Plus de 150 pays ont adopté lundi à Marrakech (Maroc) le Pacte mondial sur les migrations des Nations unies, en le défendant par de vibrants plaidoyers face aux critiques des nationalistes et partisans de la fermeture des frontières. "Nous ne devons pas succomber à la peur", a exhorté le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, avant l'adoption formelle de ce texte destiné à renforcer la coopération internationale pour une "migration sûre, ordonnée et régulière". Comme plusieurs dirigeants présents à Marrakech, M. Guterres a aussi dénoncé les "nombreux mensonges" sur le Pacte qui a généré des tensions politiques dans plusieurs pays et fait éclater la coalition gouvernementale en Belgique, avec la démission des ministres issus du parti nationaliste flamand. Le document doit encore faire l'objet d'un ultime vote de ratification, le 19 décembre à l'Assemblée générale des Nations unies à New York. Prévue sur deux jours, la conférence inter-gouvermentale de Marrakech qui coïncide avec le 70ème anniversaire de la déclaration universelle des droits de l'Homme devait être une étape purement formelle du processus onusien. Mais le sujet déchaînant les passions, une quinzaine de pays (Autriche, Australie, Bulgarie, Chili, Estonie, Hongrie, Italie, République tchèque, République dominicaine, Lettonie, Pologne, Slovaquie, Slovénie et Suisse) ont annoncé leur retrait ou le gel de leur décision après avoir approuvé le texte le 13 juillet à New York.
"Gouvernance mondiale" Les Etats-Unis, qui s'étaient retirés de l'élaboration du texte en décembre 2017 en le jugeant contraire à la politique d'immigration du président Donald Trump, ont lancé vendredi dernier une nouvelle salve contre le Pacte et contre toute forme de "gouvernance mondiale". Malgré cette opposition, M. Guterres s'est dit confiant sur la suite du processus: "la réponse a été donnée par plus de 150 pays qui sont venus ici", a-t-il dit au cours d'un bref point de presse. Alors que les nationalistes européens se mobilisent contre le Pacte à l'approche des élections européennes de mai 2019, la chancelière allemande Angela Merkel est venue le soutenir en personne, comme plusieurs premiers ministres européens: l'Espagnol Pedro Sanchez, le Portugais Antonio Costa, le Grec Alexis Tsipras, le Danois Lars Løkke Rasmussen --qui vient de resserrer la politique migratoire de son pays-- et le Belge Charles Michel, qui a donc maintenu son déplacement au prix de l'unité de sa coalition. Dans un discours très applaudi, Mme Merkel a plaidé avec passion pour le multilatéralisme en rappelant l'histoire de son pays, marqué par le nazisme. "La réponse au nationalisme pur a été la fondation des Nations unies et l'engagement de trouver ensemble des réponses à nos problèmes communs", a-t-elle dit. "Ce modèle de coopération est complexe, il comprend parfois des pas en avant et parfois des peaux de banane (...) mais c'est le seul moyen pour ceux qui veulent un monde meilleur", a lancé le Premier ministre belge. Sans regret face au prix politique à payer, Charles Michel s'est dit "debout, droit et fier des convictions portées par la Belgique". Non contraignant, le recense des principes --défense des droits de l'Homme, des enfants, reconnaissance de la souveraineté nationale-- et liste différentes options de coopération --échanges d'information et d'expertises, intégration des migrants etc... Il prône l'interdiction des détentions arbitraires, n'autorisant les arrestations qu'en dernier recours. Présents à Marrakech, les défenseurs des droits de l'Homme et les ONG l'ont défendu avec ardeur même si certains le trouvent insuffisant, notamment sur les droits des migrants. Ses détracteurs, eux, le voient comme un encouragement à un flux migratoire incontrôlé.
