A neuf jours du second tour de la présidentielle en Ukraine, les deux candidats, Volodymyr Zelenski et Petro Porochenko, se rendent en Europe pour des pourparlers. Les politologues notent que si, jusqu'à présent, les pays de l'UE avaient misé sur leur candidat vérifié, Petro Porochenko, la situation pourrait aujourd'hui évoluer. Les deux prétendants à la présidence de l'Ukraine, Volodymyr Zelensky et Petro Porochenko, ont été reçu à Paris ce 12 avril pour s'entretenir avec Emmanuel Macron. Zelensky était reçu à l'Élysée avant son rival le Président sortant Porochenko. Analyse du site de la chaîne RT. Le cabinet du Président français n'a pas précisé quel était concrètement l'objet de son entretien avec ces deux politiciens ukrainiens. Il a seulement été annoncé que les interlocuteurs aborderaient les questions relatives aux relations bilatérales et, éventuellement, la coopération dans le cadre du Format Normandie. Le siège de campagne de Zelensky s'est limité à la confirmation de cette visite, sans entrer dans les détails. Petro Porochenko en a dit un peu plus. Il a déclaré que "le sort de l'État, le sort de la sécurité ukrainienne, mais aussi européenne, le sort de la stabilité du continent" étaient en jeu, notamment dans le contexte des "tentatives de revoir une nouvelle fois les sanctions contre la Russie". La préparation des pourparlers à Paris a été annoncée hier par les médias ukrainiens, puis l'information a été confirmée par Oleg Medvedev, représentant du siège de campagne de Petro Porochenko. Selon les experts, cette visite de Porochenko et de Zelensky en UE est liée à la campagne présidentielle, dont le premier tour s'est déroulé le 31 mars. Le comédien Zelenski y a remporté 30,24% des suffrages, suivi par le Président sortant avec 15,95% des voix. Le second tour est prévu pour le 21 avril.
"Macron et Merkel veulent évaluer les conséquences de la passation de pouvoir" Petro Porochenko ne s'est pas limité aux pourparlers avec Emmanuel Macron: le jour même, il s'est rendu dans la capitale allemande où il a été reçu par Angela Merkel. Le représentant du cabinet allemand Steffen Seibert a précisé que ces pourparlers ne devaient pas être perçus comme un soutien à Petro Porochenko aux élections. En effet, le QG de campagne du Président ukrainien avait qualifié son voyage à Berlin de "signe d'attention incontestable" aussi bien pour les élections en Ukraine que pour le candidat lui-même. De plus, Angela Merkel a publiquement félicité le politicien pour son passage au second tour. Dans le même temps, le vice-président de la fraction CDU-CSU majoritaire au parlement allemand, Johann Wadephul a déclaré que d'ici trois semaines Zelensky devait "clarifier ce qu'il prône" et quels politiciens le soutiennent, ainsi qu'expliquer comment il avait l'intention de lutter contre les oligarques tout en bénéficiant du soutien de l'un d'eux. "L'Ukraine ne peut pas se permettre de s'appuyer sur un gouvernement inexpérimenté dans le conflit avec la Russie et dans sa situation économique et sociale difficile", a déclaré Johann Wadephul. Petro Porochenko a été également soutenu indirectement aux États-Unis. Le représentant spécial du département d'État américain Kurt Volker a déjà appelé par le passé les Ukrainiens à voter pour le Président sortant. "Aujourd'hui, le peuple ukrainien doit faire un choix. Veulent-ils quelqu'un qui s'oppose simplement au système et promet de larges réformes? Ou quelqu'un qui les a peut-être déçus dans une certaine mesure, mais qui a organisé bien plus de réformes que quiconque en Ukraine depuis 20 ans et a fait face à Poutine?", a déclaré Kurt Volker dans une interview à la chaîne américaine PBS. Mais par cette invitation de Zelenski à une semaine du second tour, les politiciens européens montrent que la communauté occidentale est contrainte de revoir son approche, estiment les experts. D'après Rostislav Ichtchenko, président du Centre d'analyse systémique et de pronostic, immédiatement après le premier tour l'Occident a franchement affiché son soutien à Petro Porochenko, mais