François Hollande, dont les intentions étaient scrutées depuis des semaines par une majorité socialiste divisée et pessimiste sur les chances de figurer au second tour, a annoncé jeudi qu'il renonçait à se présenter à l'élection présidentielle de 2017. "Aujourd'hui je suis conscient des risques que ferait courir une démarche, la mienne, qui ne rassemblerait pas largement autour d'elle, aussi j'ai décidé de ne pas être candidat à l'élection présidentielle", a dit le chef de l'Etat, le visage grave et visiblement ému, dans une déclaration à l'Elysée. "Dans les mois qui viennent, mon devoir, mon seul devoir sera de continuer à diriger le pays, celui que vous m'avez confié en 2012, en m'y consacrant pleinement et dans le dévouement le plus total à la République", a-t-il ajouté après avoir dressé un bilan positif de son quinquennat. C'est la première fois qu'un président en exercice de la Ve République renonce à briguer un second mandat. Cette décision survient dix jours après l'élimination de la course à la présidentielle d'un autre chef de l'Etat, Nicolas Sarkozy, qui avait annoncé dans la foulée son retrait de la vie politique. Président le plus impopulaire de la Ve République, François Hollande était crédité de moins de 10% dans les sondages pour le premier tour de l'élection présidentielle alors que le candidat de la droite et du centre, François Fillon, caracole en tête des sondages pour le second tour de la présidentielle. Son Premier ministre, Manuel Valls, qui a assuré à de nombreuses reprises être prêt à affronter la droite à la présidentielle, devrait donc concourir à la primaire de la gauche organisée fin janvier. "Sursaut collectif" Il y affronterait notamment son ancien ministre de l'Economie Arnaud Montebourg et son ex-ministre de l'Education nationale Benoît Hamon, expulsés du gouvernement pour avoir contesté la politique et l'autorité de François Hollande. Sans rien dire de ses intentions, le Premier ministre a estimé dans un communiqué que la décision du président sortant était "le choix d'un homme d'Etat" et que le quinquennat serait apprécié à sa "juste valeur : cinq années de progrès pour la France et les Français. (Pour les réactions :) Dressant un inventaire de ses quatre années et demie passées à la tête de l'Etat, François Hollande a dit "assumer" son bilan, "revendiquant les avancées, en reconnaissant les retards et en admettant certaines erreurs". (Papier bilan:) "Les résultats arrivent, plus tard que je ne les avais annoncés, j'en conviens, mais ils sont là : l'investissement, la consommation, la construction repartent et, depuis le début de l'année, le chômage enfin diminue", a souligné le chef de l'Etat qui avait fait de l'inversion de la courbe du chômage une condition pour sa candidature. "Il reste à un niveau très élevé et je mesure ce que cette situation peut avoir d'insupportable pour nos concitoyens qui vivent dans la précarité." A cinq mois de l'élection présidentielle, il a épinglé les programmes des candidats de la droite et de l'extrême droite qui font la course en tête dans les sondages, appelant à "un sursaut collectif et qui engage tous les progressistes qui doivent s'unir dans ces circonstances". "Je ne veux pas que la France soit exposée à des aventures qui seraient coûteuses et même dangereuses pour son unité, pour sa cohésion, pour ses équilibres sociaux, voilà le message que j'étais venu ici vous adresser", a-t-il dit. "Pagaille politique" François Hollande met en garde contre le projet de François Fillon, "qui met en cause notre modèle social et nos services publics sans aucun bénéfice au contraire pour notre économie et avec un risque d'aggravation des inégalités". Quant à l'extrême droite, systématiquement qualifiée pour le second tour dans les sondages, "elle nous appelle au repli, à la sortie de l'Europe et du monde", a-t-il dit. "Le plus grand danger, c'est le protectionnisme, c'est l'enfermement et ce serait d'abord un désastre pour les travailleurs français". Dans un communiqué publié quelques