"Accord historique" "Entre le laxisme inacceptable et le tout sécuritaire insupportable, il y a une voie que nous ouvrons aujourd'hui", a de son côté estimé le roi du Maroc Mohamed VI, dans un message aux participants. "L'Afrique sera un acteur central" du Pacte, a-t-il assuré, rappelant que le Maroc pilote le dossier migratoire de l'Union africaine. Le Mexique, le Guatemala, le Salvador et le Honduras ont pour leur part salué un "accord historique" et mis en avant leur nouveau "plan de développement" régional destiné à freiner l'émigration depuis l'Amérique centrale, alors que des milliers de migrants se massent à la frontière américaine placée sous haute surveillance par le président Trump. Le Mexique prévoit 35 milliards de dollars d'investissements pour ce plan qui est "la première et la plus importante application du Pacte", a déclaré Marcelo Ebrard, le chef de la diplomatie mexicaine au cours d'un point-presse avec ses trois homologues. Il y a environ 258 millions de personnes en mobilité et migrants dans le monde, soit 3,4% de la population mondiale. Plus de 80% des déplacements entre les pays se font de façon légale. Pour la migration clandestine, plus de 60.000 sont morts pendant leur périple depuis 2000, selon les chiffres de l'ONU. Que prévoit le Pacte mondial sur les Migrations? Le Pacte mondial sur les Migrations de l'ONU avalisé lundi au Maroc vise à renforcer "la coopération relative aux migrations internationales sous tous leurs aspects". La sensibilité du sujet a poussé plusieurs pays dans le monde à renier leurs engagements en faveur de ce texte pourtant "juridiquement non contraignant".
Coopération et souveraineté D'environ 40 pages, le "favorise la coopération internationale en matière de migration entre tous les acteurs compétents, sachant qu'aucun État ne peut gérer seul la question des migrations". Il "respecte la souveraineté des États et les obligations que leur fait le droit international". "Les migrations ont indéniablement des répercussions très différentes et parfois imprévisibles sur nos pays ainsi que sur les communautés et les migrants et leur famille". Mais "il est crucial que nous ne nous laissions pas diviser et que nous restions unis face aux difficultés que posent les migrations internationales et aux occasions qu'elles offrent". "Les migrations font partie intégrante de la mondialisation, reliant entre elles les sociétés d'une même région et d'une région à l'autre et faisant de nous tous des pays d'origine, de transit et de destination", affirme aussi le document.
Objectifs du pacte "Grâce à cette démarche globale, nous comptons faciliter des migrations sûres, ordonnées et régulières, tout en réduisant l'incidence et les répercussions négatives de la migration irrégulière grâce à la coopération internationale et à l'ensemble de mesures proposées dans le présent Pacte mondial". "La migration ne devrait jamais être un acte désespéré. Lorsque c'est le cas, nous devons coopérer en vue de répondre aux besoins des migrants en situation de vulnérabilité et de résoudre les problèmes qui se posent. Nous devons oeuvrer de concert pour créer des conditions qui permettent aux communautés et aux individus de vivre en sécurité et dans la dignité dans leur propre pays". Le Pacte détaille 23 objectifs. Parmi eux: "lutter contre les facteurs négatifs et les problèmes structurels qui poussent des personnes à quitter leur pays d'origine", "sauver des vies", "renforcer l'action transnationale face au trafic de migrants", "ne recourir au placement en rétention administrative des migrants qu'en dernier ressort", ou "assurer l'accès des migrants aux services de base".
Mise en œuvre "Nous mettrons en œuvre le Pacte mondial en coopérant aux niveaux bilatéral, régional et multilatéral et en donnant un nouveau souffle au partenariat mondial, dans un esprit de solidarité", indique le texte. "Nous décidons, en nous inspirant des initiatives existantes, de créer un mécanisme de renforcement des capacités au sein du système des Nations unies, dont le rôle sera d'appuyer les efforts déployés par les États membres pour mettre en œuvre le Pacte mondial". Les signataires s'engagent aussi à créer "une plateforme mondiale de connaissances qui servira de source publique de données en ligne" sur les migrations, ainsi qu'un "réseau des Nations unies consacré aux migrations" confié à l'Organisation internationale pour les migrations.