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«la curiosité m'a amené à faire du cinéma»
Entretien avec Yacine Mesbah
Publié dans Le Midi Libre le 10 - 04 - 2010

Yacine Mesbah est comédien, il est un des membres fondateurs des Folies berbères. Cet enfant de la Haute casbah d'Alger, dégage toujours la fougue de ses ancêtres montagnards de Guenzat dans la région des Aït Yaâla. Après des études à l'INADC (Institut National d'Arts Dramatique et Chorégraphique) il poursuivit une licence d'Etudes Théâtrales à la Sorbonne à Paris. Nous l'avons rencontré au retour d'une tournée en Algérie qu'il a faite avec les Folies berbères au mois de février passé.
Yacine Mesbah est comédien, il est un des membres fondateurs des Folies berbères. Cet enfant de la Haute casbah d'Alger, dégage toujours la fougue de ses ancêtres montagnards de Guenzat dans la région des Aït Yaâla. Après des études à l'INADC (Institut National d'Arts Dramatique et Chorégraphique) il poursuivit une licence d'Etudes Théâtrales à la Sorbonne à Paris. Nous l'avons rencontré au retour d'une tournée en Algérie qu'il a faite avec les Folies berbères au mois de février passé.
Vous venez de faire une nouvelle tournée en Algérie, vos impressions…
J'étais agréablement surpris. Tant d'années après, c'est le même engouement de la part du public, nous avons fait partout salle comble, c'est quelque chose de formidable. On nous dit souvent que notre public n'est pas à la hauteur, ce n'est pas vrai. On a un public qui autant prévoit de prendre une pizza autant il prévoit d'aller voir un spectacle. Ça a été un peu dur, naturellement de sillonner le pays, mais c'est toujours avec plaisir que nous redécouvrons des villes comme Constantine, Bejaia, Tizi Ouzou, Tlemcen et Alger. Je tiens à remercier ce public qui a pris la peine de venir vers nous. Même revu et corrigé, notre spectacle existe toujours après 20 ans. Quand nous avons vu ce public énorme, nous étions très émus. La tournée a été très positive et pleine d'enseignements. Nous nous sommes dit c'est extraordinaire, il ne manque que de faire des spectacles, il y a un public, maintenant il nous faut créer, il y a tout ce qu'il faut. Mais en dépit de ces conditions avantageuses, malheureusement, les salles ne fonctionnent pas, le système des salles reste un peu sclérosé. La gestion des salles reste malheureusement fermée. Il n'y a pas eu encore de déclic de ce côté-ci.
Que reprochez-vous au système des salles ?
La très mauvaise gestion. Les salles sont merveilleuses, elles sont dotées d'une acoustique impeccable, ce sont de véritables bijoux, mais certaines d'entre elles sont devenues pratiquement des mouroirs. Parmi celles qui sont bien tenues je peux citer la salle de Constantine où j'aime toujours revenir vu l'accueil artistique qui y prévaut. Il y a une prise en charge sur les plans artistique et technique, le son est parfait, la lumière excellente, on se sent chez nous quelque part. On n'éprouve pas d'appréhension sur les conditions du déroulement du spectacle, on est toujours rassuré par rapport à ça. Il faut rendre hommage à ces quelques salles qui essayent d'être professionnelles avec toutes les difficultés qui peuvent y avoir. Il faut naturellement en parler parce que c'est nous qui sommes sur scène, c'est nous qui allons dans ces salles, nous sommes obligés d'en parler. Certaines salles, certains théâtres prestigieux sont des mouroirs. Il n'y a aucune gestion, le personnel est y absent durant le spectacle. Les normes de sécurité sont inexistantes. On oublie souvent la sécurité, or une salle est un établissement destiné à recevoir le public, il doit y avoir un minimum de sécurité. Il doit y avoir des postes d'incendie, mais c'est le défouloir, un danger public, moi-même j'ai dû personnellement me mêler de ces questions-là en demandant après les pompiers. Mais ce copr de sécurité devrait être alerté à l'avance, ce qui se passe est très grave. Quand on parle de spectacle, il faut penser à tout. Il y a l'artistique, le technique, la sécurité, etc.
