Depuis la prestation d'Alexandre Benalla sur TF-1 le 27 juillet (1), divers éléments sont venus mettre à mal sa version des faits ainsi que celle présentée par L'Elysée. Ces faits ne font pas que fragiliser la défense de M. Benalla. Ils mettent aussi en cause le système de défense adopté par l'Elysée, qui a jusqu'alors systématiquement minimisé l'affaire. Au-delà, s'il était prouvé qu'il y a eu des contacts entre M. Benalla, son avocat, et des personnes de l'Elysée, nous pourrions penser que nous sommes en présence d'une volonté délibérée de masquer des choses importantes dans cette affaire, ce qui constituerait, alors, une obstruction à la justice (article 434-1 du Code Pénal). Il faut donc établir ici une liste, certes pas exhaustive, de ces faits et en tirer les conséquences.
1. L'intervention de M. Benalla et de M. Crase au Jardin des Plantes le 1er mai 2018.Il est maintenant avéré que l'intervention d'Alexandre Benalla lors de la manifestation du 1er mai ne s'est pas limitée à la place de la Contrescarpe. Ce fait, dûment établi par de nombreuses vidéos, contredit ainsi le discours de M. Benalla selon qui son action sur la place de la Contrescarpe serait le produit de sa volonté ponctuelle " d'aider la police ". Sur les vidéos, on voit par ailleurs que M. Crase est armé. La " mission " de M. Benalla a donc été largement plus qu'une mission d'observation comme il l'a prétendu. Il n'a pas agi de manière " spontanée " à la Contrescarpe puisqu'il avait agi de même, quelques heures plus tôt, dans la manifestation. Son action n'était pas " individuelle " mais largement coordonnée avec celle de la Police.
2. M. Benalla ne se serait occupé que de logistique lors de la réception de l'Equipe de France et de sa descente des Champs Elysées. Or, les témoignages des policiers, mis en examen pour la communication des vidéos du 1er mai, viennent démentir cette version des fait. " "Quand le chef de la DOPC (direction de l'ordre public et de la circulation, ndlr) et Monsieur Benalla [étaient] ensemble sur un service d'ordre et que le président [devait] communiquer une volonté particulière en matière de sécurité (…), il [appelait] Monsieur Benalla sur son téléphone", a affirmé l'un des commissaires incriminés, indiquant que "plusieurs témoins" avaient fait état d'un "lien direct téléphonique" entre les deux hommes lors de la parade de l'équipe de France sur les Champs-Elysées. De fait, il semble bien que M. Benalla ait joué un rôle essentiel lors de la descente accélérée du bus où se trouvait l'équipe de France, et que ce rôle était étroitement coordonné avec Emmanuel Macron.
3. Présence d'armes à feu non déclarées au siège du LREM. La police a découvert 3 pistolets détenus dans un coffre au siège du LREM. Or, M. Vincent Crase, qui a assisté M. Benalla dans la manifestation du 1er mai, et qui est un réserviste de la Gendarmerie, était employé par le parti LREM, et il était armé lors de cette manifestation. A cela on doit ajouter une autre question: pourquoi les armes détenues par M. Benalla ont-elles disparu de son appartement avant la perquisition qui y a été faite? Qui est intervenu? Ces faits concordants pourraient accréditer la thèse que l'Elysée avait bien mis sur pied un groupe de protection en dehors de tout contrôle de la Police ou de la Gendarmerie, en utilisant des militants du parti LREM. Cela constituerait, si ce fait était prouvé, une atteinte grave à la neutralité du Président de la République.
4. Rôle exact de M. Benalla à l'Elysée. M. Benalla a toujours prétendu que son rôle, avant la manifestation du 1er mai était un rôle d'organisation des événements extérieurs, et que, après cette manifestation, ayant été rétrogradé, il n'avait plus eu que des tâches annexes. Ici encore, les trois policiers mis en examen pour avoir transmis les bandes vidéos du 1er mai à Alexandre Benalla ont une autre version dans leurs dépositions. Sans nier les faits qui leurs sont reprochés, ils ont fait cette mise au point: "Depuis l'élection de Monsieur Macron, les chefs du groupe de sécurité de la présidence de la République (GSPR) étaient ostracisés par la présence de Monsieur Benalla". Selon l'un d'entre eux, commissaire de police, M. Benalla communiquait "les souhaits et les volontés du président" lors de ses déplacements et était destinataire, "au quotidien, des télégrammes et notes confidentielles". Ce même commissaire a aussi ajouté: "Pour nous, Monsieur Benalla [représentait] Emmanuel Macron pour tous les sujets de sécurité". Très clairement, la version des faits présentés par Alexandre Benalla a été démentie par les auditions des policiers. C'est désormais à la justice de trancher. Mais, les " explications " fournies par le gouvernement et par l'Elysée, explication qui tendait à présenter Alexandre Benalla comme un intervenant mineur, sont elles aussi démenties. La question reste donc posée: quelles étaient les fonctions réelles de M. Alexandre Benalla? Oui ou non l'Elysée avait-il décidé de mettre en place une structure parallèle à celle qui légalement assure la protection du Président de la République? Quelles sont les responsabilités du Secrétaire Général de la Présidence et du Directeur de Cabinet? Quelles étaient les fonctions et les responsabilités exactes de M. Benalla lors de la manifestation du 1er mai et qu'ont-elles à voir avec les exactions commises par les " blackblocs " lors de cette manifestation? Enfin, au-delà de ces questions importantes se pose celle-ci: Emmanuel Macron est-il le " donneur d'ordre " de ces différents " dysfonctionnements "? Emmanuel Macron ne pourra pas continuer, à prétendre que l'affaire Benalla ne le concerne pas et qu'elle n'est qu'un épiphénomène. Sa responsabilité, du moins morale et politique, est aujourd'hui directement engagée. S'il était prouvé que l'Elysée fasse systématiquement obstruction à la justice, cherche à contourner les institutions légales (comme celle qui assure la sécurité du Président), nous serions en présence de comportements venus du plus haut niveau de l'Etat et qui attaquent délibérément l'" état de droit ". De plus, il est clair que les institutions de la Vème République ne sortiront pas indemnes des torsions que leur font subir les actes d'Emmanuel Macron. Devant les réactions très virulentes des syndicats de policiers, on peut se demander si l'on n'est pas entré, sur la pointe des pieds, dans une crise de régime?