Le président cubain Raul Castro, 86 ans, passe le témoin jeudi à une nouvelle génération pour une transition qui marquera la fin de près de six décennies de pouvoir sans partage de la fratrie Castro sur l'île caribéenne. "Nous avons parcouru un long, long, long et difficile chemin (...) pour que nos enfants, ceux d'aujourd'hui et ceux de demain, soient heureux", déclarait en mars le cadet des Castro, qui avait succédé en 2006 à son frère Fidel, alors affaibli et finalement décédé en 2016. Fidel puis Raul auront dirigé Cuba, jusqu'à l'incarner, pendant près de 60 ans, faisant de cette île un acteur central de la Guerre froide et parvenant à maintenir sur pied leur régime communiste malgré le choc de l'effondrement de leur allié soviétique. Convoquée mercredi et jeudi pour une plénière historique, l'Assemblée nationale va élire un nouveau président du Conseil d'Etat, le principal organe de l'exécutif cubain, et fera basculer le pays dans une nouvelle ère. Si les autorités ne l'ont pas formellement confirmé, c'est le premier vice-président et numéro deux du gouvernement, Miguel Diaz-Canel, 57 ans, qui semble avoir été choisi et préparé pour devenir le nouveau visage de Cuba. Apparatchik modèle, ce civil aux cheveux poivre et sel a gravi discrètement les échelons du pouvoir avant d'être intronisé bras droit du président à la surprise générale en 2013, le posant en dauphin naturel des Castro. "Il y aura une part de renouveau, mais aussi de continuité", prévenait récemment un des cadres du régime, le ministre des Affaires étrangères Bruno Rodriguez, rappelant que Raul Castro accompagnera son successeur en gardant la main sur le puissant Parti communiste de Cuba (PCC).
"Toujours les Castro" Le président sortant ne quittera la tête du parti unique qu'au prochain congrès prévu pour 2021, l'année de ses 90 ans, de quoi assurer une transition maîtrisée face aux nombreux défis qui se présentent. "Je crois que Raul va se concentrer sur le travail idéologique (...), avec les forces qu'il lui reste, alors que Diaz-Canel se concentrera sur la partie du gouvernement, sur des tâches qui sont complexes et difficiles et qui nécessiteront un soutien", anticipe le politologue cubain Esteban Morales. L'héritier des Castro sera surtout chargé de poursuivre l'indispensable "actualisation" d'un modèle économique obsolète à un moment où Cuba est confronté à l'affaiblissement de son allié vénézuélien, à l'embargo américain qui pèse toujours sur son développement et au coup d'arrêt imposé par le républicain Donald Trump au rapprochement engagé fin 2014 entre Cuba et les Etats-Unis. A travers l'île, cette transition alimente les débats sans trop émouvoir parmi les Cubains, fervents castristes ou critiques, qui n'attendent pas de grands bouleversements après ce vote auquel ils ne participent pas. En mars, les électeurs avaient été appelés à élire l'Assemblée dont sera issu le nouveau président, mais les 605 candidats pour autant de sièges avaient été préalablement désignés par les assemblées provinciales et les organisations "de masse". "Ils changent le gouvernement, mais rien ne change. Ce sera toujours les Castro, même si c'est un autre", déplore Asiel Ortiz Diaz, jeune sans emploi de 24 ans rencontré à La Havane. "Ils disent que Raul quitte la présidence pour laisser la place à un plus jeune, c'est logique mais Raul ne part pas, il restera toujours avec nous, comme Fidel", se réjouit de son côté Raul Garcia, retraité de 79 ans.
Serrer les rangs D'ailleurs, comme pour souligner l'absence de "révolution dans la révolution", les autorités n'ont pas prévu de cérémonie en grande pompe pour ce vote de l'Assemblée, et les visas accordés aux journalistes venus de l'étranger ont été limités à quatre jours. "Nous poursuivrons le chemin de la révolution, la marche triomphale de la révolution continuera", assurait M. Diaz-Canel voici un mois au moment de voter aux législatives. Pourtant, pour la première fois depuis des décennies, le président ne s'appellera pas Castro, ne fera pas partie de la génération "historique" de 1959, ne portera pas l'uniforme militaire et ne sera pas premier secrétaire du PCC. Mais il pourra combler ce déficit de légitimité grâce à Raul Castro, qui devrait serrer les rangs de la vieille garde des généraux "historiques", perçus pour la plupart comme rétifs aux réformes les plus ambitieuses. Leur niveau de responsabilité au sein du nouveau Conseil d'Etat et du gouvernement donnera une indication sur la volonté réformatrice du régime, comme sur la marge de manoeuvre du nouveau président. Signe que le régime ne laisse rien au hasard, la journée de jeudi, 19 avril, correspond au 57e anniversaire de la victoire de la baie des Cochons ("Playa Giron"), considérée à Cuba comme "la première défaite de l'impérialisme yankee en Amérique latine" en 1961.