Il n'y aura pas de tome II des mémoires du président Mandela. Sa Longue Marche vers la liberté, six millions d'exemplaires vendus dans le monde, récit de sa lutte contre l'apartheid, paru en 1994, restera sans suite. Le Président africain avait rêvé de raconter sa vie d'homme libre et de premier président d'une «nouvelle» Afrique du Sud. Il en avait griffonné un chapitre, au stylo, sur du papier à lettres, en 1998, alors en fin de mandat. Il a renoncé à l'écrire. Trop pris, trop vieux, trop usé sans doute. Mais à 92 ans, il livre tout autre chose, qui aura également son poids de mémoire dans l'histoire de l'Afrique du Sud : Conversations avec moi-même, une plongée dans un Mandela intime, aux fondements de son action publique. Il n'y aura pas de tome II des mémoires du président Mandela. Sa Longue Marche vers la liberté, six millions d'exemplaires vendus dans le monde, récit de sa lutte contre l'apartheid, paru en 1994, restera sans suite. Le Président africain avait rêvé de raconter sa vie d'homme libre et de premier président d'une «nouvelle» Afrique du Sud. Il en avait griffonné un chapitre, au stylo, sur du papier à lettres, en 1998, alors en fin de mandat. Il a renoncé à l'écrire. Trop pris, trop vieux, trop usé sans doute. Mais à 92 ans, il livre tout autre chose, qui aura également son poids de mémoire dans l'histoire de l'Afrique du Sud : Conversations avec moi-même, une plongée dans un Mandela intime, aux fondements de son action publique. Lancé en publication mondiale le 12 octobre, promu par les éditions de la Martinière comme «un événement unique, comparable à la publication des mémoires de Churchill ou de Gaulle»,l'ouvrage paraît sous le nom de l'ancien président dont certains évoquent avec tristesse, en Afrique du Sud, l'état actuel de «semi-sénilité». Plutôt que de mémoires, il s'agit là d'une recherche sur Mandela, fruit de cinq ans de travail d'une équipe menée par Verne Harris, son archiviste personnel. Notes, agendas, cahiers et correspondances ont été passés au crible, complétés par des entretiens, esquissant un personnage moins politique que celui de la Longue Marche… Au fil des pages, on y retrouve l'esprit libre, sorti grandi de vingt-sept années de prison (libéré en 1990) et dont l'une des dernières volontés serait qu'on ne le prenne pas pour un saint : «Je ne l'ai jamais été, même si l'on se réfère à la définition terre à terre selon laquelle un saint est un pécheur qui essaie de s'améliorer.» Mais on découvre aussi le paternel tourmenté de six enfants, le mari amoureux, l'ami. Le «terroriste» noir, condamné aux travaux forcés à perpétuité, en 1964, lors du retentissant «procès de Rivonia», est un père blessé. Nelson Mandela avait déjà décrit dans Longue Marche vers la liberté, comme un «éventrement intérieur» la disparition de Thembi, le fils aîné né de son premier mariage, emporté par un accident de la route à 24 ans, en 1969. On le voit à présent, rongé par son souvenir, écrivant sa peine à sa seconde femme, la belle Winnie : «Un jour, pendant le procès de Rivonia, Thembi s'est assis derrière moi. Je n'arrêtais pas de me retourner et de lui faire de petits signes de tête et de grands sourires. A ce moment-là, tout le monde pensait qu'on nous condamnerait à la peine capitale et c'est ce que je lisais sur son visage. Même s'il répondait toujours à mes signes de tête, je ne l'ai pas vu sourire une seule fois. Jamais je n'aurais imaginé que je ne le reverrais plus.» Le chagrin est d'autant plus vif qu'il n'a pas eu le droit d'assister aux obsèques de son fils, comme à celles de sa vieille mère, disparue quelques mois plus tôt. «Je me suis souvent demandé si le combat qu'on mène pour d'autres justifie qu'on néglige sa propre famille.» Le livre est ponctué par cette interrogation, mille fois méditée par le prisonnier politique condamné pour avoir organisé le passage du Congrès national africain (ANC) à la lutte armée. En 1970, Nelson écrit à la