La messagerie sécurisée Swift, utilisée par 10.000 banques dans le monde pour les transferts d'argent internationaux, va se raccorder à la Blockchain Corda de la startup américaine R3 pour une expérimentation. L'objectif est de réaliser des paiements sûrs et rapides pour les plateformes utilisant cette technologie, sans recours aux crypto-monnaies. Une réplique à la concurrence de la startup Ripple et sa solution de paiement pour entreprises utilisant aussi la Blockchain. Créée il y a plus de 45 ans, la messagerie interbancaire Swift (acronyme signifiant " Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication "), reste peu connue du grand public. Cette coopérative basée à Bruxelles joue un rôle central dans les transferts d'argent internationaux, pour lesquels 10.000 banques dans le monde l'utilisent, selon des protocoles standardisés (les fameux codes Swift ou BIC qui apparaissent sur les RIB). Mais les délais sont parfois longs (plusieurs jours ouvrés), inadaptés à l'heure du numérique qui nous a habitués à l'instantanéité. Un service nouvelle génération, baptisé Swift gpi, lancé progressivement depuis deux ans, a permis d'améliorer significativement la rapidité, en passant à des transferts frontaliers en quelques minutes (plus de 300 milliards de dollars de paiements chaque jour sont désormais traités via gpi). " Dans quelques années, nous serons de facto en temps réel " a assuré le directeur général de Swift, Gottfried Leibbrandt, ce mercredi 30 janvier, lors du Paris Fintech Forum, soulignant le rôle d'aiguillon de la concurrence. Face à lui, justement, le patron de la startup américaine Ripple, qui se pose en rival direct de Swift. " Si vous avez une diligence, et que l'on vous dit que le cheval peut aller plus vite, c'est très bien, mais si on peut vous faire passer directement à une Ferrari, faites plutôt cela ! " a raillé Brad Garlinghouse, le directeur général de Ripple, lors d'un face-à-face piquant entre les deux hommes. " La dynamique entre Ripple et Swift n'est pas très différente de celle d'Amazon face à Walmart dans les années 1997-98. C'est l'histoire classique de David contre Goliath " a-t-il estimé. " Swift est un système fermé, avec certes beaucoup de membres. Mais AOL aussi avait beaucoup de membres " a-t-il fait valoir. La startup de San Francisco affirme que plus de 100 institutions financières ont rejoint son réseau RippleNet utilisant la technologie Blockchain l'an dernier, en recourant ou non à sa crypto-monnaie XRP. En France, Crédit Agricole a testé son protocole de paiement pendant neuf mois pour réaliser les virements transfrontaliers de clients travaillant en Suisse, en temps réel (contre trois jours traditionnellement), avec une plus grande transparence du taux de change. Réussi, le test n'ira cependant peut-être pas plus loin dans un contexte de généralisation du paiement instantané en Europe, selon une source bien informée.
Swift contre-attaque avec R3 et Corda Swift n'a toutefois pas l'intention de passer à côté de la Blockchain et de son potentiel en matière de rapidité d'exécution et de transparence des prix. En plein débat enlevé entre les deux hommes, le patron de Swift a en effet lancé une petite bombe : le réseau lance une expérimentation avec la startup américaine R3 (dont de nombreuses banques sont actionnaires, notamment Natixis, BNP Paribas et Société Générale). Un temps associé, R3 et Ripple se sont livrés une rude bataille judiciaire avant de trouver un accord amiable en septembre dernier. Plusieurs banques et entreprises participeront à ce " proof of concept " (PoC, démonstration de faisabilité), dont le prototype sera présenté lors de sa conférence annuelle Sibos en septembre prochain à Londres : il vise à raccorder Swift gpi à la Blockchain de R3, Corda, et permettre ainsi à toutes les nouvelles plateformes de transactions s'appuyant sur cette Blockchain de bénéficier " de règlements rapides et transparents, en monnaies fiat [fiduciaires, légales, comme l'euro, ndlr], non cryptographiques ". La Blockchain de commerce international Voltron par exemple, lancée en octobre dernier par huit banques internationales, dont HSBC, ING, BNP Paribas, utilise Corda, tout comme une autre plateforme de trade finance, Marco Polo (de la startup irlandaise TradeIX). " Le but est d'apporter les avantages des paiements gpi - rapidité, ubiquité et certitude - aux transactions s'appuyant sur la technologie des registres distribués (DLT) " explique Swift dans un communiqué publié ce 29 janvier. " La plateforme Corda ayant été adoptée par de nombreux écosystèmes transactionnels, c'est tout naturellement que notre choix s'est porté sur elle pour réaliser ce PoC avec R3 " souligne Luc Meurant, le directeur marketing de Swift, dans le communiqué. Pour autant, Swift n'est pas prêt de basculer d'un coup sur la Blockchain. " Nous avons eu une longue discussion sur la Blockchain à comparer aux API [interfaces de connexion]. Les technologies d'API, qui sont au coeur de Swift gpi, sont déjà là et les banques peuvent se connecter. La Blockchain est à plus long terme " a considéré Gottfried Leibbrandt. Le patron de Swift a évoqué le " proof