Quand Ford fait venir d'Inde une Ka+ presque aussi encombrante que sa Fiesta, le Coréen Kia persiste à proposer une citadine réellement compacte. Stratégies comparées sur un marché très disputé. Les tout petits modèles font de moins en moins recette. Fort peu rémunérateurs par nature, ils voient leur prix de revient augmenter chaque fois que se renforcent les normes de protection de l'environnement et des passagers. Résultat, l'écart de prix et d'équipement entre une mini citadine (segment A du marché) et sa grande sœur d'aspect plus valorisant du segment B se resserre dangereusement. Au bénéfice de la seconde. Seul l'attrait d'une meilleure maniabilité sauve la mini citadine. Pour tenir les coûts, chacun y va de sa méthode. Certains constructeurs ravalent leur fierté et s'allient à d'autres pour distribuer sous différentes marques un produit identique. Le Groupe PSA produit ainsi avec Toyota Motor Corporation les Peugeot 108, Citroën C1 et Toyota Aygo dans une usine érigée en Slovaquie en 2003. Et puis il y a les constructeurs qui assument seuls l'étude et l'industrialisation d'un modèle d'entrée de gamme, quitte à faire appel à leurs filiales implantées sur les marchés émergents. C'est le cas du géant américain Ford Motor Company qui importe depuis peu en Europe sa Ford Ka+ conçue et fabriquée en Inde. Sa devancière (2009-2016) était fabriquée en Pologne sur les chaînes qui produisent la 500 de Fiat, maître incontesté ès petites autos.
La mini citadine rapporte peu mais importe beaucoup La récente Ford Ka+ profite d'une main d'œuvre indienne si bon marché qu'elle efface le coût du transport et des nombreuses modifications jugées nécessaires pour la rendre acceptable aux yeux de l'automobiliste européen (aspect des plastiques de la planche de bord, degré d'insonorisation et d'équipement). Il n'empêche que les marges ne doivent pas être énormes. Ford ne dira pas combien il gagne sur chaque Ka+ vendue et se contente de rappeler qu'il n'a pas coutume de vendre à perte. D'ailleurs, aucun constructeur ne révèle ce que lui coûte sa présence sur le segment A, de crainte de révéler ses faiblesses. Le Groupe Volkswagen - qui enchaîne les déceptions avec ses Lupo, Fox et Up! - n'a-t-il pas tenté d'entrer au capital du spécialiste japonais de petite voiture Suzuki précisément pour percer le secret de son savoir-faire ? C'est dire si le marché de la toute petite voiture est concurrentiel. Pourtant les grands constructeurs européens persévèrent : il n'est pas question d'abandonner le terrain aux constructeurs coréens qui redoublent d'ardeur. La raison est simple : chaque mini citadine vendue concourt à diminuer la moyenne de leurs émissions de CO2 et à les rapprocher du fameux objectif global de 95 g/km de CO2 à l'horizon 2021. C'est particulièrement vrai pour l'Allemand Daimler, qui désespérait d'équilibrer les comptes de sa marque Smart lorsque Renault est venu toquer à sa porte. De leur entente est née une petite 4-places vendue sous les noms de Smart Forfour II et de Renault Twingo III, fabriquées dans la même usine en Moselle. Le jeu en vaut-il la chandelle ? Aucun des deux partenaires n'en dit mot, mais on se souvient de la promesse de Thierry Bolloré au moment de la sortie de la Twingo : "Elle sera rentable." Car ce critère ne coule pas de source. On sait que Renault hésitait à assumer seul le coût d'une troisième Twingo. Le grand patron Carlos Ghosn avait même confié à Challenges que les comptes de sa devancière (2007 à 2014) étaient tout juste parvenus à l'équilibre, alors que la toute première Twingo n'avait jamais dégagé le moindre bénéfice en quatorze ans de carrière.
