Les canalisations d'hydrocarbures sont, aujourd'hui l'objet de nouveaux enjeux des relations internationales et de la géopolitique. Les risques qui pèsent sur la détermination de leur tracé et la concurrence des pays exportateurs d'hydrocarbures entravent leur construction. Par ailleurs, les capacités de blocage des Etats de transit justifient le contournement de certains carrefours énergétiques. C'est dans ce contexte que l'enjeu du transport de l'énergie mobilise la diplomatie des grandes puissances. Russie, Etats-Unis, Chine et Union européenne trouvent, par le biais des oléoducs et des gazoducs, la garantie de leur sécurité énergétique, mais aussi des instruments d'influence politique et de pénétration économique. Cependant le moins loti de tous semble être le vieux continent. En effet, l'Europe peine à résoudre la difficile équation de son approvisionnement à long terme en gaz naturel. Elle a pourtant aujourd'hui le choix suivant : opter pour l'Asie centrale post soviétique, via la Russie pour son approvisionnement, ou faire le choix d'un approvisionnement du Caucase via l'Iran et la Turquie. Ces choix se cristallisent à travers de nombreux projets de gazoducs qui s'affrontent. Il faut dire que, face aux tensions récurrentes entre l'Ukraine et la Russie, l'Europe a compris combien il était dangereux pour elle d'être trop dépendante des humeurs de Moscou et de Kiev. L'UE cherche donc à diversifier ses approvisionnements. De son côté, Moscou, échaudée par l'attitude beaucoup moins docile de l'Ukraine depuis la Révolution orange, veut à tout prix trouver le moyen de vendre son gaz à l'Ouest en évitant la case ukrainienne. C'est dans cette perspective, à l'horizon 2012, qu'une profonde redéfinition des routes du gaz vers l'Europe s'annonce avec pas moins de trois projets de pipelines concurrents, qui s'accordent néanmoins sur un point : la nécessité d'amener le gaz des régions de production (la mer de Barents et la Sibérie occidentale en Russie, mais surtout les champs gaziers de la Mer Caspienne et d'Asie centrale) à l'autre extrémité du continent européen, en contournant ostensiblement la route la plus évidente, celle de l'Ukraine. Pour cela, deux voies possibles, celle du Nord et celle du Sud. Par le Nord, Gazprom devrait ouvrir en 2010 la première portion de son gazoduc Northstream, qui reliera les champs gaziers russes de la mer de Barents à l'Allemagne, via Saint-Pétersbourg et une portion sous-marine de près de 1 200 kilomètres à travers la Mer Baltique. La direction de ce projet est russo-allemande, Gazprom gardant la majorité des parts. Northstream vise à donner à Gazprom un accès direct au gourmand marché européen, ce qui n'est pas du goût de tous les pays membres de l'Union. Au Sud, c'est la mer Caspienne et l'Asie centrale, ces prometteurs champs gaziers d'Azerbaïdjan, du Turkménistan, du Kazakhstan et d'Ouzbékistan qui attisent les convoitises. L'UE espère, là, traiter directement avec les pays producteurs, évitant ainsi l'intermédiaire Gazprom qui considère pourtant cette région d'ex-URSS comme son pré-carré. Et pour transporter ce gaz sans tomber sous tutelle russe, Bruxelles a misé sur le projet Nabucco, un pipe-line qui devrait, dès 2012, traverser la mer Caspienne et le Caucase pour cheminer ensuite à travers la Turquie et le Bosphore pour desservir l'Europe d'Est en Ouest via la Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie, et l'Autriche. La route sud, version russe, se nomme Southstream. Ce projet russo-italien est l'alternative proposée par Gazprom à la route ukrainienne actuelle. Il devrait, à compter de 2013, acheminer vers l'Italie le gaz de Sibérie occidentale, celui-là même qui transite actuellement par l'Ukraine. Le pipe-line initié par Gazprom et la société italienne ENI devrait relier la Russie à la Bulgarie via 900 kilomètres de tubes sous-marins au fond de la Mer Noire, avant de se séparer en deux routes, l'une remontant à travers la Roumanie et la Hongrie vers l'Europe du Nord, l'autre traversant la Serbie puis la Mer Adriatique pour déboucher en Italie. La course effrénée de l'Europe à s'affranchir de la Russie semble vouée à l'échec surtout quand on note que l'Allemagne, comme l'Italie ne s'embarrassent pas de l'opinion de leurs voisins proches en développant leur partenariat stratégique direct avec la Russie, qu'ils estiment à juste titre sans doute être le partenaire clef pour leur sécurité énergétique.