Et les salles algéroises, comment les trouvez-vous ?
Les salles algéroises dans lesquelles nous nous sommes produits se comptent sur les doigts d'une seule main. Nous avons eu une belle histoire avec Ibn Zeydoun. C'est la seule salle qui nous a ouvert les portes en nous disant soyez les bienvenus, on vous fait confiance, le public d'ailleurs nous a dit du bien de vous et il en redemande. Ils savent travailler, ils savent ramener le public et gérer, là nous sommes techniquement à l'aise et même scéniquement. Il y règne une atmosphère de spectacle, les gens sont émerveillés. Ibn Zeydoun est une salle qui permet la communication avec le public, une certaine intimité, c'est toujours avec plaisir que j'y vais. Aussi j'adore la salle El Mougar que je trouve superbe et intimiste, mais on n'a jamais eu de proposition de la part de l'ONCI. On ne va pas tout de même les supplier pour qu'on soit admis. Hormis quelques rares salles, je ne vois pas d'autres à Alger qui peuvent fonctionner conformément aux règles.
Je croyais que c'est vous qui choisissez la salle
Non. Nous, on s'adresse à une institution culturelle, mais si on nous dit non, on ne peut pas leur forcer la main. Il se trouve que nous avons énormément travaillé avec l'OREF, (Office Riadh El Feth, NDLR), on atterrit toujours à Ibn Zeydoun, mais depuis des années on ne s'est pas produit au Palais de la culture, ni au Mougar, ni à l'Atlas. Ce sont des salles qui nous sont malheureusement fermées, on dérange quelque part.
Mais tout de même quand vous donnez un spectacle, vous faites rentrer de l'argent …
Ça ne les intéresse pas. Ils sont bien payés, ce sont des gens qui ont leur petit salaire, on ne leur demande pas des comptes sur la rentabilité. Ils se disent à quoi bon de se casser la tête. C'est bizarre de voir les gens comme ça, ils sont responsables depuis 10, 15 ans, installés-là et rien ne marche, on doit se poser la question, pourquoi ce type est-là ? Il doit faire le contraire de ce qu'il doit faire, il est payé par l'Etat et c'est notre argent, celui du contribuable, je veux juste comprendre. Et dire que dans des salles pareilles on peut faire des miracles, à partir de rien. La preuve notre spectacle a coûté en tout et pour tout entre 5.000 DA et 7.000 DA, comment une salle peut mourir comme ça ?
Vous avez débuté sur les chapeaux de roue en 90, après vous avez disparu de la circulation…
Oui on a démarré en donnant la générale en 91. Cela dit en passant, je tiens à rendre hommage à l'acteur Hamid Chabouni qui était avec nous. Les acteurs sont partis sauf Hicham et moi. Il y avait Kamel Debbi, à l'époque on avait commencé avec un piano et avec des redingotes.
Il fallait créer un style nouveau car on n'avait pas notre place, nous étions jetés à la marge. On ne recrutait pas dans les théâtres. On a été refusé partout. A l'INADC, on avait eu une petite formation. On s'est dit tient on va faire un autre style, nous sommes sur le marché de l'art, faisons ce que nous savons faire. On a travaillé et ça a marché, on a fait Paris, Bruxelles, Tunis, toutes les villes algériennes et même les petits villages. A l'époque on prenait nos cabas puis on montait dans un taxi pour aller sillonner l'Algérie. Bientôt ça commençait à chauffer avec le terrorisme, malgré tout ça, on a poursuivi notre travail, les gens nous disaient alors mais vous êtes malades. A un certain moment, ça devenait de la folie car nos propres amis étaient assassinés, et là on a compris que c'était sérieux, que ce ne sont pas des fantasmes, on a été alors obligé de se terrer et tout s'est arrêté. Et on a disparu.
