En avance sur son temps, le Matra Simca Rancho préfigurait Les SUV urbains de nos jours. Les Peugeot 2008 et Renault Captur doivent beaucoup à cette fourgonnette déguisée en baroudeur. Quarante ans après son lancement, le recul permet de rendre au Rancho la place qu'il mérite dans l'histoire de l'automobile. Aujourd'hui, les SUV et crossovers urbains sont à tous les coins de rue. La plupart d'entre eux ne posent jamais une roue en dehors du bitume, pour la simple et bonne raison qu'ils ne disposent que de deux roues motrices. Renault Captur, Peugeot 2008, Audi Q2… Tous séduisent par leur gabarit compact, leur habitabilité suffisante pour une petite famille et, surtout, leur look de baroudeur. Si le Nissan Juke a réveillé la catégorie, tous ces modèles ont eu un précurseur, en la personne du Matra-Simca Rancho. Quarante ans après son lancement en 1977, le recul nous permet de redonner à ce véhicule la place qu'il mérite dans l'histoire de l'automobile. Selon son concepteur Philippe Guédon, le Rancho, c'est "la recette du pain perdu appliquée à l'automobile". En effet, ce modèle reprend un maximum d'éléments issus de la grande série, en l'occurrence de chez Simca, partenaire attiré de Matra depuis le lancement de la sportive Bagheera et les engagements conjoints aux 24 heures du Mans. La caisse est donc reprise de la Simca VF2, version utilitaire de la berline 1100. Quant au moteur, il est vient de la 1308 GT. Et de nombreux éléments techniques et d'accastillage sont empruntés à la 1100 TI. Le Matra Rancho, "la recette du pain perdu appliquée à l'automobile" Aujourd'hui, et de manière moins artisanale, ce mode opératoire rappelle celui choisi par Peugeot pour le 2008. En effet, ce petit SUV conserve la plateforme, les moteurs, la planche de bord et même les portières de la 208. D'aucuns pourront même trouver que le décroché de la ligne de toit constitue un hommage appuyé au Rancho ! Cette base reprise de la grande série a conduit Matra à se cantonner à la fabrication de pièces supplémentaires et à leur assemblage sur les caisses nues en provenance de Poissy. Cet ajout très rationalisé est une demande expresse de Jean-Luc Lagardère, qui croyait mollement au projet. "D'accord, mais faites vite et économique" a-t-il dit à Philippe Guédon. Résultat : seuls quinze millions de francs seront déboursés pour étudier le véhicule, un record ! Avec le Rancho, l'usine Matra de Romorantin continue à jouer de sa spécialité, en recourant à la fibre de verre. Cette technique parfaitement adaptée à la petite série vient de l'histoire de la marque. Matra Automobiles est en effet issue du rachat du petit constructeur René Bonnet, dont la Jet disposait d'une carrosserie en polyester. Le composite a suivi son chemin sur sa remplaçante la Matra 530, avant d'être renforcé de fibre de verre sur la Bagheera. En toute logique, la cellule arrière du Rancho fait appel au même principe de fabrication. Certes la plus spectaculaire, cette pièce ne constitue pas la seule addition de Matra à la Simca VF2 qui sert de base au Rancho. Matra a également étudié un hayon vitré, des ailes élargies, des protections latérales, des phares longue portée… En plus d'avoir renforcé châssis, longerons et suspension pour faire face aux chemins cahoteux. Le Matra Rancho, annonciateur des crossovers d'aujourd'hui Au-delà de la réalisation, somme toute classique, il convient surtout de s'attarder sur l'idée. Comment Matra a-t-il accouché de ce véhicule, qui a annoncé avec plus de trente ans d'avance les véhicules qui sillonnent aujourd'hui nos rues ? Comme souvent chez Matra, le projet est né d'un besoin impérieux de faire tourner l'usine. Bien vite, les dirigeants se sont aperçus que les sportives (d'abord la Bagheera puis la Murena) ne suffiraient pas à occuper les chaînes de Romorantin. Avec son flair habituel, Philippe Guédon s'est alors imaginé qu'il existait une petite place sur le marché pour un modèle à mi-chemin entre la Citroën Méhari et le Range Rover Cette voiture de plage et ce 4x4 de luxe rencontraient alors un succès plutôt enviable… Au fil des ans, le Rancho s'est montré à la hauteur des espérances de ses concepteurs. 56.457 exemplaires ont été fabriqués en six ans de carrière. Certains clients ont même appelé directement l'usine de Romorantin après l'annonce de son retrait en 1983, pour en commander un dernier exemplaire. Le look de baroudeur, combiné à une mécanique de grande série et un équipement plutôt généreux ont donc su faire mouche, malgré un tarif de vente assez élevé. Voilà des arguments qui séduisent toujours sur les crossovers aujourd'hui. Face à ce succès, Matra a envisagé de développer la formule. Ainsi, des croquis du styliste Antoine Volanis ont laissé imaginer une Horizon affublée du même traitement. Voire, à l'échelle supérieure et avec cinq portes, une 1307. Finalement, tout cela est devenu caduc suite à l'absorption de Chrysler Europe, et donc Simca, par PSA. Et à Romorantin, le Rancho a cédé place à un autre phénomène, le Renault Espace. Le monospace a alors poussé le crossover vers la sortie, exactement l'inverse de la tendance actuelle… Conscient des limites techniques de son Rancho, Matra a tenté de lui conférer des capacités en hors-pistes un peu meilleures que celles de la berline. La garde au sol rehaussé à 21 cm sur tous les modèles était déjà un premier pas. Les versions Grand Raid ajoutaient un différentiel à glissement limité, destiné à améliorer la motricité. Mais le plus étonnant fut l'étude d'une version hybride à quatre roues motrices. Dériver une version 4x4 traditionnelle du Rancho aurait nécessité des modifications de plateforme trop coûteuses pour les volumes envisagés. Alors, le bureau d'étude développa un prototype doté d'un moteur électrique sur le train arrière (en fait un alternateur renforcé). Le manque d'efficacité de cette solution, due à un trop faible puissance électrique entraîna le gel du projet. Il n'empêche que cette architecture a fait des émules, par exemple chez Lexus (RX et NX à quatre roues motrices) ou PSA (3008 HYbrid4…). Le Rancho est donc précurseur à plus d'un titre !