of concept " mené en 2017 pour la réconciliation en temps réel des comptes Nostro-Vostro (ces comptes détenus par des banques dans d'autres banques pour des transactions à l'international), avec 40 banques, sur la plateforme Blockchain opensource de la Fondation Linux Hyperledger. " Nous avons procédé à une évaluation avec les banques : cela marche, mais il n'est pas évident que cela soit plus efficace, compte tenu des coûts de migration pour les banques " a soulevé le patron de Swift, qui quittera son poste en juin. " Ripple recrute " lui a lancé Brad Garlinghouse, qui a déjà débauché en 2017 l'ex directrice du développement de Swift, Marjan Delatinne. Il a par ailleurs mis en avant l'intérêt d'un réseau décentralisé pour connecter non seulement les banques mais aussi d'autres acteurs pour permettre des transferts vers un porte-monnaie mobile comme Mpesa au Kenya par exemple. " Nous évoluons vers un autre monde, celui de l'Internet de la valeur, où nous déplaçons la valeur de la même façon que l'information. Ripple parle des paiements dans 10 ou 20 ans. Notre mission est d'aider les banques à réussir dans le futur, par exemple permettre à Santander de concurrencer de façon plus efficace PayPal, Amazon ou Facebook. "
Le marché de la Blockchain dans la finance va exploser Les revenus générés par des projets utilisant les technologies de registre distribué dans le secteur financier devraient dépasser 100 milliards en 2024 et atteindre 462 milliards en 2030 selon le cabinet IHS Markit. La finance restera le premier marché de la Blockchain dans la décennie à venir du fait des importants gains attendus de la suppression de certains intermédiaires. Une croissance exponentielle dans les dix ans à venir. Le cabinet IHS Markit anticipe une très forte montée en puissance de la Blockchain - cette technologie née il y a dix ans avec le Bitcoin - dans l'univers de la finance. " À peine un jour se passe sans nouvelle annonce de banques et d'institutions financières qui utilisent la technologie Blockchain pour transformer des pans importants de leurs activités " relève le cabinet, qui vient de consacrer un rapport à la "Blockchain dans la finance". Cette technologie de stockage et de transmission d'informations, qui permet des échanges décentralisés, sans organe de contrôle, et sécurisés, grâce à la cryptographie, trouvent de multiples applications dans la finance, en particulier dans le financement du commerce international (Trade Finance), les paiements transfrontaliers, les opérations de change, la gestion d'actifs, le règlement-livraison des opérations de marché ou l'assurance. Les projets sont en train de passer du stade de l'expérimentation à la mise en production. " Compte tenu de l'augmentation prévue du nombre de projets blockchain qui devraient être lancés et déployés commercialement au cours des prochaines années, les revenus devraient atteindre 462 milliards de dollars d'ici 2030 " prédit IHS Markit. En comparaison, le marché était estimé modestement à 1,9 milliard de dollars en 2017. Dès 2024, dans cinq ans, il pourrait dépasser les 100 milliards de dollars.
Supprimer des intermédiaires Au cours de la décennie à venir, le marché financier mondial, incluant l'assurance et la Fintech, " restera le plus important marché en valeur d'utilisation de la Blockchain " selon IHS Markit. Même de menues économies peuvent représenter rapidement des montants importants en raison des sommes colossales en jeu, à l'échelle du marché des dérivés de gré à gré (plus de 500.000 milliards de dollars par an) ou des marchés boursiers mondiaux (plus de 70.000 milliards). " En appliquant la Blockchain à la compensation et au règlement des titres en espèces - et plus particulièrement aux actions - les sociétés d'investissement pourraient économiser jusqu'à 12 milliards de dollars de frais ", estime Don Tait, analyste principal chez IHS Markit, cité dans un communiqué. " Les blockchains peuvent également faire économiser de l'argent aux institutions financières, en éliminant nombre d'intermédiaires traditionnels impliqués dans le secteur financier " souligne-t-il. La Bourse suisse SIX compte développer une plateforme alternative de trading et de règlement-livraison utilisant les technologies de registre distribué pour les actifs numériques (tokens émis lors d'ICO par exemple) : son conseil d'administration décidera cet été de la date de lancement de cette future infrastructure de marchés baptisée SIX Digital Exchange (SDX). " La Securities and Exchange Commission (SEC) aux États-Unis, la Financial Conduct Authority (FCA) au Royaume-Uni, la Monetary Authority de Hong Kong et d'autres organismes de régulation réagissent de manière positive à la technologie Blockchain dans le secteur financier. Le soutien de ces autorités réglementaires renforce la crédibilité de la technologie Blockchain en l'aidant à devenir plus conventionnelle ", fait valoir, l'analyste d'IHS Markit. La Banque de France a même déployé sa propre Blockchain de place, Madre, un registre interbancaire décentralisé, qui permet de délivrer instantanément les identifiants de créanciers SEPA (pour les virements et prélèvements).