Les rues étaient envahies par d'autres. Il fallait se terrer, on avait même honte de dire qu'on est parti, car c'était un exil forcé, douloureux. Ils nous ont exilé quelque part alors qu'on ne voulait pas s'intégrer à la société européenne et occidentale. Etant né et grandi ici, on s'imaginait que partir là-bas revient à se dissoudre dans la société d'accueil.
Mais après de longues années on est revenu plus fort, plus mûr, plus incisif, plus agressif. On n'a subi aucune censure, on fait ce qu'on veut faire sur scène. On a cassé des tabous que personne n'ose évoquer. Le public est bien sûr ravi qu'on le fasse.
On ne va pas tout de même se caresser mutuellement dans le sens du poil toute notre vie. On ne va pas dire que tout le monde est beau, tout le monde est gentil. L'artiste doit être militant. Il y a eu des réformes en Algérie depuis 10 ou 15 ans, des réformes économiques, sociales, etc., on a construit et investi énormément sauf dans le secteur de la Culture, là aucun investissement n'a été fait.
On nous parle de réalisations, franchement je ne vois pas, est-ce qu'on a construit un seul théâtre ? Il faut remercier la providence de nous avoir gardé les anciens théâtres qu'on continue d'utiliser heureusement ou malheureusement, c'est selon. Quand on revenu en 2003, nous avions redécouvert un public merveilleux. On aurait cru qu'on était en 1991. On a assisté au même engouement. Il faut arrêter de dire que le public n'aime pas le théâtre. Je reviens vers les directeurs de salle, c'est eux qui ne font pas leur boulot. Ils n'arrivent pas à captiver l'attention du public, comment cela se fait-il ?
Comment êtes-vous venu au cinéma ?
C'était un pur hasard. Quand on s'est produit au Centre culturel algérien à Paris pour jouer «Les Folies berbères», quelqu'un qui est passé pour voir le spectacle m'a appelé 10 jours après et je me suis vu proposer un rôle dans le film « Chouchou » de Merzak Allouache. J'avais hésité au début car le cinéma ce n'est pas dans mes tripes, je n'ai pas fait de cinéma.
Finalement je me suis laissé convaincre parce que je trouvais intéressant de jouer le rôle de Djamila une personne travestie haute en couleur, complètement différente de moi. Ce qui est intéressant c'est le travail d'acteur qui restait à faire. Construire un personnage est le meilleur cadeau qu'on puisse offrir à un comédien. Après « Chouchou » j'ai enchaîné avec quelques films mais faire du cinéma n'a jamais été vraiment mon ambition, faire des films pour paraître à la télé, ce n'est pas mon but, si je ne trouve pas du plaisir dans ce que je fais, ça ne m'emballe pas.
Le rôle que vous avez campé dans ce film est-il le plus important ?
C'est un des personnages qui mène un peu l'action, qui est aussi présent dans le film...
Mais pourquoi Merzak Allouache vous a choisi pour ce rôle ?
J'en sais rien, franchement j'en sais rien, peut-être qu'il a senti que je pouvais mieux que tout autre jouer ce rôle. C'est vrai que j'ai toujours eu ce côté un petit peu macho…enfin le réalisateur a une vision, il a une connaissance profonde des êtres et des choses…
Vous avez joué dans combien de films ?
J'ai fait très peu de cinéma. Au fait j'ai fait mon premier film de cinéma presque à contrecœur. J'y étais poussé parce que je n'avais aucun sou en poche. J'ai donc commencé avec Djamel Fezzaz dans « La mélodie de l'espoir » avec Djalti, qui est la première comédie jamais tournée en Algérie. Je venais à l'époque de finir ma formation à l'INADC.
J'y avais reçu plutôt une formation pour faire de la mise en scène. Mon projet est de faire de la critique et non pas de paraître à la télé. Il y a eu cette année-là 3 majors de promo dont moi-même.
