L 'Ahelil. De par sa sonorité, on dirait un arbre, mais non, c'est Ahl Lil “les gens de la nuit...” Ces Zénètes mystiques qui glorifient Dieu, lors de cérémonies qui touchent parfois au paganisme durant la nuit et jusqu'à l'aube. Les Zénètes du Gourara, cette population, fière et sage de Timimoun enracinée dans une terre ocre, qui avale difficilement l'eau. L'Ahellil, plus précisément localisé dans la zone berbérophone du Gourara, est régulièrement exécuté lors de fêtes religieuses ou de pèlerinages, mais également à l'occasion de réjouissances profanes tels les mariages ou les foires locales. Étroitement lié au mode de vie des Zénètes, dont l'essentiel des activités est associé à l'agriculture oasienne, l'Ahellil symbolise la cohésion du groupe dans un environnement difficile et véhicule les valeurs et l'histoire des Zénètes dans une langue aujourd'hui menacée de disparition. C'est grâce à l'écrivain et anthropologue Mouloud Mammeri, auteur de quatre romans dont La colline oubliée, porté à l'écran en 1996 par Abderahamane Bouguermouh, que ces rites ancestraux berbères ont été découverts, lors d'un voyage qu'il a effectué à Timimoun, la ville aux cents oasis. L'auteur de La traversée, a senti de l'or à travers ce patrimoine encore méconnu dans le pays. Il décida alors en tant qu'anthropologue de lui consacrer “ une page scientifique”. Un travail rigoureux, et artistique, qui sauvera de l'oubli ce rituel païen, que l'organisation onusienne décidera de porter sur la liste des chefs-d'œuvre du patrimoine mondial immatériel. Après les premiers travaux de l'auteur du “ Sommeil du juste”, d'autres après lui, à l'image du journaliste Saïd Bouterfa, du sociologue Rachid Bellil, se consacreront à approfondir, cette étude amorcée par Da L'Mouloud Nath Maâmar. Le sociologue est allé plus loin en découvrant que l'Ahellil n'était pas seulement un rite, mais un langage poétique traduisant des contes, des devinettes du peuple du Gourara. Tout ce qu'il a comme tradition orale. Saïd Bouterfa a, quant à lui, signé après son remarquable Yennayer un autre ouvrage (Edition Colorset, 2200 DA), intitulé, Ahellil ou les louanges de Gourara, accompagné d'un CD de musique et chant Ahellil. “Il y a deux sortes de pratiques. L'une se fait en public et l'autre se fait en privé. La séance en public est pratiquée en position debout tandis que la séance privée est en position assise. Le maître chante ou récite les vers et le groupe reprend en chœur en claquant les mains. Comme instrument de musique, el Benguir, (sorte de guimbri), Tendj (Flûte) et l'adgha (percussion) ” racontait Bouferfa en ajoutant que le maître ou le goual est tenu de connaître toute la poésie d'Ahellil, de mémoire. “ Dans une séance privée, les poésies chantées ne dépassent pas la vingtaine. Mais en privé, c'est autre chose. Il y récite même des compositions poétiques rares comme le “traa” observe-t-il. Comme contenu, la poésie d'Ahellil aborde des sujets liés à la vie quotidienne du peuple de Gourara, glorifiant les anciennes générations qui ont créé, entre autres, le système d'irrigation de foggara. “Les textes Zénètes regroupent aussi des vers soufis. La poésie était également utilisée comme moyen pour interpréter et expliquer les versets coraniques”, explique Bouterfa. Cette tradition musicale est menacée de disparition dans la mesure où la transmission aux jeunes générations n'est plus assurée. La raréfaction des occasions, le manque de disponibilité pour les fêtes traditionnelles exigeant de longs préparatifs, la migration des jeunes vers les villes du nord et leur attirance pour des musiques plus contemporaines, aggravent également cette menace. D'où la nécessité d'institutionnaliser un rendez-vous Ahellil, qui permettra non seulement de faire connaître ce rite, mais aussi de le sauver de l'oubli