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«L'ingérence occidentale au Sahel pour conforter des régimes nourrit le terrorisme» Barah Mikail, chercheur à l'IRIS spécialisé sur le terrorisme et la géopolitique, au Midi Libre
Dans cet entretien, Barah Mikail, chercheur à l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), spécialisé sur le terrorisme et les relations internationales, explique les enjeux de la lutte anti terroriste dans la région du Sahel ainsi que les défis qu'incombe une telle cause pour les pays concernés. Toutefois, pour le chercheur, l'ingérence étrangère s'avère parfois être un allié ambigu mais précieux pour certains pays du Sahel qui acceptent néanmoins l'ingérence pour conforter leur pouvoir. L'affaire de l'otage français en a été une parfaite illustration. Tout en revenant sur la genèse de ce phénomène, celui qui compte une vaste bibliographie sur le terrorisme, le Moyen-Orient et la politique étrangère américaine à son actif, ne manquera pas de relever le caractère «absurde» et «contreproductif» d'inscrire l'Algérie dans la liste des pays à fort risque terroriste. Dans cet entretien, Barah Mikail, chercheur à l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), spécialisé sur le terrorisme et les relations internationales, explique les enjeux de la lutte anti terroriste dans la région du Sahel ainsi que les défis qu'incombe une telle cause pour les pays concernés. Toutefois, pour le chercheur, l'ingérence étrangère s'avère parfois être un allié ambigu mais précieux pour certains pays du Sahel qui acceptent néanmoins l'ingérence pour conforter leur pouvoir. L'affaire de l'otage français en a été une parfaite illustration. Tout en revenant sur la genèse de ce phénomène, celui qui compte une vaste bibliographie sur le terrorisme, le Moyen-Orient et la politique étrangère américaine à son actif, ne manquera pas de relever le caractère «absurde» et «contreproductif» d'inscrire l'Algérie dans la liste des pays à fort risque terroriste. Midi LIbre : Un sommet des Etats-majors des pays du Sahel s'est tenu hier à Alger et vient en complémentarité avec la conférence sur le terrorisme dans la région du Sahel impliquant tous les pays de cette région qui est en proie à une forte activité terroriste. Que vous inspirent les résultats du sommet tenu en mars dernier à Alger ? Barah Mikail : Cela dépend du fait de se placer du côté des gouvernements ou du côté des réalités afférentes aux opinions publiques et de leurs aspirations. Du côté des gouvernements, l'essentiel de la réponse au risque terroriste doit se faire majoritairement d'un point de vue sécuritaire. On a bien vu dans les déclarations des pays participants la volonté d'insister sur le fait de ne pas céder au chantage des groupes terroristes en leur octroyant les rançons en échange de la libération d'otages. De même que ces pays ont coordonné leurs efforts en matière de moyens et de renseignements de manière à ce que les cellules terroristes soient stoppées dans leur évolution. Il reste qu'en parallèle, si le terrorisme prospère dans cette région, c'est dû au vide politique et de la pauvreté. Deux raisons qui font que ces organisations terroristes essayent d'investir le champ politique en ramenant à leur vision des choses une majorité de personnes. A partir de là, la donne telle qu'elle se profile dans le Sahel est quasiment semblable à une échelle plus élargie, en l'occurrence au Moyen-Orient ou dans une partie de l'Asie. C'est-à-dire que le sécuritaire est nécessaire mais, en même temps, il ne fait pas l'économie d'une réponse politique et développement afin d'apaiser les frustrations sociales. Le but de ce sommet était de faire front commun contre le terrorisme qui s'est replié dans cette région. S'agit-il aussi de faire front commun contre les ingérences, notamment américaines et françaises qui soufflent sur les braises ? Je fais référence à la rançon payée dans l'affaire de l'otage français et son échange avec quatre terroristes emprisonnés par le Mali, ce qui a provoqué le courroux de l'Algérie… L'affaire de l'otage français et la contrepartie qui en a découlé, à savoir la libération de quatre terroristes, est quelque chose qui a alimenté les positions des uns et des autres. Il ne