Les responsables de la Réserve fédérale américaine se sont montré de plus en plus préoccupés par la récente faiblesse de l'inflation et certains ont appelé à interrompre la hausse des taux tant qu'il n'y aura pas eu de signes clairs que cette tendance est passagère, selon le compte-rendu, publié mercredi, de la dernière réunion de politique monétaire de la Fed. Ces "minutes" du Federal Open Market Committee (FOMC) des 25 26 juillet montrent également que la Fed est de plus en plus disposée à commencer à réduire son bilan, qui contient 4.200 milliards de dollars d'actifs achetés après la crise financière. "De nombreux (responsables) ont jugé qu'il était possible que l'inflation reste sous l'objectif de 2% plus longtemps que prévu et plusieurs ont souligné que les risques concernant les perspectives d'inflation pourraient être orientés à la baisse", est-il écrit dans ces minutes de la réunion de juillet, au cours de laquelle le débat a longuement porté sur cette question. Certains participants se sont prononcé contre de nouvelles hausses des taux d'intérêt tant qu'il n'y aurait pas de signes clairs confirmant que l'inflation repart vers l'objectif de la Fed, après être restée sous ce niveau pendant plus de cinq ans. D'autres en revanche ont averti qu'un tel report pourrait pousser le taux d'inflation au-delà de l'objectif de la Fed, une tendance "qui devrait être difficile à inverser". Dans une interview à Reuters mercredi, la présidente de la Fed de Cleveland, Loretta Mester, a déclaré: "Je ne suis pas de ceux qui veulent que l'inflation soit à 2% avant de poursuivre sur la voie" des hausses de taux parce que la politique monétaire agit avec un certain retard sur l'économie. "D'un autre côté, il faut prendre en compte le fait que nous avons eu de mauvais chiffres d'inflation", ajoute-t-elle. Le président de la Fed de San Francisco, John Williams, a déclaré pour sa part sur la chaîne de télévision CNN que la banque centrale américaine en était arrivée à mi-chemin du processus de normalisation de ses taux d'intérêt. Les membres du comité ont prévu de surveiller étroitement l'inflation "au vu de leur inquiétude concernant le récent ralentissement", selon les minutes de la réunion de fin juillet.
Réduction du bilan A l'issue de cette réunion, les responsables de l'institut d'émission avaient décidé à l'unanimité de ne pas modifier sa politique monétaire tout en disant que la banque centrale allait normaliser son bilan "relativement vite". La Fed a relevé ses taux d'intérêt deux fois cette année et prévoit une hausse supplémentaire d'ici la fin de l'année. Mais la faiblesse de l'inflation ces derniers mois incite les investisseurs au scepticisme quant à une hausse de taux d'ici décembre, même si les responsables de la banques centrale affirment qu'il ne s'agit que d'une tendance passagère. La mesure de l'inflation privilégiée par la Fed a été ramenée à 1,5% en juin, contre 1,8% en février. "Tout dépendra de ce que fera l'inflation entre maintenant et décembre", a dit Eric Winograd, économiste chez Alliance Bernstein, qui continue à anticiper un nouveau relèvement des taux de la Fed lors de sa réunion des 12 et 13 décembre. Le dollar a faibli face à un panier de devises de référence après la publication de ce compte-rendu, tandis que Wall Street a terminé en légère hausse et que les prix des obligations du Trésor américain ont progressé. Les responsables de la politique monétaire américaine ont par ailleurs estimé qu'il fallait surveiller de près les signes de baisse de la volatilité sur les marchés et de concentration des investissements sur certains actifs en particulier. Les minutes de la réunion ont aussi montré que les responsables de la Fed était plus disposés à commencer à réduire le bilan de la banque centrale. Plusieurs d'entre eux étaient prêts à annoncer une date de début du processus de réduction mais la Fed a décidé d'attendre une réunion ultérieure. Les responsables de la Fed ont laissé entendre aux marchés qu'il devrait y avoir une décision lors de sa prochaine réunion des 19 et 20 septembre sur la réduction du montant de ces actifs achetés à la suite de la crise financière et de la récession.