On avait des bourses pour aller se former à l'étranger. On avait le choix entre l'Italie, la France, la Belgique et la Russie, nous étions fiers. Pour nous c'était extraordinaire d'aller ailleurs pour se perfectionner et pouvoir revenir. Mais naturellement, les bourses ont été détournées.
Que vous a appris le cinéma ?
La technique, quand au début je voyais 15, 20 personnes sur le plateau, je me sentais perdu, c'est une manière de se dénuder, le tournage, c'est se mettre à nu. Je trouvais cela affreux.
Quand fusent les cris « Stop, coupez ! » je tressaillais, je croyais que j'ai fait une bêtise. Finalement on a crié parce que le son n'est pas bon, j'étais soulagé.
Petit à petit j'ai appris la technique, il y a une manière de tourner la tête, une façon de marcher etc., il y a aussi beaucoup de chose qu'on apprend sur le tas.
Et vos études de licence d'études théâtrales à la Sorbonne vous ont-elles servies ?
Enormément. Ça ma permis de relever le défi, de prendre ma revanche sur l'injustice. On avait donné ma bourse à des nuls qui sont partis et qui ne sont jamais revenus et qui ont échoué en plus. En fait j'étais frustré pendant plus de15 ans, j'avais cette douleur tapie en moi. J'ai pu revisiter les grands auteurs, faire des formations pratiques au sein du Théâtre du soleil, ce n'est pas rien que d'évoluer avec Jacques Lecoq, un des plus grands profs d'expression corporelle qui fait de très grands trucs de Michael Jackson. On se rassure sur soi et sur le niveau auquel on est parvenu. On évalue nos connaissances, On sait si on est apte à analyser une pièce de Tchékhov ou de Shakespeare, on prend de l'assurance.
Auriez-vous des projets ?
Oui ma tête est pleine d'images pleine de choses. Quand on fait un spectacle et qui marche très bien et qui plait, il faut faire très attention par la suite, il faut toujours faire plus, mieux. Je suis très prudent en fait. On peut déraper en se disant voilà je fais des trucs qui marchent, on les refait, et c'est tout. Eh bien c'est non. Il faut faire plus fort. Donc on réfléchit, on prend notre temps, on se donne 6 mois, un an, on laisse le travail d'écriture se faire…j'ai des soucis concernant l'esthétique, on a tendance généralement à oublier que le théâtre est avant tout esthétique. On peut décevoir à la télé quand on joue des feuilletons, puisque le public est à la maison, mais on n'a pas le droit de décevoir des gens que vous faites venir jusqu'à vous et auxquels vous avez fait payer leur place, il faut faire très attention, ce public, il faut le respecter. L. G.
Vous venez de faire une nouvelle tournée en Algérie, vos impressions…
J'étais agréablement surpris. Tant d'années après, c'est le même engouement de la part du public, nous avons fait partout salle comble, c'est quelque chose de formidable. On nous dit souvent que notre public n'est pas à la hauteur, ce n'est pas vrai. On a un public qui autant prévoit de prendre une pizza autant il prévoit d'aller voir un spectacle. Ça a été un peu dur, naturellement de sillonner le pays, mais c'est toujours avec plaisir que nous redécouvrons des villes comme Constantine, Bejaia, Tizi Ouzou, Tlemcen et Alger. Je tiens à remercier ce public qui a pris la peine de venir vers nous. Même revu et corrigé, notre spectacle existe toujours après 20 ans. Quand nous avons vu ce public énorme, nous étions très émus. La tournée a été très positive et pleine d'enseignements. Nous nous sommes dit c'est extraordinaire, il ne manque que de faire des spectacles, il y a un public, maintenant il nous faut créer, il y a tout ce qu'il faut. Mais en dépit de ces conditions avantageuses, malheureusement, les salles ne fonctionnent pas, le système des salles reste un peu sclérosé. La gestion des salles reste malheureusement fermée. Il n'y a pas eu encore de déclic de ce côté-ci.
Que reprochez-vous au système des salles ?