faut pas oublier que la coopération sécuritaire répond à un engagement de longue date par les pays concernés. Parallèlement à ce sommet, il y a eu l'adhésion de ces mêmes pays du Sahel à un programme américain développé en 2004. Donc la volonté de répondre au risque terroriste n'est pas nouvelle, elle trouve son fondement dans la polémique qui a prévalu au moment de la libération de ce fameux otage mais, en même temps, ce que la majorité des gouvernements cherchent à montrer, c'est qu'effectivement tous ont les moyens de contrer activement le risque Al Qaida et, à partir de là, ils sont capables de prendre des décisions en commun. Mais ce n'est pas pour autant dans le but de se mettre contre les ingérences étrangères. Au contraire, je pense qu'il s'agit de montrer que leur fondement sont sains et donc il y a matière pour des Etats étrangers intéressés par la même cause de soutenir ces mêmes pays financièrement comme logistiquement de manière à ce que leur lutte s'avère encore plus porteuse qu'elle ne l'est maintenant. En parlant d'ingérence, la référence à l'affaire de l'otage français s'impose puisqu'il a été prouvé que cet otage là s'est avéré être un agent secret de la DGSE… Bien entendu. Mais sachez que certains pays du Sahel ne rejettent absolument pas la présence d'agents secrets étrangers sur leur territoire, ni sur les modalités de coopération pas forcément révélée d'ailleurs. Quand on a le cas de la France qui envoie sur le terrain des personnes en disant officiellement qu'elles sont journalistes alors qu'en fait ce sont des agents de la DGSE, ce qui peut coïncider avec les intérêts du Mali par exemple. D'une manière générale, il n'y a pas de contradiction. C'est admis que l'ingérence des pays occidentaux au Sahel est acceptée par ces pays parce qu'il y convergence d'intérêt. D'un côté, pour pérenniser le pouvoir et de l'autre pour pérenniser les intérêts économiques occidentaux. Et parfois le terrorisme est nourri afin de garder cet équilibre en place. L'ingérence qui est refusée par d'autres pays, c'est l'ingérence qui verrait les Etats Unis ou la France déployer des moyens lourds et surtout dicter leur vision de lutte contre le terrorisme et là, ça n'est pas arrivé à ce stade, on reste quand même dans le cas d'une configuration classique d'un service de renseignement qui est présent parmi tant d'autres et qui cherche à lutter contre le terrorisme à favoriser le démantèlement de certaines cellules et, par extension, conforter le pouvoir en place dans ses propres fondements. L'Algérie a donc réussi à affirmer son rôle de puissance dans la région ? Effectivement, l'Algérie cherche à affirmer qu'elle a un rôle d'avant-gardiste en matière de lutte contre le terrorisme. Et là où l'Algérie puise sa légitimité, c'est qu'elle a une expérience louable dans la lutte antiterroriste. Mais là on rejoint les rapports de force régionaux. Puisqu'on se doute qu'un Etat comme la Lybie, par exemple, qui fait partie de cette région, ne se laisserait pas faire et essaierait tout pour faire la différence. Parlons de l'inscription de l'Algérie sur la liste des pays à fort risque terroriste. Cette décision répond de façon pragmatique à la vision dont se font beaucoup de pays occidentaux par rapport aux cellules terroristes et de leurs origines. Mais pour autant, cela ne veut pas dire que c'est une bonne décision, loin s'en faut, puisqu'on a vu que cette nouvelle donne a braqué les autorités algériennes. Vous convenez que c'est une décision absurde parce qu'elle ne constitue pas un obstacle pour les terroristes et ne diminue pas le risque d'attentats. Il suffit pour un terroriste de venir de Tunisie, du Maroc ou de Londres, pour commettre des actes malveillants… Ce que vous dites là confirme l'idée selon laquelle c'est absurde de pointer l'Algérie ou un autre pays. N'importe quelle personne peut opter pour un transit et de frapper à un endroit ou à un autre. Au contraire, le fait de pointer des pays de cette manière là ne revient qu'à augmenter le risque de voir des terroristes surgir d'autres pays. Par ricochet, on donnerait l'impression d'être moins contrôlés, donc nous devenons nous-mêmes un pays vulnérable. A mon avis, le risque demeure international. Si un pays se voit beaucoup plus