Pour la première fois vendredi, des survivants des atrocités commises sous les Khmers rouges se sont retrouvés face à Nuon Chea, numéro 2 de l'ancien régime ultra-communiste, lors d'une audience publique du tribunal parrainé par les Nations unies au Cambodge. Theary Seng, dont les parents avaient été tués sous les Khmers rouges (1975-1979), a comparu devant la cour et a demandé aux juges de rejeter la demande de mise en liberté de Nuon Chea, 81 ans, avant son procès pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Née au Cambodge mais disposant de la nationalité américaine, Theary Seng a survécu à la terreur des Khmers rouges alors qu'elle était enfant. Aujourd'hui avocate, elle a rappelé que l'ancien régime n'avait montré aucune pitié lorsqu'elle avait été emprisonnée à l'âge de sept ans. “Mon jeune frère et moi avons été jetés en prison sous le régime de Nuon Chea. Nous n'avons pas été informés de nos droits” et “avons été arrêtés arbitrairement”, a-t-elle dit, ajoutant: “ils nous ont traités de manière inhumaine”. Aujourd'hui, “ici, M. Nuon Chea dispose de toute la protection des meilleurs principes et idéaux juridiques de la loi (cambodgienne) et internationale. Il a des avocats nationaux et internationaux. Lorsqu'il a été arrêté (en septembre), il a été informé de ses droits” tandis que, “nous, en tant que victimes, nous avons attendu la justice pendant trente ans”, a encore souligné cette femme. Nuon Chea, considéré comme l'idéologue des Khmers rouges et l'architecte de purges sanglantes, est le plus haut responsable encore en vie de l'ancien régime maoïste depuis le décès en 1998 du numéro un, Pol Pot. Il resté impassible alors que Theary Seng et trois avocats représentant d'autres victimes cambodgiennes s'exprimaient face à lui. D'autres survivants du génocide étaient présents dans la salle. L'audience publique, au cours de laquelle Nuon Chea et ses défenseurs ont fait appel de la détention provisoire, avait débuté jeudi mais les juges ne statueront que la semaine prochaine sur la demande de mise en liberté, ont précisé des porte-parole. Aucune date n'a été fixée pour le procès du “Frère numéro deux” des Khmers rouges. Quelque deux millions de personnes ont trouvé la mort sous le régime des Khmers rouges qui, au nom d'une idéologie inspirée du maoïsme et teintée de nationalisme, a semé la terreur au Cambodge, vidant les villes au profit des campagnes, épuisant la population par le travail forcé et éliminant systématiquement tout opposant potentiel. Helen Jarvis, porte-parole du tribunal, a qualifié “d'historique” le témoignage de Theary Seng. Selon la cour, plus de 500 plaintes civiles ont été reçues jusqu'ici. Déposées par des citoyens ordinaires cambodgiens, elles peuvent être utilisées par les juges dans le cadre de l'instruction ou devenir le fondement d'une comparution par la personne formulant des accusations. Les défenseurs de Nuon Chea, notamment l'avocat néerlandais Victor Koppe, a dénoncé la participation de victimes à l'audience de vendredi qui n'avait trait qu'au processus d'appel de la détention provisoire. “Il n'a pas été prouvé que leur crainte était liée en quoi que ce soit à la libération de Nuon Chea”, a dit Me Koppe. Le tribunal s'était mis péniblement en place en juillet 2006 à Phnom Penh après près d'une décennie de négociations entre le gouvernement cambodgien et les Nations unies. Dotée d'un budget initial de plus de 56 millions de dollars pour une période de trois ans, la cour commence à faire face à des difficultés financières et a fait savoir jeudi qu'elle avait besoin de 114 millions supplémentaires pour pouvoir fonctionner jusqu'en 2011.