Trente ans après la chute des Khmers rouges, un tribunal cambodgien à participation internationale commencera demain à juger un premier responsable présumé des atrocités commises à l'époque, au nom d'une révolution communiste. Les Cambodgiens pourront suivre l'événement à la télévision qui retransmettra en direct l'arrivée de l'ex-tortionnaire en chef Kaing Guek Eav, alias «Douch», dans le box des accusés. Il s'agira d'une audience préliminaire destinée à fixer certaines procédures, les débats au fond n'étant pas prévus avant la deuxième moitié de mars, selon des responsables de la cour. Le régime ultra-communiste des Khmers rouges, qui a gouverné de 1975 à 1979, a fait régner la terreur au Cambodge, vidant les villes au profit des campagnes, exténuant la population par le travail forcé et éliminant systématiquement tous les «traîtres à la Révolution». Quelque deux millions de personnes ont trouvé la mort pendant cette période sombre de l'Histoire du XXe siècle. «Douch», 66 ans, commandait à l'époque le camp S-21, connu également sous le nom de Tuol Sleng, un centre d'interrogatoires établi dans un ancien lycée de Phnom Penh où plus de 12.380 personnes ont été torturées avant d'être tuées dans le cadre de vastes purges organisées par l'équipe au pouvoir de Pol Pot. L'accusé -un ancien professeur de mathématiques converti au christianisme dans les années 1990- sera jugé notamment pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Arrêté en 1999 par les autorités cambodgiennes, il a été transféré en 2007 vers un tribunal spécial, parrainé par les Nations unies à Phnom Penh. «Douch» risque au maximum la réclusion à perpétuité, la cour ayant exclu la peine de mort. Quatre autres responsables au profil plus politique du régime de Pol Pot, lui-même décédé en 1998, seront jugés à des dates ultérieures. Ils sont eux âgés de 76 à 83 ans et de nombreux Cambodgiens redoutent qu'ils ne meurent avant que justice ne soit rendue. «L'ouverture officielle du premier procès sera un jour extrêmement important pour le Cambodge», explique Helen Jarvis, porte-parole de la cour. «Il s'agira d'une étape essentielle sur la voie de la justice.» Le tribunal s'est péniblement mis en place en 2006 après une décennie de tractations entre l'ONU et le gouvernement cambodgien de Hun Sen. L'audience préliminaire concernant «Douch» devrait durer un ou deux jours et permettre de «décider de la forme et de la structure du procès», précise William Smith, membre de l'équipe des procureurs. Il s'agira notamment, selon lui, de finaliser la liste des témoins et d'examiner d'éventuelles objections. «Finalement, les procès commencent», s'exclame Sun Lon en visitant ce qui est devenu aujourd'hui le musée du génocide de Tuol Sleng. «Moi et tous les Cambodgiens désirons la justice que nous avons attendue si longtemps», ajoute cette femme de 40 ans. Le gouvernement de Hun Sen, lui-même ex-Khmer rouge s'étant retourné contre le mouvement, a cherché à contrôler le processus des préparatifs judiciaires, par crainte qu'il n'éclabousse certains membres du pouvoir actuel, affirment des ONG. Le tribunal a également rencontré des difficultés financières mais des pays comme le Japon, l'Allemagne et la France ont procédé à de nouvelles contributions, ce qui lui a permis de se maintenir à flot. «Nous espérons qu'avec l'ouverture réussie du premier procès, chacun réalisera que la cour est dans une bonne position pour aller de l'avant et nous pensons que l'argent rentrera», déclare Mme Jarvis. Les Khmers rouges avaient été chassés du pouvoir par une opération vietnamienne.