surveillé que d'autres, rien n'empêchera un terroriste potentiel d'opter pour une autre destination. Sur une approche du phénomène du terrorisme, certains observateurs estiment que le 11 septembre n'a pas été le déclic mais il faut remonter à la chute du mur de Berlin, qu'en pensez-vous ? La première alimentation du terrorisme dans le sens contemporain remonte aux années 80 du fait que les USA aient financé les Moudjahidine afghans contre l'URSS. Ces mêmes Moudjahidine comptaient dans leurs rangs les Talibans de maintenant et avec eux Oussama Ben Laden. Structurellement, le monstre inventé dans les années 80 a enfanté le terrorisme des années 90, inattendu du point de vue de son soutien. Pour rebondir sur cette thèse selon laquelle le terrorisme a précédé le 11 septembre, j'ajouterai qu'elle est d'autant plus valable du fait qu'au Kenya, en Tanzanie et même aux Etats Unis, on a eu des attentats qui ont précédé le 11 septembre 2001 qui était de facture islamiste terroriste. Cela ne veut pas dire pour autant que ce phénomène Al Qaida ne s'est développé que dans les années 80. Historiquement, la naissance de cette idéologie remonte à loin dans l'Histoire. On retient d'un point de vue de l'idéologie contemporaine 1928 pour parler de l'organisation des Frères Musulmans née en Egypte et qui, à partir de là, a fait des émules. Mais il faut distinguer l'un et l'autre bien sûr, tous les islamistes ne sont pas forcément des terroristes. C'est important d'insister là-dessus. Il y a d'autres spécialistes qui parlent de choc des puissances au lieu de choc des civilisations qui est souvent un concept usité pour expliquer les racines de ce phénomène. Qu'en pensez-vous ? En parlant de choc des puissances en tant que tel, cela suppose qu'on soit dans une configuration où les aspirations politiques mènent les uns et les autres à entrer en confrontation afin d'avoir leur part du pouvoir ou du moins le potentiel d'action. Mais, à vrai dire, on n'invente rien en disant cela parce que depuis la nuit des temps, le monde des relations internationales est bâti sur la base de rapports de force. Aujourd'hui, le fait qu'on pointe des puissances étatiques ou d'autres qualifiées de non étatiques qui entrent en confrontation sur laquelle on appose la notion de guerre asymétrique on n'invente rien non plus. Il suffit simplement de revenir à la guerre d'Algérie pour voir qu'à l'époque il y avait l'armée française d'un côté et les militants non étatiques de l'autre pour avoir la configuration qui correspondait à ce rapport de force. A la différence de la configuration prévalant aujourd'hui entre les armées régulières d'un côté et les organisations terroristes de l'autre. En tous cas, ce concept de choc des puissances ne remporte pas pleinement mon adhésion parce que les relations internationales sont l'expression d'un rapport de force constant. Pensez-vous qu'il y a des visées politiques derrière ce concept de choc des civilisations? On a eu un débat erroné au lendemain du 11 septembre en reprenant le concept de choc des civilisations qui répond à plein de considérations. L'une des failles majeures dans ce concept c'est qu'il élude le fait qu'il y a de plus en plus d'interactions entre les peuples de la planète. Pointer des civilisations met de côté de facto l'ensemble des interpénétrations entre les peuples et, partant, l'ensemble des pôles de mixité que l'on voit émerger par ci et par là et qui rendent compliquée la définition d'affiliation identitaire à partir d'un seul paramètre structurant. Ce concept n'est pas pour autant la négation des cultures, des tendances, mais je crois qu'on est en train de confondre en France l'idée de l'identité nationale française et l'idée du pacte social. Et là il y a une différence majeure par laquelle on ne met pas forcément en avant les nuances. A partir de là, c'est incontestablement un débat dangereux du moment qu'il y a réappropriation d'un concept assez erroné dans ses contours. Donc oui, ce concept de choc des civilisations a été le prétexte à une réaffirmation identitaire mais seulement dans le but de rejeter un pan constitué d'autres populations, comme la catégorie des enfants d'immigrés que l'on renvoie toujours à leur étrangéité. Mais, finalement, ce débat là n'a pas