sœur de Winnie : «Jamais je ne regretterai la décision que j'ai prise en 1961 [de quitter sa famille pour passer à la clandestinité, ndlr], mais j'espère qu'un jour elle cessera de tarauder ma conscience.» Des années plus tard, en 1992, lors du mariage de Zindziswa, sa fille cadette, il déclarera à Johannesburg : «Si c'était à refaire, je ne le referais pas.» Il est vrai que Mandela traverse alors l'un de ses rares moments de déprime, deux ans après sa libération. Il est en pleine rupture avec Winnie. «Mesdames et messieurs, comprenez ma douleur» Sa célèbre femme, de dix-huit ans sa cadette, ne lui a jamais pardonné son départ soudain en clandestinité, après trois ans de vie commune, suivi par trois décennies d'enfer pour elle : arrestations en pleine nuit, assignations à résidence, quartiers d'isolement et torture en prison, exil intérieur dans un bourg de province. Avant le retour à Soweto et les exactions commises, sous son égide, d'une milice portant l'illustre nom de Mandela… Mais c'est là une autre histoire, peu glorieuse, sur laquelle Mandela ne «converse» guère. «Mesdames et messieurs, comprenez ma douleur», avait-il lu dans un communiqué laconique, en avril 1992, pour annoncer sa séparation avec la femme qu'il a sans doute la plus aimée, mais avec laquelle il n'a jamais vraiment partagé que des visites en prison et une longue correspondance. Les «conversations» taisent aussi leur divorce, expédié en une phrase : «Non, je ne veux pas rentrer dans les détails, sauf que j'ai dû me séparer d'elle pour des raisons personnelles.» En revanche, il s'explique sur la façon dont il a vécu les infidélités de Winnie, alors qu'il était en prison : «C'est une question dont il ne faut pas s'encombrer l'esprit. Vous devez vous souvenir que j'avais vécu quatre ans en clandestinité avant d'aller en prison. J'avais choisi la clandestinité. En d'autres termes (…), il faut accepter la question humaine, le facteur humain, le fait qu'une personne a besoin de moments de détente. Mieux vaut éviter de se montrer curieux. Il est suffisant que cette femme me soit loyale, qu'elle me soutienne, qu'elle vienne me voir et m'écrive.» Il a pourtant des désaccords avec Winnie. Politiques. On les découvre pour la première fois, dans Conversations… lorsque sa femme prend des galons dans la lutte contre l'apartheid et nourrit des ambitions de leader à part entière. En 1979, Nelson la rappelle à l'ordre au sujet d'une offre que lui fait le régime raciste et qu'elle soutient : sa libération en échange de son renoncement à toute action politique et de son assignation à résidence à Umtata, la capitale du Transkei. Ce territoire est à l'époque l'un des pseudo-Etats indépendants créés par l'apartheid pour maintenir la population noire à l'écart : «Il semble que le gouvernement et toi ayez l'intention de faire libérer certains de mes camarades et moi-même pour nous envoyer à Umtata. Il faut peut-être que je te rappelle que, lorsque tu as voulu me rendre visite en 1977, mes camarades et moi-même avons décidé que, à cause de ton rôle dans la mise en œuvre de la politique des bantoustans (territoires attribués à la population noire), nous ne pouvions accéder à ta requête.» Allusion perfide au père de Winnie qui avait accepté un poste officiel dans le gouvernement du bantoustan du Transkei. Il poursuit: «Si nous apprécions ta sollicitude vis-à-vis des prisonniers politiques, nous devons souligner que ton insistance à lier notre libération avec les bantoustans, en dépit de notre opposition clairement affichée à ce projet, est très perturbante, sinon provocante, et nous te conseillons de ne pas poursuivre dans une voie qui mènera inévitablement à une confrontation entre nous. […] En conséquence, nous te demandons d'abandonner ce plan désastreux et espérons sincèrement ne plus être de nouveau harcelés à ce sujet.» Il est dommage que les historiens n'aient pas mieux replacé ces documents dans leur contexte. On aurait alors pu lire ce que Winnie disait à l'époque de son mari : un homme buté, qui ne supporte pas la contradiction et qui la traite «comme une petite fille». «Mon véritable héros, c'était Nehru» Nelson Mandela, l'homme d'Etat se livre aussi, par bribes. Au moment des difficiles négociations sur la transition démocratique avec Frederik De Klerk, en 1993, il écrit des notes presque poétiques : «1) Début des négociations. 