n'est plus aussi certain de son favori. "L'Occident pourrait insister sur une entente entre les deux candidats: quand Porochenko falsifiera à son avantage les résultats du second tour, Zelensky devra garder le silence. C'est l'une des options. Mais s'ils voyaient en Zelenski un successeur convenable, ils pourraient essayer de le persuader de garder une place en politique pour Porochenko après la victoire", analyse l'expert. Une idée similaire a été exprimée à RT par Bogdan Bezpalko, membre du Conseil des relations interethniques auprès du Président russe. Selon lui, il ne faut pas exclure que les pourparlers à venir puissent s'inscrire dans un "transfert en douceur" du pouvoir en Ukraine. "Macron et Merkel veulent évaluer les conséquences d'une éventuelle passation de pouvoir à Zelensky, alors que Porochenko est invité par politesse car l'UE l'a soutenu ces dernières années", a noté l'expert. Comme l'a expliqué à RT une source du Front populaire, l'UE est consciente que les chances de Volodymyr Zelensky de remporter les élections sont très élevées, c'est pourquoi les dirigeants veulent parler de sa stratégie de conduite avant qu'il ne devienne officiellement chef de l'État. "Très certainement, les représentants de l'UE veulent comprendre comment Zelensky a l'intention d'interagir avec l'UE et la Russie. De facto, c'est un signe que plus personne ne croit à la victoire de Porochenko", souligne la source.
"L'architecte de la solidarité internationale" Néanmoins, le Président sortant n'a clairement pas l'intention de baisser les bras et considère les pourparlers avec les dirigeants européens comme une nouvelle opportunité de s'assurer un soutien extérieur, estime une source de RT au sein du Bloc de Petro Porochenko. "Porochenko estime être plus expérimenté en politique étrangère, c'est pourquoi il n'est pas opposé à l'entretien entre Zelensky et Macron. Il espère que le Président français comprendra lui-même à quel point le rival du Président sortant n'est pas prêt à diriger l'Ukraine en des temps aussi difficiles, que l'UE soutiendra Porochenko, ce qui l'aidera à gagner. En réalité, seul un miracle peut aider Porochenko à gagner aujourd'hui", ajoute la source. L'appui sur les forces extérieures est devenu depuis longtemps un outil central de la lutte politique en Ukraine, remarquent les experts. Les rencontres avec les dirigeants occidentaux sont perçues par les politiciens ukrainiens non pas comme une possibilité de défendre les intérêts de Kiev, mais comme une opportunité de renforcer leur propre popularité. Dans ce registre, une rencontre avec le Président américain est celle qui a la plus grande valeur. Ainsi, Petro Porochenko a tenté à plusieurs reprises d'obtenir une audience avec le locataire de la Maison-Blanche, mais pas toujours avec succès. Par exemple, en septembre 2018, le dirigeant ukrainien n'a pas réussi à s'entretenir avec son homologue américain an marge de l'Assemblée générale des Nations unies - les deux hommes politiques ont seulement pris une photo ensemble. Beaucoup ont noté à l'époque que les Présidents de l'Ukraine et des USA avaient des costumes et des cravates similaires, après quoi le service de presse de Petro Porochenko était allé jusqu'à conclure que "la communauté de positions des partenaires stratégiques se constatait jusque dans leur tenue". En mai 2018, la BBC a publié un article se référant à des sources ukrainiennes révélant que Kiev avait dû verser près de 400.000 dollars à l'avocat personnel du Président américain pour organiser un entretien entre Petro Porochenko et Donald Trump en 2017, sans quoi cette rencontre se serait limitée à "quelques minutes d'échange de politesses". Toutefois, à trois jours de la présidentielle ukrainienne actuelle, la BBC a présenté ses excuses à Petro Porochenko, qualifiant d'incorrecte son ancienne publication. En prévision de l'élection, le Président sortant accorde une importance particulière aux rencontres et aux pourparlers avec les dirigeants étrangers: le politicien parle souvent de la prétendue solidarité internationale