permis de comprendre le monde et surtout rien résolu dans la réalité des choses. Comment voyez-vous l'évolution du phénomène dans les années à venir, est-il envisageable que l'Islam ne soit plus au centre du terrorisme ? Je crois qu'avec l'évolution naturelle, on va aller vers d'autres formes de mise en opposition. Cette dernière ne va pas changer mais sa nature va être amenée à évoluer. L'islamisme, c'est le relais du communisme qui lui-même à été le relais du nazisme dans la conception de l'ennemi global que se fait l'Occident. Cela est dû à des formes de craintes identitaires exprimées par l'Occident chrétien. Mais à l'avenir, s'il venait à s'avérer que les Occidentaux se sentiraient menacés par les Chinois et leur potentiel, il ne serait pas étonnant de voir surgir un nouveau « isme » pour dire que la nouvelle menace sera chinoise succédant ainsi à l'islamisme actuellement. Ce qui permet aux Occidentaux d'aspirer à cette quête de la survie de l'identité dont ils se font l'idée. M. C. Midi LIbre : Un sommet des Etats-majors des pays du Sahel s'est tenu hier à Alger et vient en complémentarité avec la conférence sur le terrorisme dans la région du Sahel impliquant tous les pays de cette région qui est en proie à une forte activité terroriste. Que vous inspirent les résultats du sommet tenu en mars dernier à Alger ? Barah Mikail : Cela dépend du fait de se placer du côté des gouvernements ou du côté des réalités afférentes aux opinions publiques et de leurs aspirations. Du côté des gouvernements, l'essentiel de la réponse au risque terroriste doit se faire majoritairement d'un point de vue sécuritaire. On a bien vu dans les déclarations des pays participants la volonté d'insister sur le fait de ne pas céder au chantage des groupes terroristes en leur octroyant les rançons en échange de la libération d'otages. De même que ces pays ont coordonné leurs efforts en matière de moyens et de renseignements de manière à ce que les cellules terroristes soient stoppées dans leur évolution. Il reste qu'en parallèle, si le terrorisme prospère dans cette région, c'est dû au vide politique et de la pauvreté. Deux raisons qui font que ces organisations terroristes essayent d'investir le champ politique en ramenant à leur vision des choses une majorité de personnes. A partir de là, la donne telle qu'elle se profile dans le Sahel est quasiment semblable à une échelle plus élargie, en l'occurrence au Moyen-Orient ou dans une partie de l'Asie. C'est-à-dire que le sécuritaire est nécessaire mais, en même temps, il ne fait pas l'économie d'une réponse politique et développement afin d'apaiser les frustrations sociales. Le but de ce sommet était de faire front commun contre le terrorisme qui s'est replié dans cette région. S'agit-il aussi de faire front commun contre les ingérences, notamment américaines et françaises qui soufflent sur les braises ? Je fais référence à la rançon payée dans l'affaire de l'otage français et son échange avec quatre terroristes emprisonnés par le Mali, ce qui a provoqué le courroux de l'Algérie… L'affaire de l'otage français et la contrepartie qui en a découlé, à savoir la libération de quatre terroristes, est quelque chose qui a alimenté les positions des uns et des autres. Il ne faut pas oublier que la coopération sécuritaire répond à un engagement de longue date par les pays concernés. Parallèlement à ce sommet, il y a eu l'adhésion de ces mêmes pays du Sahel à un programme américain développé en 2004. Donc la volonté de répondre au risque terroriste n'est pas nouvelle, elle trouve son fondement dans la polémique qui a prévalu au moment de la libération de ce fameux otage mais, en même temps, ce que la majorité des gouvernements cherchent à montrer, c'est qu'effectivement tous ont les moyens de contrer activement le risque Al Qaida et, à partir de là, ils sont capables de prendre des décisions en commun. Mais ce n'est pas pour autant dans le but de se mettre contre les ingérences étrangères. Au contraire, je pense qu'il s'agit de montrer que leur fondement sont sains et donc il y a matière pour des Etats étrangers intéressés par la même cause de soutenir ces mêmes pays financièrement comme logistiquement de manière à ce que leur lutte s'avère encore plus porteuse