2) Les prisonniers politiques doivent être libérés avant Noël. Avant. Ravir les pensées et les sentiments de l'assistance grâce à l'art de l'éloquence - dans ce cas particulier avec une musique pleine de vie et des danses animées, qui sont comme des gouttes d'eau tombant d'un ciel bleu.» Signe remarquable, il utilise alors dans ses notes un «nous» très inhabituel en Afrique du Sud, englobant Noirs et Blancs, prélude à sa grande œuvre de réconciliation nationale : «Au cours de la période qui s'ouvre devant nous, nous devons tous réfléchir à nous détacher de notre propre passé - nous devons changer d'approche.» Conversations… révèle enfin ce chef d'Etat, éternel rebelle à l'establishment, résolu à se battre jusqu'au bout contre la «fausse image» de lui-même projetée dans le monde. Avec toujours, cette pointe de modestie et cette touche d'humour qui font sa marque. On le compare à Gandhi ? «Mon véritable héros, écrit-il, c'était Nehru.» Sur Castro, rencontré lors d'une visite à Cuba, il note : «J'ai remarqué qu'il saluait un Blanc, puis juste après un Noir. Je ne sais pas si c'était un pur hasard ou si c'était délibéré.» Sur François Mitterrand, vu à Paris : «C'est une fausse idée de croire que les socialistes sont des bandits.» Quant à son successeur Thabo Mbeki, président de 1999 à 2008, souvent accusé d'avoir étouffé tout débat démocratique, il l'égratigne sans le nommer : «C'est une grave erreur pour tout dirigeant d'être exagérément sensible aux critiques, de mener des discussions comme un maître d'école pérorant devant des écoliers moins informés et expérimentés.» Enfin, il y a cette lettre adressée en 1971 à l'amie Fatima Meer, auteur de Plus haut que l'espoir, la première biographie du leader de l'ANC, placée en ouverture de l'ouvrage comme un vœu d'humilité : «Il existe un doux euphémisme pour l'autosatisfaction, écrit-il. On nomme cela une autobiographie, et l'auteur y insiste souvent sur les défauts des autres pour souligner combien ses propres réussites sont dignes d'éloges.» Il n'empêche. Cet ultime livre signé de Mandela ne fait qu'ajouter une pierre à l'édifice de sa légende. En laissant son équipe éditoriale s'inspirer des Pensées pour moi-même, d'un certain Marc Aurèle, il remonte les siècles, passe au-delà de Churchill et de Gaulle, se mesurant à cet empereur romain qui fut, comme lui, un «soldat et un homme d'action». Lancé en publication mondiale le 12 octobre, promu par les éditions de la Martinière comme «un événement unique, comparable à la publication des mémoires de Churchill ou de Gaulle»,l'ouvrage paraît sous le nom de l'ancien président dont certains évoquent avec tristesse, en Afrique du Sud, l'état actuel de «semi-sénilité». Plutôt que de mémoires, il s'agit là d'une recherche sur Mandela, fruit de cinq ans de travail d'une équipe menée par Verne Harris, son archiviste personnel. Notes, agendas, cahiers et correspondances ont été passés au crible, complétés par des entretiens, esquissant un personnage moins politique que celui de la Longue Marche… Au fil des pages, on y retrouve l'esprit libre, sorti grandi de vingt-sept années de prison (libéré en 1990) et dont l'une des dernières volontés serait qu'on ne le prenne pas pour un saint : «Je ne l'ai jamais été, même si l'on se réfère à la définition terre à terre selon laquelle un saint est un pécheur qui essaie de s'améliorer.» Mais on découvre aussi le paternel tourmenté de six enfants, le mari amoureux, l'ami. Le «terroriste» noir, condamné aux travaux forcés à perpétuité, en 