Près de la forêt de Ngong, à Nairobi, des milliers de voitures d'occasion brillent sous un soleil de plomb sur un immense terrain poussiéreux, dans l'attente d'éventuels acheteurs. Importés du Japon ou du Moyen-Orient, ces véhicules aux prix abordables, qui dominent le marché automobile depuis des décennies, permettent à nombre de Kényans de disposer d'une voiture. Mais ils constituent aussi un obstacle majeur sur la route des constructeurs en quête d'un relais de croissance en Afrique. Leurs ventes dans le reste du monde sont menacées par les tensions commerciales et un durcissement de la réglementation sur les émissions polluantes. Volkswagen, BMW, Toyota, Nissan et d'autres se sont associés pour faire pression sur les gouvernements africains afin de réduire les importations de véhicules en Afrique subsaharienne et permettre à la production locale de se développer. La question en Afrique n'est pas de savoir si c'est un marché d'avenir mais plutôt quand il va décoller, a déclaré à Reuters Mike Whitfield, responsable de Nissan pour l'Afrique. Quatre ans après la création de l'Association of African Automotive Manufacturers (AAAM), les efforts de cette fédération commencent à porter ses fruits. Les constructeurs disposant d'usines locales d'assemblage pourraient bénéficier d'une exonération fiscale sur une période pouvant atteindre 10 ans et d'une exemption de droits de douane au Nigeria, au Kenya et au Ghana, selon des projets consultés par Reuters. Thomas Schäfer, responsable des activités de Volkswagen en Afrique, évalue le marché des voitures neuves en Afrique subsaharienne entre trois et quatre millions d'unités, contre 420.000 en 2017. Mais pour parvenir à cet objectif, il faudrait réduire la proportion des véhicules d'occasion, la contrebande et les prix des modèles neufs. "Cela dépendra en grande partie de la capacité des gouvernements africains à endiguer les importations de voitures d'occasion et de la compétitivité au niveau tarifaire des véhicules neufs", a déclaré Craig Parker, directeur de la recherche pour l'Afrique au cabinet d'études Frost & Sullivan
L'Afrique, dernier bastion des moteurs thermiques La population et les revenus des ménages en Afrique augmentent rapidement mais, selon des données du secteur, son milliard d'habitants ne représente que 1% des ventes mondiales de voitures neuves de tourisme, l'Afrique du Sud se taillant la part du lion. Le Kenya, le Nigeria et le Ghana sont considérés par l'AAAM comme des pôles potentiels de production. Ces deux derniers pays sont prêts à proposer aux constructeurs automobiles des exonérations fiscales sur 10 ans et une absence de droits de douane sur les pièces et composants importés en échange d'un assemblage local des véhicules. Le Nigeria envisage également de taxer à 70% les véhicules neufs entièrement produits ailleurs afin de stimuler la demande pour la production locale, mais ce projet de loi n'a pas encore été approuvé. Au Kenya, les constructeurs seront exonérés de droit d'importation ou d'accise et bénéficieront d'un allégement fiscal de 50%. VW et Nissan disposent déjà d'usines ou se sont engagés à en ouvrir au Nigeria, au Kenya et au Ghana. Honda et le Groupe PSA ont des sites d'assemblage au Nigeria. Le groupe français s'est également implanté au Kenya. Andrew Kirby, directeur général de Toyota en Afrique du Sud, a déclaré que la stratégie du groupe était de se "concentrer sur l'Afrique car le continent va connaître une importante croissance". L'Afrique pourrait permettre aussi aux constructeurs de continuer à écouler leurs voitures à moteurs thermiques, en raison du prix élevé des modèles électriques et de l'absence d'infrastructures pour ce type de véhicules sur le continent. En 2018, il s'est vendu seulement 66 voitures électriques en Afrique du Sud, première économie du continent. "L'Afrique restera très probablement le dernier bastion des moteurs à combustion", prédit Craig Parker.
Distorsion du marché Certains responsables du secteur considèrent cependant que le principal obstacle au développement des voitures neuves en Afrique vient du Japon, où les véhicules sont mis au rebut après seulement quelques années de service en raison de contrôles stricts. Ils estiment que cette politique entraîne une distorsion du marché en permettant aux concessionnaires d'acheter des véhicules au prix de la ferraille et de les exporter vers l'Afrique. Selon ces responsables, les importations bon marché en provenance du Japon ont détruit la production locale dans plusieurs pays d'Afrique, notamment au Nigeria qui assemblait environ 150.000 véhicules par an jusque dans les années 1980. Pour Thomas Schäfer, de VW, les autorités politiques en Afrique doivent intervenir, faute de quoi il sera vain de mettre en place une production locale. "Les marchés (...) ne fonctionnent littéralement pas en raison de l'importation de véhicules d'occasion", a-t-il dit. Le gouvernement kényan prévoit de réduire les importations de voitures de plus de trois ans d'ici 2021, à l'exception des modèles de tourisme équipés d'un moteur d'au moins 1,5 litre. Cette mesure pourrait entraîner un doublement du prix des modèles milieu de gamme importés, dénonce cependant la Kenya Auto Bazaar Association (KABA), un groupe de pression de 300 membres. "La classe moyenne ne pourra pas posséder un véhicule de son choix", déplore Mark Oburu, vice-président de la KABA. Une baisse des recettes fiscales tirées des véhicules d'occasion importés pourrait représenter aussi un problème pour certains pays africains en cas de durcissement des règles. Le marché souffre également de l'accès au financement et de la contrebande sur les importations. Les dirigeants des constructeurs automobiles reconnaissent l'ampleur des défis à relever mais rappellent le cas de la Chine. Lorsque VW et General Motors se sont implantés en Chine dans les années 1980 et 1990, le taux d'équipement était inférieur à celui de nombreux marchés africains. Aujourd'hui, ces deux entreprises vendent à elles seules plus de 3,5 millions de véhicules par an en Chine. "Tout le monde riait en soutenant que la Chine n'avait pas besoin de voitures mais seulement de bicyclettes", a déclaré Thomas Schäfer.