minutes après la fin de la déclaration de François Hollande, François Fillon a dénoncé un quinquennat s'achevant "dans la pagaille politique et la déliquescence du pouvoir". "Plus que jamais, l'alternance et le redressement de la France doivent être bâtis sur des bases solides : celle de la vérité sans laquelle il n'y a pas de confiance des Français et celle de l'action courageuse seule en mesure d'obtenir des résultats", a estimé l'ex-Premier ministre, qui fait figure de favori pour succéder à Hollande au printemps. Emmanuel Macron, qui a démissionné du gouvernement en août pour se lancer dans la course à la présidentielle, a salué une décision "courageuse". "Quand on a passé sa vie dans le combat politique, prendre la décision qu'il a prise aujourd'hui n'est pas neutre, quelle que soit son impopularité actuelle", a dit l'ex-ministre de l'Economie sur RTL. Pour le premier secrétaire du Parti socialiste, Jean-Christophe Cambadélis, le chef de l'Etat "avec élégance, hauteur de vue, sens de la France et non sans émotion, a décidé de protéger son bon bilan". Voie ouverte, mais sinueuse, pour une candidature Valls Passé la sidération provoquée par le renoncement de François Hollande, les regards des socialistes se tournent vers Manuel Valls, qu'une partie de son camp presse de prendre la relève en se présentant à la primaire de la gauche. S'il n'a rien dit de ses intentions depuis l'allocution présidentielle de jeudi soir, le Premier ministre n'a pas fait mystère ces derniers temps de sa volonté d'entrer dans la danse. S'il franchissait le pas, la question du départ de Matignon du chef de la majorité se poserait. Celui qui affirmait ce week-end dernier être "prêt" à en découdre dévoilera peut-être ses intentions samedi à Paris, dans son discours de clôture du meeting de la Belle alliance populaire, organisatrice de la primaire censée désigner le représentant du PS et de petits partis affiliés pour la présidentielle de 2017. En déplacement à Nancy, Manuel Valls n'a pas abattu ses cartes, se contentant de rendre hommage à la décision de François Hollande, un "homme d'Etat" qui a "toujours privilégié le rassemblement". "Nous devons défendre le bilan, nous devons défendre cette action et je le ferai, comme je le fais inlassablement dans les fonctions qui ont été les miennes depuis 2012", a-t-il dit. En attendant sa décision, les socialistes s'organisent, certains pour le soutenir par avance, d'autres pour s'opposer à la ligne politique qu'il incarne, plus à droite que le centre de gravité du parti majoritaire. "Pour moi, celui qui a la force de pouvoir y aller aujourd'hui, c'est Manuel Valls", a estimé sur RTL le ministre de la Ville, Patrick Kanner, tout en suggérant à son supérieur hiérarchique de patienter encore avant de se dévoiler. "J'ai le sentiment que les particules doivent un peu retomber, que chacun doit prendre conscience de la décision exceptionnelle qui a été prise par François Hollande", a-t-il justifié, alors que le chef de l'Etat vient d'entamer un voyage de deux jours à Abou Dhabi. "Un petit côté Iznogoud" Elle aussi favorable à l'option Valls, Juliette Méadel met en avant la proximité entre président et Premier ministre. "Manuel Valls est le candidat qui est solidaire de François Hollande sur le projet que nous portons en majorité au Parti socialiste. Et, aujourd'hui, il a évidemment toute sa légitimité pour prolonger le travail qui a été fait", a jugé la secrétaire d'Etat à l'Aide aux victimes sur Europe 1. Un avis loin d'être unanime, en particulier à l'aile gauche du PS où l'on s'oppose depuis deux ans et demi à ce Premier ministre tenu pour l'un des premiers responsables des maux de la gauche et aujourd'hui accusé d'avoir poussé François Hollande vers la sortie. "Il a un petit côté Iznogoud depuis un mois", a persiflé sur France Info le député "frondeur" Pascal Cherki, rejoint sur ce point par de nombreux soutiens "hollandais". "Lorsque j'ai lu l'interview du Premier ministre au Journal du dimanche, là j'ai trouvé que la coupe était