L'inflation peine à décoller L'inflation peine à décoller aux Etats-Unis pesant sur la stratégie de resserrement monétaire de la Banque centrale (Fed) mais favorisant indirectement la politique économique de Donald Trump. L'indice des prix à la consommation (CPI) a progressé en juillet de 0,1%, marquant une légère progression par rapport au mois précédent où il avait stagné mais sous les attentes de la majorité des économistes qui anticipaient une progression de 0,2%. Depuis mai, l'indice reste sous les 2% en glissement annuel, le seuil que la Fed se fixe comme le minimum nécessaire pour relever ses taux. "Je m'attends à ce que les chiffres de l'inflation montrent un peu plus de pression à la hausse que ce qu'on a vu au cours des quatre derniers mois", avait d'ailleurs reconnu jeudi le président de l'antenne de New York de la Fed, William Dudley. Les chiffres publiés ne satisfont pas vraiment ses espérances. Sur un an, la hausse du CPI n'est que de 1,7% en juillet, après 1,6% en juin. Certains analystes notent toutefois que la faiblesse de la hausse le mois dernier est essentiellement imputable à une chute des prix de l'hôtellerie qui ne devrait pas perdurer. "Cela ne colle pas avec la hausse des taux d'occupation des hôtels et nous devons nous attendre à un fort rebond en août", souligne Ian Shepherdson de Pantheon Macroeconomics. Mais pour John Bohnaker de IHS Markit, "l'inflation est modérée dans tous les secteurs". Il juge néanmoins que "même si les chiffres d'aujourd'hui (vendredi) sont bien en-dessous de l'objectif de 2% de la Fed, la majorité des membres du comité monétaire vont donner davantage de poids aux récents chiffres du chômage et au rebond de ceux de la croissance et maintenir leur objectif de normalisation graduelle de la politique monétaire". Le taux de chômage est tombé en juillet à 4,3%, son plus bas en 16 ans, et la croissance a montré des signes de reprise à 2,6% en rythme annualisé au deuxième trimestre après 1,2% au premier. La Fed a déjà remonté deux fois ses taux cette année mais les a maintenus dans la fourchette de 1% à 1,25% lors de sa dernière réunion mi-juillet. Les prochaines auront lieu mi-septembre, début novembre et mi-décembre. A en croire l'indice à terme sur les taux de la Fed, les chiffres publiés vendredi ont quasiment éliminé la probabilité d'une hausse en septembre et diminué celle d'un resserrement en novembre. Mais ils ont paradoxalement augmenté les chances d'une hausse en décembre. La présidente de la Fed, Janet Yellen, a toutefois d'autres armes à sa disposition pour indirectement resserrer la politique monétaire. Notamment la réduction des quelque 4.500 milliards de dollars de titres obligataires accumulés au bilan de la Fed après la récession de 2009. "Nous estimons qu'ils (le comité monétaire) se concentreront sur la réduction du bilan en septembre et repousseront une nouvelle hausse à décembre", juge M. Bohnaker.
Pouvoir d'achat En attendant, le maintien de taux bas et la baisse du dollar, que cette perspective favorise, fait les affaires de Donald Trump. Le dollar, qui avait repris un peu de couleurs ces derniers jours, est reparti à la baisse vendredi après l'annonce des chiffres de l'inflation. Cela encourage les exportations en rendant les produits américains plus concurrentiels et décourage les importations en rendant ceux des produits étrangers plus élevés alors que le président américain a fait de la réduction des déficits commerciaux une de ses priorités. Face à un pouvoir d'achat en berne faute de hausse des salaires, l'inflation basse sert aussi les intérêts des consommateurs, note l'économiste indépendant Joël Naroff. "La Fed veut que l'inflation reprenne mais cela ne serait pas bon pour les ménages", souligne-t-il. Comme c'est leur consommation qui répond pour près des deux tiers de la croissance aux Etats-Unis, Donald Trump pourrait voir se réaliser son objectif de faire grimper la progression du Produit Intérieur brut (PIB) à 3%. Le président américain a toujours crié haut et fort sa préférence pour des taux bas et l'a fait comprendre à Janet Yellen dont le mandat arrive à expiration début février et qu'il devra reconduire...ou non. "J'aimerais voir les taux d'intérêt rester bas. Historiquement c'est quelqu'un qui a été en faveur des taux bas", a souligné le président fin juillet en évoquant la présidente de la Fed. Le maintien d'une inflation basse contribuera à aider Mme Yellen dans cette voie.
