La Cour constitutionnelle du Malawi doit annoncer en début de semaine si l'élection présidentielle remportée par le sortant Peter Mutharika en mai 2019 est annulée ou validée, un jugement très attendu après des mois de manifestations violentes dans ce petit pays d'Afrique australe. Les cinq juges de la Cour à Lilongwe, qui sera placée sous haute protection pour l'occasion, se prononceront sur la régularité de la présidentielle, après avoir été saisis par deux des perdants, Lazarus Chakwera et Saulos Chilima, arrivés respectivement deuxième et troisième. Seulement 159.000 voix séparent le gagnant Peter Mutharika, au pouvoir depuis 2014, de Lazarus Chakwera, chef du Parti du congrès du Malawi (MCP). L'opposition accuse le régime d'avoir manipulé les résultats de la présidentielle, en utilisant notamment du blanc à corriger sur de nombreux procès-verbaux. Le camp du vainqueur nie lui farouchement toute fraude. Peu après le scrutin, le chef des observateurs de l'Union européenne, Mark Stephens, avait cependant "reconnu" que "beaucoup d'erreurs avaient été commises pendant le décompte". C'est la première fois depuis l'indépendance du Malawi en 1964 que les résultats d'une élection présidentielle sont contestés devant la justice. Et les implications de l'arrêt de la Cour sont potentiellement explosifs. Si elle annule les résultats de la présidentielle, de nouvelles élections devront être organisées dans les soixante jours, à moins qu'une des deux parties ne fasse appel. Le pays attend donc avec fébrilité l'arrêt de la Cour constitutionnelle d'autant plus que le Malawi a connu ces derniers mois de nombreuses manifestations de l'opposition, émaillées de violences avec les forces de sécurité. Par crainte d'incidents lundi, des établissements scolaires et des entreprises ont d'ailleurs décidé de garder leurs portes closes le jour du jugement.
Moment clé "Il va y avoir des vainqueurs et des vaincus et on ne sait pas comment les perdants vont réagir", a prévenu Michael Jana, professeur malawite de science politique à l'université sud-africaine de Witwatersrand. Les deux principaux opposants ont appelé leurs partisans à faire preuve de retenue. "Engageons nous à accueillir, les bras ouverts, le jugement qui va servir de fondation pour commencer le travail de reconstruction de notre nation et le travail de réconciliation", a déclaré Lazarus Chakwera. "Une fois le jugement rendu, j'appelle le vaincu à accepter sa défaite avec humilité", a dit pour sa part Saulos Chilima. Le gouvernement a aussi exhorté "tous les partis politiques à respecter l'état de droit et la justice", prévenant que la "destruction du pays était contreproductive". Au Malawi, les forces de sécurité sont sur le qui-vive pour éviter tout dérapage, a assuré le chef de l'armée, Vincent Nundwe. Le jugement de la Cour constitue un "moment clé de l'histoire du Malawi", ont souligné dans un communiqué conjoint l'Union européenne, le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Les invalidations d'élection sont rarissimes en Afrique. En 2017, au Kenya, la Cour suprême avait invalidé pour "irrégularités" la réélection du président Uhuru Kenyatta et ordonné l'organisation d'un nouveau scrutin dans les deux mois, une première sur le continent. Les Malawites ne s'y sont pas trompés. Pendant des mois, ils se sont passionnés pour les audiences de la Cour constitutionnelle, retransmises pour la première fois en direct et en intégralité par les radios privées. "Cette affaire a réveillé le Malawi", s'est réjoui Chatonda Jembe, un employé. Les partis "savent désormais qu'ils ne peuvent plus nous rouler dans la farine", a-t-il ajouté. L'un des temps forts des audiences a été le témoignage d'un expert en informatique, Daud Suleman, venu expliquer à la barre comment des données essentielles avaient été supprimées lors de l'enregistrement des résultats de la présidentielle. Signe du caractère ultra sensible du dossier, la Cour constitutionnelle a affirmé début janvier que plusieurs juges avaient été victimes d'une tentative de corruption. Un homme d'affaires, propriétaire d'une banque malawite, a été arrêté suite à leur plainte.