pleine, et que ça débordait même", a déclaré sur France 2 Bernard Poignant, un proche du président. Dans son interview au JDD, Manuel Valls n'excluait pas de se présenter à la primaire des 22 et 29 janvier, au risque de semer la discorde au sommet de l'exécutif. Benoît Hamon et Arnaud Montebourg, ministres de François Hollande jusqu'en 2014 et aujourd'hui prétendants à la succession, considèrent que Manuel Valls n'a pas le profil lui permettant d'incarner l'avenir de la gauche. Selon Benoît Hamon, le sort de la gauche tout entière est en jeu derrière cette querelle de personnes. "Ce que nous allons trancher, ce n'est pas rien : savoir si le Parti socialiste se trouve toujours au centre de gravité de la gauche ou est-ce qu'il se déporte progressivement vers une préférence au centre", a estimé l'ex-ministre de l'Education, interrogé sur RTL. "Une préférence au centre qu'a parfaitement incarnée Manuel Valls". Prime à Valls dans les sondages Pour l'heure, les sondages accordent une prime à l'ex-Premier ministre face à ses possibles adversaires. Selon une étude Harris Interactive réalisée dans les heures suivant l'allocution de François Hollande, 33% des sympathisants de gauche souhaitent une victoire de Manuel Valls, contre 20% de partisans d'Arnaud Montebourg et 13% de Benoît Hamon. L'écart est encore plus net parmi les seuls sympathisants socialistes, qui espèrent à 57% une victoire de l'ancien maire d'Evry (Essonne). Mais, entre les pro et les anti-Valls, un contingent d'élus entend réfléchir devant le choix pléthorique, qui inclut le candidat de "La France insoumise" Jean-Luc Mélenchon et l'ancien ministre Emmanuel Macron, qui a entamé une campagne "ni de droite, ni de gauche". "Je me donne un petit délai de réflexion", a dit à Reuters le député PS Philippe Duron. "On va voir sur quel discours Valls va être candidat. Théoriquement je ne rejoindrai pas Macron, parce que je suis dans le parti". Rien n'est donc joué dans cette campagne où rien ne se passe décidément comme prévu, selon une formule du président sortant. "François Hollande n'a pas dit que c'était Manuel Valls qui était son successeur", rappelle Stéphane Rozès, de la société d'analyses CAP. Même si les deux hommes se sont parlé avant et après l'allocution présidentielle, le chef de l'Etat s'est gardé de désigner le Premier ministre comme son successeur. "Ça aurait été plus facile s'il avait adoubé Manuel Valls parce qu'alors il lui aurait transmis le flambeau. Il ne l'a pas fait. C'est sans doute la preuve que pour lui Manuel Valls avait peut-être dépassé des lignes", analyse Stéphane Rozès. "Les risques que la gauche soit éliminée dès le premier tour subsistent, sauf si lors de la primaire un candidat arrive à dégager une dynamique suffisante". Les Français plébiscitent le renoncement de Hollande Plus de huit Français sur dix (82%) approuvent la décision de François Hollande de ne pas briguer un nouveau mandat à l'Elysée, selon un sondage Harris Interactive pour RMC. L'enquête a été publiée hier, au lendemain de l'annonce présidentielle. Seuls 4% des sondés expriment leur désapprobation, selon cette étude réalisée en ligne auprès de 803 personnes dans les heures suivant l'allocution de François Hollande. Le Premier ministre, Manuel Valls, qui entretient depuis plusieurs semaines l'ambiguïté sur ses ambitions, figure en tête des personnalités que les Français souhaitent voir remporter la primaire de la gauche (24%). Il devance Arnaud Montebourg (14%) et Benoît Hamon (6%), tous deux officiellement candidats. Près de la moitié des sondés (4%) n'affichent cependant aucune préférence pour l'un des huit candidats déclarés ou pressentis. Les seuls sympathisants socialistes interrogés réservent un plébiscite à Manuel Valls: 57% d'entre eux aimeraient qu'il soit investi à l'issue de la primaire de janvier. Seuls 15% lui préfèrent Arnaud Montebourg et 8% Benoît Hamon. Dans une interview au Journal du dimanche, le chef du gouvernement avait laissé entendre qu'il se préparait à une possible candidature.