La très mauvaise gestion. Les salles sont merveilleuses, elles sont dotées d'une acoustique impeccable, ce sont de véritables bijoux, mais certaines d'entre elles sont devenues pratiquement des mouroirs. Parmi celles qui sont bien tenues je peux citer la salle de Constantine où j'aime toujours revenir vu l'accueil artistique qui y prévaut. Il y a une prise en charge sur les plans artistique et technique, le son est parfait, la lumière excellente, on se sent chez nous quelque part. On n'éprouve pas d'appréhension sur les conditions du déroulement du spectacle, on est toujours rassuré par rapport à ça. Il faut rendre hommage à ces quelques salles qui essayent d'être professionnelles avec toutes les difficultés qui peuvent y avoir. Il faut naturellement en parler parce que c'est nous qui sommes sur scène, c'est nous qui allons dans ces salles, nous sommes obligés d'en parler. Certaines salles, certains théâtres prestigieux sont des mouroirs. Il n'y a aucune gestion, le personnel est y absent durant le spectacle. Les normes de sécurité sont inexistantes. On oublie souvent la sécurité, or une salle est un établissement destiné à recevoir le public, il doit y avoir un minimum de sécurité. Il doit y avoir des postes d'incendie, mais c'est le défouloir, un danger public, moi-même j'ai dû personnellement me mêler de ces questions-là en demandant après les pompiers. Mais ce copr de sécurité devrait être alerté à l'avance, ce qui se passe est très grave. Quand on parle de spectacle, il faut penser à tout. Il y a l'artistique, le technique, la sécurité, etc.
Et les salles algéroises, comment les trouvez-vous ?
Les salles algéroises dans lesquelles nous nous sommes produits se comptent sur les doigts d'une seule main. Nous avons eu une belle histoire avec Ibn Zeydoun. C'est la seule salle qui nous a ouvert les portes en nous disant soyez les bienvenus, on vous fait confiance, le public d'ailleurs nous a dit du bien de vous et il en redemande. Ils savent travailler, ils savent ramener le public et gérer, là nous sommes techniquement à l'aise et même scéniquement. Il y règne une atmosphère de spectacle, les gens sont émerveillés. Ibn Zeydoun est une salle qui permet la communication avec le public, une certaine intimité, c'est toujours avec plaisir que j'y vais. Aussi j'adore la salle El Mougar que je trouve superbe et intimiste, mais on n'a jamais eu de proposition de la part de l'ONCI. On ne va pas tout de même les supplier pour qu'on soit admis. Hormis quelques rares salles, je ne vois pas d'autres à Alger qui peuvent fonctionner conformément aux règles.
Je croyais que c'est vous qui choisissez la salle
Non. Nous, on s'adresse à une institution culturelle, mais si on nous dit non, on ne peut pas leur forcer la main. Il se trouve que nous avons énormément travaillé avec l'OREF, (Office Riadh El Feth, NDLR), on atterrit toujours à Ibn Zeydoun, mais depuis des années on ne s'est pas produit au Palais de la culture, ni au Mougar, ni à l'Atlas. Ce sont des salles qui nous sont malheureusement fermées, on dérange quelque part.
Mais tout de même quand vous donnez un spectacle, vous faites rentrer de l'argent …
Ça ne les intéresse pas. Ils sont bien payés, ce sont des gens qui ont leur petit salaire, on ne leur demande pas des comptes sur la rentabilité. Ils se disent à quoi bon de se casser la tête. C'est bizarre de voir les gens comme ça, ils sont responsables depuis 10, 15 ans, installés-là et rien ne marche, on doit se poser la question, pourquoi ce type est-là ? Il doit faire le contraire de ce qu'il doit faire, il est payé par l'Etat et c'est notre argent, celui du contribuable, je veux juste comprendre. Et dire que dans des salles pareilles on peut faire des miracles, à partir de rien. La preuve notre spectacle a coûté en tout et pour tout entre 5.000 DA et 7.000 DA, comment une salle peut mourir comme ça ?