avec l'Ukraine, qu'il aurait réussi à construire durant son mandat. D'après le Président ukrainien, c'est cette "solidarité" qui permet à l'Ukraine de compter sur une lutte efficace contre l'"agression russe". Petro Porochenko considère en effet la "solidarité internationale" comme son exploit personnel, tout comme le régime de sanctions occidentales contre la Russie. "Tous les six mois, la Russie tente de lever ces sanctions, et nous avons besoin d'un travail responsable, professionnel et très minutieux. La cohésion de l'Occident à ce sujet a été soutenue inébranlablement par notre équipe pendant ces cinq années. Et je déclare qu'elle continuera de la soutenir", a noté Petro Porochenko. De plus, ce dernier a déjà déclaré qu'en cas de victoire de M. Zelensky le pays pourrait perdre ses alliés dans le dossier du Donbass. C'est ainsi que le Président sortant a commenté les propos de son rival concernant la possibilité de négociations directes pour régler le conflit dans la région. "Et où sont nos partenaires du Format Normandie, où est l'UE, où sont les USA? Si tu avances sans alliés, tout ce qui a été fait s'effondre", a déclaré Petro Porochenko sur la chaîne ICTV. L'UE a également abordé le thème du Format Normandie et de l'avenir des accords de Minsk: l'Allemagne et la France ont appelé les membres de ce format à intensifier les négociations après la présidentielle ukrainienne, selon la déclaration d'un représentant du ministère des Affaires étrangères français en conférence de presse ce 8 avril.
"Les pourparlers seront un test d'évaluation" Dans la matinée du 10 avril, les médias ont publié le plan des démarches concrètes que Volodymyr Zelenski serait prêt à engager en cas de victoire, et la liste des thèses de campagne a été publiée sur le site ukrainien Liga. On apprend que le candidat a l'intention d'inviter le Royaume-Uni et les USA à rejoindre le format Normandie, ainsi que de retirer du processus de négociations le président du conseil politique du parti Plateforme d'opposition - Pour la vie Viktor Medvedtchouk. Le jour même, la même initiative a été lancée par Petro Porochenko: il a chargé le Service de sécurité ukrainien (SBU) d'analyser l'utilité de la présence de Viktor Medvedtchouk au sein du sous-groupe de contact humanitaire, l'accusant d'"inefficacité". Le règlement de la situation dans le Donbass sera l'un des thèmes des pourparlers à venir entre les politiciens ukrainiens et Emmanuel Macron, estime Bogdan Bezpalko. "Tout est évident: ils parleront des liens économiques de l'UE avec l'Ukraine, du dialogue avec Bruxelles, de la manière dont le futur dirigeant ukrainien a l'intention de construire les relations entre l'UE, la Russie et les USA. Le dirigeant français essaiera d'évaluer l'aptitude de Zelensky au dialogue", explique l'expert. Les deux candidats tenteront de faire impression à Emmanuel Macron, notamment Zelensky qui est encore inconnu en politique, estime Bogdan Bezpalko. Quant à la raison pour laquelle les deux candidats sont partis précisément à Paris, l'expert rappelle qu'Emmanuel Macron "se positionne comme un leader européen fort". "Ces pourparlers pourraient constituer une sorte de test d'évaluation car le président français est l'un des acteurs qui influent sur le sort de l'Ukraine. Pour Macron, ces pourparlers seront une confirmation du fait qu'il exerce une influence sur la situation ukrainienne et rivalise même avec Moscou", estime l'expert. D'après Bogdan Bezpalko, cette situation n'a rien d'étrange parce que "tout politicien ukrainien dépend de l'Occident aujourd'hui, car l'Ukraine elle-même et toute son économie dépendent de l'Occident". "Quel que soit l'individu qui arrivera au pouvoir en Ukraine, il ne pourra pas maintenir une ligne complètement indépendante, notamment parce que Kiev est dépendant de l'Occident. En même temps, Zelensky dépend en grande partie des milieux d'oligarchie en Ukraine même. C'est pourquoi l'Occident étudiera non seulement le comportement de Zelenski, mais également les positions de ses protecteurs", conclut l'expert