qu'elle ne l'est maintenant. En parlant d'ingérence, la référence à l'affaire de l'otage français s'impose puisqu'il a été prouvé que cet otage là s'est avéré être un agent secret de la DGSE… Bien entendu. Mais sachez que certains pays du Sahel ne rejettent absolument pas la présence d'agents secrets étrangers sur leur territoire, ni sur les modalités de coopération pas forcément révélée d'ailleurs. Quand on a le cas de la France qui envoie sur le terrain des personnes en disant officiellement qu'elles sont journalistes alors qu'en fait ce sont des agents de la DGSE, ce qui peut coïncider avec les intérêts du Mali par exemple. D'une manière générale, il n'y a pas de contradiction. C'est admis que l'ingérence des pays occidentaux au Sahel est acceptée par ces pays parce qu'il y convergence d'intérêt. D'un côté, pour pérenniser le pouvoir et de l'autre pour pérenniser les intérêts économiques occidentaux. Et parfois le terrorisme est nourri afin de garder cet équilibre en place. L'ingérence qui est refusée par d'autres pays, c'est l'ingérence qui verrait les Etats Unis ou la France déployer des moyens lourds et surtout dicter leur vision de lutte contre le terrorisme et là, ça n'est pas arrivé à ce stade, on reste quand même dans le cas d'une configuration classique d'un service de renseignement qui est présent parmi tant d'autres et qui cherche à lutter contre le terrorisme à favoriser le démantèlement de certaines cellules et, par extension, conforter le pouvoir en place dans ses propres fondements. L'Algérie a donc réussi à affirmer son rôle de puissance dans la région ? Effectivement, l'Algérie cherche à affirmer qu'elle a un rôle d'avant-gardiste en matière de lutte contre le terrorisme. Et là où l'Algérie puise sa légitimité, c'est qu'elle a une expérience louable dans la lutte antiterroriste. Mais là on rejoint les rapports de force régionaux. Puisqu'on se doute qu'un Etat comme la Lybie, par exemple, qui fait partie de cette région, ne se laisserait pas faire et essaierait tout pour faire la différence. Parlons de l'inscription de l'Algérie sur la liste des pays à fort risque terroriste. Cette décision répond de façon pragmatique à la vision dont se font beaucoup de pays occidentaux par rapport aux cellules terroristes et de leurs origines. Mais pour autant, cela ne veut pas dire que c'est une bonne décision, loin s'en faut, puisqu'on a vu que cette nouvelle donne a braqué les autorités algériennes. Vous convenez que c'est une décision absurde parce qu'elle ne constitue pas un obstacle pour les terroristes et ne diminue pas le risque d'attentats. Il suffit pour un terroriste de venir de Tunisie, du Maroc ou de Londres, pour commettre des actes malveillants… Ce que vous dites là confirme l'idée selon laquelle c'est absurde de pointer l'Algérie ou un autre pays. N'importe quelle personne peut opter pour un transit et de frapper à un endroit ou à un autre. Au contraire, le fait de pointer des pays de cette manière là ne revient qu'à augmenter le risque de voir des terroristes surgir d'autres pays. Par ricochet, on donnerait l'impression d'être moins contrôlés, donc nous devenons nous-mêmes un pays vulnérable. A mon avis, le risque demeure international. Si un pays se voit beaucoup plus surveillé que d'autres, rien n'empêchera un terroriste potentiel d'opter pour une autre destination. Sur une approche du phénomène du terrorisme, certains observateurs estiment que le 11 septembre n'a pas été le déclic mais il faut remonter à la chute du mur de Berlin, qu'en pensez-vous ? La première alimentation du terrorisme dans le sens contemporain remonte aux années 80 du fait que les USA aient financé les Moudjahidine afghans contre l'URSS. Ces mêmes Moudjahidine comptaient dans leurs rangs les Talibans de maintenant et avec eux Oussama Ben Laden. Structurellement, le monstre inventé dans les années 80 a enfanté le terrorisme des années 90, inattendu du point de vue de son soutien. Pour rebondir sur cette thèse selon laquelle le terrorisme a précédé le 11 septembre, j'ajouterai qu'elle est d'autant plus valable du fait qu'au Kenya, en Tanzanie et même aux Etats Unis, on a eu des attentats qui ont précédé le 11 septembre 2001 qui était de facture islamiste terroriste. Cela ne veut pas