Vous avez débuté sur les chapeaux de roue en 90, après vous avez disparu de la circulation…
Oui on a démarré en donnant la générale en 91. Cela dit en passant, je tiens à rendre hommage à l'acteur Hamid Chabouni qui était avec nous. Les acteurs sont partis sauf Hicham et moi. Il y avait Kamel Debbi, à l'époque on avait commencé avec un piano et avec des redingotes.
Il fallait créer un style nouveau car on n'avait pas notre place, nous étions jetés à la marge. On ne recrutait pas dans les théâtres. On a été refusé partout. A l'INADC, on avait eu une petite formation. On s'est dit tient on va faire un autre style, nous sommes sur le marché de l'art, faisons ce que nous savons faire. On a travaillé et ça a marché, on a fait Paris, Bruxelles, Tunis, toutes les villes algériennes et même les petits villages. A l'époque on prenait nos cabas puis on montait dans un taxi pour aller sillonner l'Algérie. Bientôt ça commençait à chauffer avec le terrorisme, malgré tout ça, on a poursuivi notre travail, les gens nous disaient alors mais vous êtes malades. A un certain moment, ça devenait de la folie car nos propres amis étaient assassinés, et là on a compris que c'était sérieux, que ce ne sont pas des fantasmes, on a été alors obligé de se terrer et tout s'est arrêté. Et on a disparu.
Les rues étaient envahies par d'autres. Il fallait se terrer, on avait même honte de dire qu'on est parti, car c'était un exil forcé, douloureux. Ils nous ont exilé quelque part alors qu'on ne voulait pas s'intégrer à la société européenne et occidentale. Etant né et grandi ici, on s'imaginait que partir là-bas revient à se dissoudre dans la société d'accueil.
Mais après de longues années on est revenu plus fort, plus mûr, plus incisif, plus agressif. On n'a subi aucune censure, on fait ce qu'on veut faire sur scène. On a cassé des tabous que personne n'ose évoquer. Le public est bien sûr ravi qu'on le fasse.
On ne va pas tout de même se caresser mutuellement dans le sens du poil toute notre vie. On ne va pas dire que tout le monde est beau, tout le monde est gentil. L'artiste doit être militant. Il y a eu des réformes en Algérie depuis 10 ou 15 ans, des réformes économiques, sociales, etc., on a construit et investi énormément sauf dans le secteur de la Culture, là aucun investissement n'a été fait.
On nous parle de réalisations, franchement je ne vois pas, est-ce qu'on a construit un seul théâtre ? Il faut remercier la providence de nous avoir gardé les anciens théâtres qu'on continue d'utiliser heureusement ou malheureusement, c'est selon. Quand on revenu en 2003, nous avions redécouvert un public merveilleux. On aurait cru qu'on était en 1991. On a assisté au même engouement. Il faut arrêter de dire que le public n'aime pas le théâtre. Je reviens vers les directeurs de salle, c'est eux qui ne font pas leur boulot. Ils n'arrivent pas à captiver l'attention du public, comment cela se fait-il ?
Comment êtes-vous venu au cinéma ?
C'était un pur hasard. Quand on s'est produit au Centre culturel algérien à Paris pour jouer «Les Folies berbères», quelqu'un qui est passé pour voir le spectacle m'a appelé 10 jours après et je me suis vu proposer un rôle dans le film « Chouchou » de Merzak Allouache. J'avais hésité au début car le cinéma ce n'est pas dans mes tripes, je n'ai pas fait de cinéma.
Finalement je me suis laissé convaincre parce que je trouvais intéressant de jouer le rôle de Djamila une personne travestie haute en couleur, complètement différente de moi. Ce qui est intéressant c'est le travail d'acteur qui restait à faire. Construire un personnage est le meilleur cadeau qu'on puisse offrir à un comédien. Après « Chouchou » j'ai enchaîné avec quelques films mais faire du cinéma n'a jamais été vraiment mon ambition, faire des films pour paraître à la télé, ce n'est pas mon but, si je ne trouve pas du plaisir dans ce que je fais, ça ne m'emballe pas.
