Après le drame qu'a connu en 2001 Bab El-Oued, ce vieux quartier qui semble concentrer à lui seul tous les stigmates de la vie et du temps qui passe dans une Alger fatiguée, un bruit lointain où se mêlent musique, rires d'enfants et son de ces machines magiques qui vous transportent hors du temps et que l'on appelle “manèges”, annonce pourtant une activité ludique renvoyant irrésistiblement aux fêtes foraines d'antan. La placette aménagée sur le front de mer El-Kettani offre ce spectacle relativement nouveau pour les riverains, ravis de voir déferler chaque jour des nuées d'enfants dont les rires, les gazouillis et la fraîcheur font la joie des adultes qui les accompagnent en ce lieu de divertissement dont la capitale a grandement besoin. L'envie de participer à ces réjouissances pousse le curieux à visiter ce lieu, magique dans le regard d'un enfant, plein de nostalgie aux yeux d'un adulte. Le vendeur de “barbe à papa” assailli par des enfants impatients, les tenants des manèges aux couleurs chatoyantes et les peintres qui font naître sous leurs doigts habiles les formes et les traits les plus incroyables, sont tous au service de ces bambins qui, pour quelques heures seulement, deviennent le centre de toutes les attentions et les héros de ces contes peints sur les carrosses richement parés, les citrouilles enchantées et les chevaux ailés qui vous donnent le tournis et ravivent les joies les plus enfouies. Les enfants attendent leur tour pour se transformer, grâce au doigté de ces jeunes peintres, en personnages de leur choix, et immortaliser cet instant sur un calendrier. Une idée qui séduit et ne laisse pas indifférents les parents désireux de faire de leur progéniture des icônes veillant sur le mouvement du temps et comptant les jours qui s'égrènent avec leur lot de joies et de peines. Des voiturettes transportant des petits “pas plus hauts que trois pommes” tournent allègrement, arrachant des rires et quelquefois des larmes, devant ce tourbillon qui défile et qui semble ne pas vouloir s'arrêter. D'autres, enfourchant des chevaux fougueux, tournoient dans l'air, heureux, toute bride dehors. Un air doux vient mêler tous les parfums et les odeurs qui se confondent parfois avec les senteurs iodées de la mer toute proche dont on peut entendre le bruit incessant des vagues qui se brisent sur les rochers. Le soir commence à tomber et toute cette activité bouillonnante diminue peu à peu. La nuit qui s'annonce jette son voile sombre sur la ville, les forains s'activent à plier bagage pour se donner rendez-vous le jour suivant avec d'autres enfants, qui vivront le temps d'une demie journée, un conte de fée dont ils seront les seuls vrais héros. Cette aire de jeu a remplacé, il y a quelques années, l'ancien terrain de sport El Kettani. C'est pratiquement la seule qu'abrite le quartier de Bab El-Oued, surpeuplé et aux ruelles exiguës et bruyantes. Indéniablement, elle apporte une note de chaleur et d'espoir dans une zone où les maisons semblent prêtes à crouler sous le poids du nombre, où l'on se partagent à grand peine les vieilles bâtisses, legs de l'ère coloniale, et où les générations se succèdent et grossissent presque sur les mêmes espaces. Avant l'apparition de ce petit “coin de paradis” qu'est devenu El-Kettani, les parents devaient, parfois aux prix de quelques sacrifices, se déplacer jusqu'au parc des loisirs de Ben Aknoun, à plus de dix kilomètres de là, pour pouvoir promener leurs bambins et leur offrir une évasion bien méritée après une journée d'effort scolaire. Avec cette aire, ce sont les loisirs, bien qu'encore modestes et sans doute insuffisants, qui se décident enfin à venir vers les enfants de Bab El-Oued. Les moins petits peuvent même s'y rendre seuls, les lieux étant accessibles et sécurisés, mais c'est sans compter la présence de mamans avouant trouver elles aussi, en ces lieux, un réel plaisir et un moment précieux de détente arraché aux nombreux soucis qu'offre le quotidien d'Alger.