Kaplan prône prudence et patience dans la hausse des taux L'évolution récente des marchés financiers reflète les faiblesses de l'économie américaine et doit inciter la Réserve fédérale à être "très patiente et pertinente" quant à l'opportunité de relever de nouveau les taux d'intérêt, a déclaré Robert Kaplan, le président de la Fed de Dallas. Déjà connu pour être favorable à une gestion prudente de la politique monétaire, il a souligné dans un discours suivi d'une conférence de presse sa préoccupation après une série de chiffres inférieurs aux attentes sur l'inflation aux Etats-Unis, ajoutant souhaiter disposer de preuves d'un rebond des prix "à moyen terme" avant de se prononcer pour une nouvelle hausse de taux. Le compte rendu de la réunion de politique monétaire de juillet, publié mercredi, a montré que les responsables de la Fed étaient divisés en deux camps, l'un jugeant que la faiblesse de l'inflation n'est que temporaire et ne doit pas remettre en cause la remontée des taux tandis que l'autre, dont fait partie Robert Kaplan, prône une pause. "Il ne fait aucun doute que l'inversion et l'aplatissement de la courbe (des rendements) est le reflet d'un problème économique", a déclaré jeudi Robert Kaplan, qui dispose d'un droit de vote cette année au Federal Open Market Committee (FOMC), le comité de politique monétaire américain. Certains investisseurs jugent les rendements obligataires inhabituellement bas alors que la Fed a déjà annoncé trois hausses de taux depuis décembre. Mais les avis divergent sur la signification de ce décalage, qui peut être perçue comme le signe annonciateur d'une dégradation de la situation économique ou simplement comme la conséquence d'une croissance plus forte qu'attendu dans la zone euro et d'autres régions. Le rendement des emprunts d'Etat américains à dix ans avoisine actuellement 2,2%.
Interrogations sur les rendements et l'inflation "Je suis sensible à ce fait (...) et je crois que nous devons être très patients et pertinents lors des prochaines décisions sur le taux des fonds fédéraux. C'est ce que cela m'inspire", a ajouté Robert Kaplan. Les actions américaines, sensibles aux déclarations des responsables de la Fed sur les marchés financiers, ont brièvement réduit leurs pertes après ses déclarations. Alors que les prévisions de la Fed intègrent une hausse de taux supplémentaire d'ici la fin de l'année, les marchés n'estiment la probabilité d'un tel relèvement qu'à 40% environ. "Nous devons être prudents lors de nos prochaines décisions" a ajouté Robert Kaplan lors d'un déjeuner organisé par la Chambre de commerce de Lubbock, au Texas. Mercredi, son homologue de la Fed de Cleveland, Loretta Meister, a défendu la position opposée dans le débat interne à la banque centrale. "Je m'attends à ce que les rendements longs remontent au fur et à mesure que nous poursuivons cette stratégie de retrait progressif du soutien monétaire", a-t-elle dit dans un entretien à Reuters. "Je ne crois pas que le fait que les taux obligataires longs soient bas signifient que nous nous dirigeons vers une récession." Le taux d'inflation qui sert de référence à la Fed affiche actuellement une hausse de 1,5% en rythme annuel, alors que la banque centrale vise un niveau de 2%. Robert Kaplan a déclaré à la presse: "Je n'ai pas besoin d'être sûr que nous atteindrons cet objectif à court terme. Je veux simplement avoir la preuve, ou la conviction, que nous atteindrons cet objectif à moyen terme."
Fischer dénonce la déréglementation bancaire voulue par Trump Le vice-président de la Réserve fédérale américaine (Fed) Stanley Fischer a de nouveau dénoncé les tentatives de l'administration Trump d'assouplir la réglementation bancaire adoptée après la crise de 2008, dans un entretien publié par le Financial Times. Dix ans après la crise financière, "tout le monde veut revenir à un statu quo d'avant la grande crise financière (...) je trouve cela extrêmement dangereux ", a jugé M. Fischer, ajoutant que cela manquait "extrêmement de clairvoyance". Il a pointé plus particulièrement du doigt les plaidoyers pour alléger la réglementation concernant les tests de résistance sur les grandes banques, jugeant cela "très dangereux", rapporte encore le quotidien britannique. Imposés depuis 2010 par la réforme financière Dodd-Frank, les tests de résistance mesurent la capacité des institutions financières à faire face à une éventuelle crise. En juin, l'administration Trump a publié une feuille de route pour simplifier la réglementation financière aux Etats-Unis qui propose notamment un allègement de ces tests. M. Fischer rappelle que l'économie américaine fait toujours face au "shadow banking system", les prêts accordés en dehors du système bancaire qui ont joué un rôle central dans la crise des crédits immobiliers à risque ayant éclaté en 2007. "On ne peut pas comprendre pourquoi des gens (...) intelligents arrivent à la conclusion que vous devriez vous débarrasser de tout ce que vous avez mis en place durant les dix dernières années", a-t-il asséné. Fin avril, M. Fischer s'était déjà montré très critique vis-à-vis des tentatives pour abandonner les réformes post-crise.