Le rôle que vous avez campé dans ce film est-il le plus important ?
C'est un des personnages qui mène un peu l'action, qui est aussi présent dans le film...
Mais pourquoi Merzak Allouache vous a choisi pour ce rôle ?
J'en sais rien, franchement j'en sais rien, peut-être qu'il a senti que je pouvais mieux que tout autre jouer ce rôle. C'est vrai que j'ai toujours eu ce côté un petit peu macho…enfin le réalisateur a une vision, il a une connaissance profonde des êtres et des choses…
Vous avez joué dans combien de films ?
J'ai fait très peu de cinéma. Au fait j'ai fait mon premier film de cinéma presque à contrecœur. J'y étais poussé parce que je n'avais aucun sou en poche. J'ai donc commencé avec Djamel Fezzaz dans « La mélodie de l'espoir » avec Djalti, qui est la première comédie jamais tournée en Algérie. Je venais à l'époque de finir ma formation à l'INADC.
J'y avais reçu plutôt une formation pour faire de la mise en scène. Mon projet est de faire de la critique et non pas de paraître à la télé. Il y a eu cette année-là 3 majors de promo dont moi-même.
On avait des bourses pour aller se former à l'étranger. On avait le choix entre l'Italie, la France, la Belgique et la Russie, nous étions fiers. Pour nous c'était extraordinaire d'aller ailleurs pour se perfectionner et pouvoir revenir. Mais naturellement, les bourses ont été détournées.
Que vous a appris le cinéma ?
La technique, quand au début je voyais 15, 20 personnes sur le plateau, je me sentais perdu, c'est une manière de se dénuder, le tournage, c'est se mettre à nu. Je trouvais cela affreux.
Quand fusent les cris « Stop, coupez ! » je tressaillais, je croyais que j'ai fait une bêtise. Finalement on a crié parce que le son n'est pas bon, j'étais soulagé.
Petit à petit j'ai appris la technique, il y a une manière de tourner la tête, une façon de marcher etc., il y a aussi beaucoup de chose qu'on apprend sur le tas.
Et vos études de licence d'études théâtrales à la Sorbonne vous ont-elles servies ?
Enormément. Ça ma permis de relever le défi, de prendre ma revanche sur l'injustice. On avait donné ma bourse à des nuls qui sont partis et qui ne sont jamais revenus et qui ont échoué en plus. En fait j'étais frustré pendant plus de15 ans, j'avais cette douleur tapie en moi. J'ai pu revisiter les grands auteurs, faire des formations pratiques au sein du Théâtre du soleil, ce n'est pas rien que d'évoluer avec Jacques Lecoq, un des plus grands profs d'expression corporelle qui fait de très grands trucs de Michael Jackson. On se rassure sur soi et sur le niveau auquel on est parvenu. On évalue nos connaissances, On sait si on est apte à analyser une pièce de Tchékhov ou de Shakespeare, on prend de l'assurance.
Auriez-vous des projets ?
Oui ma tête est pleine d'images pleine de choses. Quand on fait un spectacle et qui marche très bien et qui plait, il faut faire très attention par la suite, il faut toujours faire plus, mieux. Je suis très prudent en fait. On peut déraper en se disant voilà je fais des trucs qui marchent, on les refait, et c'est tout. Eh bien c'est non. Il faut faire plus fort. Donc on réfléchit, on prend notre temps, on se donne 6 mois, un an, on laisse le travail d'écriture se faire…j'ai des soucis concernant l'esthétique, on a tendance généralement à oublier que le théâtre est avant tout esthétique. On peut décevoir à la télé quand on joue des feuilletons, puisque le public est à la maison, mais on n'a pas le droit de décevoir des gens que vous faites venir jusqu'à vous et auxquels vous avez fait payer leur place, il faut faire très attention, ce public, il faut le respecter. L. G.


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