1964, lors du retentissant «procès de Rivonia», est un père blessé. Nelson Mandela avait déjà décrit dans Longue Marche vers la liberté, comme un «éventrement intérieur» la disparition de Thembi, le fils aîné né de son premier mariage, emporté par un accident de la route à 24 ans, en 1969. On le voit à présent, rongé par son souvenir, écrivant sa peine à sa seconde femme, la belle Winnie : «Un jour, pendant le procès de Rivonia, Thembi s'est assis derrière moi. Je n'arrêtais pas de me retourner et de lui faire de petits signes de tête et de grands sourires. A ce moment-là, tout le monde pensait qu'on nous condamnerait à la peine capitale et c'est ce que je lisais sur son visage. Même s'il répondait toujours à mes signes de tête, je ne l'ai pas vu sourire une seule fois. Jamais je n'aurais imaginé que je ne le reverrais plus.» Le chagrin est d'autant plus vif qu'il n'a pas eu le droit d'assister aux obsèques de son fils, comme à celles de sa vieille mère, disparue quelques mois plus tôt. «Je me suis souvent demandé si le combat qu'on mène pour d'autres justifie qu'on néglige sa propre famille.» Le livre est ponctué par cette interrogation, mille fois méditée par le prisonnier politique condamné pour avoir organisé le passage du Congrès national africain (ANC) à la lutte armée. En 1970, Nelson écrit à la sœur de Winnie : «Jamais je ne regretterai la décision que j'ai prise en 1961 [de quitter sa famille pour passer à la clandestinité, ndlr], mais j'espère qu'un jour elle cessera de tarauder ma conscience.» Des années plus tard, en 1992, lors du mariage de Zindziswa, sa fille cadette, il déclarera à Johannesburg : «Si c'était à refaire, je ne le referais pas.» Il est vrai que Mandela traverse alors l'un de ses rares moments de déprime, deux ans après sa libération. Il est en pleine rupture avec Winnie. «Mesdames et messieurs, comprenez ma douleur» Sa célèbre femme, de dix-huit ans sa cadette, ne lui a jamais pardonné son départ soudain en clandestinité, après trois ans de vie commune, suivi par trois décennies d'enfer pour elle : arrestations en pleine nuit, assignations à résidence, quartiers d'isolement et torture en prison, exil intérieur dans un bourg de province. Avant le retour à Soweto et les exactions commises, sous son égide, d'une milice portant l'illustre nom de Mandela… Mais c'est là une autre histoire, peu glorieuse, sur laquelle Mandela ne «converse» guère. «Mesdames et messieurs, comprenez ma douleur», avait-il lu dans un communiqué laconique, en avril 1992, pour annoncer sa séparation avec la femme qu'il a sans doute la plus aimée, mais avec laquelle il n'a jamais vraiment partagé que des visites en prison et une longue correspondance. Les «conversations» taisent aussi leur divorce, expédié en une phrase : «Non, je ne veux pas rentrer dans les détails, sauf que j'ai dû me séparer d'elle pour des raisons personnelles.» En revanche, il s'explique sur la façon dont il a vécu les infidélités de Winnie, alors qu'il était en prison : «C'est une question dont il ne faut pas s'encombrer l'esprit. Vous devez vous souvenir que j'avais vécu quatre ans en clandestinité avant d'aller en prison. J'avais choisi la clandestinité. En d'autres termes (…), il faut accepter la question humaine, le facteur humain, le fait qu'une personne a besoin de moments de détente. Mieux vaut éviter de se montrer curieux. Il est suffisant que cette femme me soit loyale, qu'elle me soutienne, qu'elle vienne me voir et m'écrive.» Il a pourtant des désaccords avec Winnie. Politiques. On les découvre pour la première fois, dans Conversations… lorsque sa femme prend des galons dans la lutte contre l'apartheid et nourrit des ambitions de leader à part entière. En 1979, Nelson la rappelle à l'ordre au sujet d'une offre que lui fait le régime raciste et qu'elle soutient : sa libération en échange de son renoncement à toute action politique et de son assignation à résidence à Umtata, la