Les mini citadines rejettent le misérabilisme La stratégie de Ford ne se limite pas à mettre fin à son partenariat avec Fiat : avec ses 3,93 mètres de long, la Ford Ka+ n'appartient plus véritablement au segment A et rejoint la Dacia Sandero dans cette catégorie des "grosses" citadines à bas coût. "Notre objectif n'est pas d'offrir la voiture la moins chère de sa catégorie mais d'offrir le meilleur rapport entre prix et prestations", explique Darren Palmer, en charge du programme des véhicules du Segment B pour Ford. La Ka+ est tellement soucieuse de son prix qu'elle renonce à offrir (ne serait-ce qu'en option) un navigateur GPS à écran intégré. Elle propose en revanche un support universel pour téléphone. Aucun compromis de ce genre à bord de la toute nouvelle Kia Picanto, troisième du nom : fidèle à sa réputation, la plus petite des Kia présente une dotation en équipements généreuse. Cela ne l'empêche pas de se passer d'autoradio et de climatisation sur sa version à prix d'attaque, comme la Ford. Un pur instrument de mercatique, utile pour attirer le chaland en concession d'où il repartira au volant d'une voiture irrémédiablement plus chère. Et mieux équipée. L'augmentation de tarif de 950 euros par rapport à l'ancienne Kia Picanto se justifie aisément par le fait que cette dernière laissait le choix entre une carrosserie à 3 ou à 5 portes, la seconde étant facturée 500 euros plus cher. La Picanto gagne par ailleurs quelques accessoires, comme l'allumage automatique des feux ou le freinage d'urgence. Là où la Renault Twingo et la Ford Ka+ se contentent d'un seul moteur pour contenir leurs coûts, la Kia Picanto s'offre le luxe d'offrir le choix entre deux motorisations : un 3-cylindres de 67 chevaux et un 4-cylindres 1.2 de 84 chevaux. Il y aura même une variante suralimentée de 100 chevaux du 3-cylindres d'ici la fin 2017.
Kia mise sur l'effet d'échelle et le suréquipement Cette force de frappe vient de l'assise internationale de Kia Motors qui unit ses destinées à celles de son compatriote Hyundai Motors pour former le cinquième constructeur mondial. Les économies d'échelle sur lesquelles Ford fonde tant d'espoirs avec sa Ka+ joue à plein pour la Kia qui partage avec la petite Hyundai i10 ses fondements fabriqués en Corée. Ils ont été mis à jour avec une teneur augmentée en aciers à haute limite élastique. C'est autant d'économisé que la petite Kia choisit d'investir dans une refonte de ses apparences. "En Europe, l'automobiliste qui cherche la compacité d'une mini citadine réclame les mêmes équipements que sur les citadines du segment B : écran tactile, chargeur à induction pour téléphone, freinage d'urgence automatique. Ailleurs dans le monde, le consommateur se contente d'une auto pratique et économique", analyse Michael Cole, Chief Operating Officer, Kia Motors Europe. Après la Fiat 500, le trio 108-C1-Aygo et la Renault Twingo, la toute nouvelle Kia Picanto entend donc glisser à son tour sur la vogue de la personnalisation. Elle bénéficie de plastiques à l'aspect plus flatteur que la moyenne et propose des combinaisons de coloris (11 à l'extérieur, 10 à l'intérieur) qui mettent son conducteur à l'abri de l'image de l'automobiliste "près de ses sous". Quant aux propriétaires du modèle actuel, Kia compte les fidéliser en pointant la baisse de la consommation, l'amélioration de l'habitabilité pour un encombrement identique et l'arrivée d'équipements inédits. Sans oublier la garantie de sept ans ou 150.000 km. "Près de 70 % des possesseurs de Picanto rachètent une Kia, et trois quarts d'entre eux choisissent une autre Picanto", souligne Michael Cole. Ceux qui risqueraient de se lasser pourront choisir la version GT-Line à connotation sportive, réponse et à la Volkswagen Up! de 90 chevaux et à la Renault Twingo GT. Deux modèles à plus forte marge pour leurs constructeurs. En 2016, la Kia Picanto était la quatrième meilleure vente du constructeur coréen en Europe (troisième en France), avec une part de 4,13 % du segment A sur le Vieux Continent (source : JATO Dynamics et Car Sales Base). C'est un peu mieux que l'Opel Adam (3,98 %) mais moins bien que l'Opel Karl (4,31 %) ou que la Fiat Panda, numéro un absolu avec 14,31 %. La Fiat 500 suit de près avec 13,77 %, soit quasiment le double de la Volkswagen Up! qui grimpe sur la troisième marche du podium. En cinquième position, la Renault Twingo est la plus vendue des française avec 6,37 % du segment A en Europe, précédée par la Hyundai i10.