un effort de travail supplémentaire pour permettre au pays de se redresser". Impossible a répliqué Alain Juppé : "On prend les paris", a-t-il lancé. "On ne peut pas demander à des fonctionnaires de travailler plus pour gagner moins." "Victoire idéologique" "ça veut dire en fait qu'Alain Juppé ne veut pas vraiment changer les choses: il veut les améliorer [...] mais je suis convaincu que ce ne sera pas suffisant, a riposté François Fillon, reprenant à son compte le registre de Nicolas Sarkozy. Ce dernier accusait Alain Juppé avant le premier tour d'œuvrer à une "alternance molle". Face à un François Fillon estimant avoir remporté "une victoire idéologique" lors du premier tour, Alain Juppé a insisté de nouveau sur le rassemblement. Et d'estimer que "les déçus du hollandisme" étaient aussi des "déçus du sarkozysme", et a vanté la "diversité" de l'identité française. "J'ai confiance en vous et nous allons continuer ensemble", a-t-il dit, alors qu'il accuse un déficit de plus de 665'000 voix sur François Fillon. "Il y a trois ans, quand j'ai commencé ma campagne, j'étais seul. Aujourd'hui, nous sommes des millions. Je sens une vague qui se lève", a dit pour sa part François Fillon. A la question de savoir s'ils éprouvaient des regrets au sortir de cette bataille au long cours, le député de Paris a répondu : "C'est d'avoir mis autant de temps à convaincre". Alain Juppé, qui avait survolé les sondages depuis son entrée en lice en août 2014, a lâché "J'en ai beaucoup", avant de se reprendre: "Non en fait pas tellement. (...) Je vais réfléchir à votre question". Comme si l'épilogue était déjà connu. Face à une gauche en miettes, le vainqueur de cette primaire a, selon les sondages, toutes les chances d'affronter la cheffe du Front national (extrême droite) Marine Le Pen au second tour de la présidentielle française en 2017. Un sondage Ifop-Fiducial donnait mercredi François Fillon gagnant avec 65% des suffrages et une enquête Elabe montrait jeudi soir que François Fillon avait été jugé le plus convaincant par 57% des téléspectateurs contre 41% pour Alain Juppé.