A moins de trois mois de l'élection présidentielle du 7 octobre au Cameroun, l'effervescence gagne la classe politique et la population, appelée à désigner son futur président dans un climat sécuritaire qui, outre les troubles dans les régions anglophones du Nord-ouest et du Sud-ouest, est aussi dominé par la menace terroriste de Boko Haram dans l'Extrême-nord. Depuis l'annonce le 9 juillet de la date de ce rendez-vous électoral, neuf candidatures ont été enregistrées par la Commission électorale nationale (ELECAM), alors que le délai de dix jours accordé par la loi aux postulants pour se faire connaître arrive à son terme jeudi. Sur les neuf premières candidatures figure au premier chef celle président sortant, Paul Biya, 85 ans, au pouvoir depuis 1982, déposée vendredi dernier, jour de l'annonce de sa candidature sur son compte Twitter. Sans être une surprise, cette candidature souhaitée par les partisans du chef de l'Etat réunis au sein du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), sa famille politique et un petit nombre de formations alliées comme le Front pour le salut national du Cameroun (FSNC) d'Issa Tchiroma Bakary, le ministre de la Communication, a fait monter la température autour de ce scrutin. Tant à Yaoundé qu'à l'intérieur du pays, la mobilisation politique s'accélère. Encore sous la menace de Boko Haram, en dépit d'importants progrès réalisés par les forces de défense et de sécurité pour l'éradiquer, la région de l'Extrême-Nord entend bien prendre pleinement part au vote. Un mot d'ordre qui se fait entendre jusqu'à Darak, cette localité sur le lac Tchad à partir duquel le groupe islamiste nigérian opère et lance ses attaques -devenues de plus en plus rares- aujourd'hui au Cameroun. "Les élections se préparent très bien. Nous avons fait établir les cartes nationales d'identité à nos militants et permis qu'ils soient inscrits sur les listes électorales", assure Ali Ramat, le maire (RDPC) de la commune, joint au téléphone par Xinhua. Selon les estimations officielles, on dénombre sur cette île près de 19.000 habitants qui tirent l'essentiel de leurs revenus de la pêche. Cette zone frontalière a été l'une des plus touchées par les attaques de Boko Haram au Cameroun. La dernière, survenue en novembre 2017 contre un poste de l'armée implanté en plein cœur de la ville, avait causé la mort d'un capitaine et de cinq de ses hommes. Lors des premières attaques en 2014, environ 2.500 personnes avaient dû fuir vers d'autres localités de l'Extrême-Nord, selon une estimation faite par M. Ramat. "Maintenant, il y a la paix et toutes ces populations déplacées sont de retour et vaquent tranquillement à leurs occupations. Il y a des postes avancés de l'armée qui s'occupent de la sécurité dans l'île. Mais la sérénité n'est pas totale : les îles qui se trouvent en face de nous, au Nigeria, ne sont pas sécurisées", s'inquiète le maire. Depuis 2017, après deux ans d'offensive, la force multinationale mixte (FMM) de la Commission du Bassin du lac Tchad (CBLT), composée de soldats du Cameroun, du Niger, du Nigeria et du Tchad, s'est réjouie d'avoir "nettoyé" la vaste forêt de Sambisa des combattants de Boko Haram, après y avoir détruit ses principales bases opérationnelles. Mais, déplore Ali Ramat, ce succès militaire n'a pas encore à ce jour été complété par la mise en place dans ce territoire nigérian d'un dispositif de sécurité, pourtant nécessaire. "Il y a des craintes de nouvelles attaques, parce que (les combattants islamistes) sont toujours dans les îles". Avec une population estimée à plus de 24 millions d'habitants sur une superficie de plus de 475.000km², le Cameroun compte dix régions administratives. Zone d'écologie fragile alternant sécheresse et inondations, l'Extrême-Nord se caractérise comme celle disposant du taux de scolarisation le plus faible du pays et où les problèmes d'accès à l'emploi des jeunes sont plus accentués. Tantôt volontairement, tantôt de force, entre 3.000 et 4.000 jeunes de la région, garçons et filles, ont rejoint Boko Haram, à en croire des sources indépendantes. Transformés en chair à canon et en bombes humaines, une partie d'entre eux a été tuée. Peu nombreux, d'autres ont pu revenir suite à des défections risquées ou encore grâce à leur libération lors des opérations de l'armée. Sultan-maire de Kolofata, autre localité frontalière de la région, Seyni Lamine Boukar, est une victime de ces exactions. En 2014, il avait passé plusieurs mois de captivité aux mains du groupe terroriste suite à une attaque qui avait fait une quinzaine d'otages, dont son épouse et celle du vice-Premier ministre Amadou Ali, un natif de la région. Ces attaques se sont multipliées par la suite, suivies d'attentats suicide. Dans la perspective de la présidentielle d'octobre, l'élu local évoque "un calme relatif. La situation s'améliore. Cette année, les attaques ont été rares. Les attentats kamikazes, on n'en a pas eu. Mais on ne peut pas dire que le risque n'existe plus. On a toujours des appréhensions". "Nous pensons néanmoins que les élections vont bien se dérouler. Les problèmes de sécurité ne vont nullement les perturber", a-t-il ajouté lors d'un entretien téléphonique avec Xinhua. Selon les estimations officielles, plus de 78.000 personnes peuplent l'arrondissement de Kolofata. A cause des attaques de Boko Haram, entre 20% et 30% de cette population est aujourd'hui déplacée. Pour le vote, "on sait où ces personnes se trouvent, elles sont regroupées dans des sites sécurisés et je pense qu'ELECAM saura comment les toucher lors de l'élection", précise-t-il. Après la clôture du dépôt des dossiers de candidature jeudi, la liste des candidats retenus pour prendre part au scrutin devra être publiée au plus tard le 8 août. La campagne devra être lancée le 24 septembre pour une durée de deux semaines, jusqu'au 6 octobre à minuit, la veille du vote. Selon les chiffres provisoires annoncés par ELECAM, environ 6,5 millions d'électeurs potentiels sont concernés.