Mieux que tout autre symbole, la "statue du pêcheur" érigée dans le centre de la ville de Jijel, à deux pas du siège de la commune, est un point de repère tout indiqué pour les visiteurs et les touristes qui mettent pied à terre dans cette cité littorale. De par son implantation dans un endroit névralgique de l'antique Igilgili, cette statue en bronze plus que centenaire, symbolise au mieux la vocation d'une cité maritime et de sa population. Elle fait face à un jet d'eau ruisselant et illuminé de nuit pour donner une petite touche de gaîté à la ville. Trônant au centre de la place de la République, cette oeuvre, signée d'un sculpteur italien du nom de Guglielmi, est pour Jijel ce que Ain Fouara est pour les Sétifiens, à la seule différence que la statue ne surplombe pas une fontaine, ce qui ne l'empêche pas d'attirer de nombreux visiteurs. Cette sculpture a été réalisée en 1888 et coulée dans une fonderie dont le nom est encore gravé sur une partie de l'ouvrage. Aucun écrit n'est disponible pour donner d'autres détails sur cette belle oeuvre sertie à l'ombre de grands arbres face au vieux port. Plutôt bien faite et bien conservée, elle représente un pêcheur arborant un bonnet phrygien --symbole de la liberté à une certaine époque-- et occupé à ravauder ses filets. Seulement voilà, le bon bougre ne savait pas qu'il allait être, un jour, menacé dans son intégrité "physique". Il y a 46 ans, en effet, dans l'euphorie née de l'indépendance du pays, un "règlement de compte" à l'arme légère eut lieu entre partisans de la conservation de cette statue et détracteurs d'un "vestige de la colonisation", qui cherchaient à la déboulonner. Des tirs à l'arme automatique ont même fusé en direction de l'innocent pêcheur en métal qui s'en est heureusement tiré à bon compte malgré quelques projectiles dans le cou. Cette querelle sans lendemain n'a pas eu l'effet escompté : la "statue de la Liberté", comme on aime à l'appeler ici, tient encore bon et résiste malgré l'avancée inexorable du temps et de ses aléas. Au milieu de tout cela, indifférent à l'activité fébrile qui l'entoure, le pêcheur continue de ravauder son filet avec les embruns marins et le climat spécifique à la ville côtière, cette masse de bronze, installée confortablement sur un piédestal en pierre taillée d'environ 4 mètres de haut, a connu aussi les déboires du vert-de-gris qui n'épargne aucun objet métallique. Il y a deux ou trois ans, des travaux d'entretien et de lustrage ont été entrepris pour redorer le blason de ce monument, devenu une vraie curiosité, surtout pendant l'été. Le résultat était excellent, mais voilà que les effets atmosphériques reviennent à la charge pour emmitoufler ce chef-d'oeuvre d'une rouille verte dont le seul responsable est l'humidité marine. Plus connue sous l'appellation de "Cojador", qui veut dire dans le parler local "raccommodeur de filets de pêche", cette statue tourne le dos à la mer dans le centre d'un ancien jardin, transformé aujourd'hui en placette. De jour comme de nuit, sous les lampions des candélabres illuminés, notre pêcheur, lui, ne se lasse pas de tenir solidement ses filets entre les mains, rappelant à qui veut l'entendre la vocation d'une cité qui a toujours tiré de la mer la part la plus généreuse de ses ressources.