dire pour autant que ce phénomène Al Qaida ne s'est développé que dans les années 80. Historiquement, la naissance de cette idéologie remonte à loin dans l'Histoire. On retient d'un point de vue de l'idéologie contemporaine 1928 pour parler de l'organisation des Frères Musulmans née en Egypte et qui, à partir de là, a fait des émules. Mais il faut distinguer l'un et l'autre bien sûr, tous les islamistes ne sont pas forcément des terroristes. C'est important d'insister là-dessus. Il y a d'autres spécialistes qui parlent de choc des puissances au lieu de choc des civilisations qui est souvent un concept usité pour expliquer les racines de ce phénomène. Qu'en pensez-vous ? En parlant de choc des puissances en tant que tel, cela suppose qu'on soit dans une configuration où les aspirations politiques mènent les uns et les autres à entrer en confrontation afin d'avoir leur part du pouvoir ou du moins le potentiel d'action. Mais, à vrai dire, on n'invente rien en disant cela parce que depuis la nuit des temps, le monde des relations internationales est bâti sur la base de rapports de force. Aujourd'hui, le fait qu'on pointe des puissances étatiques ou d'autres qualifiées de non étatiques qui entrent en confrontation sur laquelle on appose la notion de guerre asymétrique on n'invente rien non plus. Il suffit simplement de revenir à la guerre d'Algérie pour voir qu'à l'époque il y avait l'armée française d'un côté et les militants non étatiques de l'autre pour avoir la configuration qui correspondait à ce rapport de force. A la différence de la configuration prévalant aujourd'hui entre les armées régulières d'un côté et les organisations terroristes de l'autre. En tous cas, ce concept de choc des puissances ne remporte pas pleinement mon adhésion parce que les relations internationales sont l'expression d'un rapport de force constant. Pensez-vous qu'il y a des visées politiques derrière ce concept de choc des civilisations? On a eu un débat erroné au lendemain du 11 septembre en reprenant le concept de choc des civilisations qui répond à plein de considérations. L'une des failles majeures dans ce concept c'est qu'il élude le fait qu'il y a de plus en plus d'interactions entre les peuples de la planète. Pointer des civilisations met de côté de facto l'ensemble des interpénétrations entre les peuples et, partant, l'ensemble des pôles de mixité que l'on voit émerger par ci et par là et qui rendent compliquée la définition d'affiliation identitaire à partir d'un seul paramètre structurant. Ce concept n'est pas pour autant la négation des cultures, des tendances, mais je crois qu'on est en train de confondre en France l'idée de l'identité nationale française et l'idée du pacte social. Et là il y a une différence majeure par laquelle on ne met pas forcément en avant les nuances. A partir de là, c'est incontestablement un débat dangereux du moment qu'il y a réappropriation d'un concept assez erroné dans ses contours. Donc oui, ce concept de choc des civilisations a été le prétexte à une réaffirmation identitaire mais seulement dans le but de rejeter un pan constitué d'autres populations, comme la catégorie des enfants d'immigrés que l'on renvoie toujours à leur étrangéité. Mais, finalement, ce débat là n'a pas permis de comprendre le monde et surtout rien résolu dans la réalité des choses. Comment voyez-vous l'évolution du phénomène dans les années à venir, est-il envisageable que l'Islam ne soit plus au centre du terrorisme ? Je crois qu'avec l'évolution naturelle, on va aller vers d'autres formes de mise en opposition. Cette dernière ne va pas changer mais sa nature va être amenée à évoluer. L'islamisme, c'est le relais du communisme qui lui-même à été le relais du nazisme dans la conception de l'ennemi global que se fait l'Occident. Cela est dû à des formes de craintes identitaires exprimées par l'Occident chrétien. Mais à l'avenir, s'il venait à s'avérer que les Occidentaux se sentiraient menacés par les Chinois et leur potentiel, il ne serait pas étonnant de voir surgir un nouveau « isme » pour dire que la nouvelle menace sera chinoise succédant ainsi à l'islamisme actuellement. Ce qui permet aux Occidentaux d'aspirer à cette quête de la survie de l'identité dont ils se font l'idée. M. C.