capitale du Transkei. Ce territoire est à l'époque l'un des pseudo-Etats indépendants créés par l'apartheid pour maintenir la population noire à l'écart : «Il semble que le gouvernement et toi ayez l'intention de faire libérer certains de mes camarades et moi-même pour nous envoyer à Umtata. Il faut peut-être que je te rappelle que, lorsque tu as voulu me rendre visite en 1977, mes camarades et moi-même avons décidé que, à cause de ton rôle dans la mise en œuvre de la politique des bantoustans (territoires attribués à la population noire), nous ne pouvions accéder à ta requête.» Allusion perfide au père de Winnie qui avait accepté un poste officiel dans le gouvernement du bantoustan du Transkei. Il poursuit: «Si nous apprécions ta sollicitude vis-à-vis des prisonniers politiques, nous devons souligner que ton insistance à lier notre libération avec les bantoustans, en dépit de notre opposition clairement affichée à ce projet, est très perturbante, sinon provocante, et nous te conseillons de ne pas poursuivre dans une voie qui mènera inévitablement à une confrontation entre nous. […] En conséquence, nous te demandons d'abandonner ce plan désastreux et espérons sincèrement ne plus être de nouveau harcelés à ce sujet.» Il est dommage que les historiens n'aient pas mieux replacé ces documents dans leur contexte. On aurait alors pu lire ce que Winnie disait à l'époque de son mari : un homme buté, qui ne supporte pas la contradiction et qui la traite «comme une petite fille». «Mon véritable héros, c'était Nehru» Nelson Mandela, l'homme d'Etat se livre aussi, par bribes. Au moment des difficiles négociations sur la transition démocratique avec Frederik De Klerk, en 1993, il écrit des notes presque poétiques : «1) Début des négociations. 2) Les prisonniers politiques doivent être libérés avant Noël. Avant. Ravir les pensées et les sentiments de l'assistance grâce à l'art de l'éloquence - dans ce cas particulier avec une musique pleine de vie et des danses animées, qui sont comme des gouttes d'eau tombant d'un ciel bleu.» Signe remarquable, il utilise alors dans ses notes un «nous» très inhabituel en Afrique du Sud, englobant Noirs et Blancs, prélude à sa grande œuvre de réconciliation nationale : «Au cours de la période qui s'ouvre devant nous, nous devons tous réfléchir à nous détacher de notre propre passé - nous devons changer d'approche.» Conversations… révèle enfin ce chef d'Etat, éternel rebelle à l'establishment, résolu à se battre jusqu'au bout contre la «fausse image» de lui-même projetée dans le monde. Avec toujours, cette pointe de modestie et cette touche d'humour qui font sa marque. On le compare à Gandhi ? «Mon véritable héros, écrit-il, c'était Nehru.» Sur Castro, rencontré lors d'une visite à Cuba, il note : «J'ai remarqué qu'il saluait un Blanc, puis juste après un Noir. Je ne sais pas si c'était un pur hasard ou si c'était délibéré.» Sur François Mitterrand, vu à Paris : «C'est une fausse idée de croire que les socialistes sont des bandits.» Quant à son successeur Thabo Mbeki, président de 1999 à 2008, souvent accusé d'avoir étouffé tout débat démocratique, il l'égratigne sans le nommer : «C'est une grave erreur pour tout dirigeant d'être exagérément sensible aux critiques, de mener des discussions comme un maître d'école pérorant devant des écoliers moins informés et expérimentés.» Enfin, il y a cette lettre adressée en 1971 à l'amie Fatima Meer, auteur de Plus haut que l'espoir, la première biographie du leader de l'ANC, placée en ouverture de l'ouvrage comme un vœu d'humilité : «Il existe un doux euphémisme pour l'autosatisfaction, écrit-il. On nomme cela une autobiographie, et l'auteur y insiste souvent sur les défauts des autres pour souligner combien ses propres réussites sont dignes d'éloges.» Il n'empêche. Cet ultime livre signé de Mandela ne fait qu'ajouter une pierre à l'édifice de sa légende. En laissant son équipe éditoriale s'inspirer des Pensées pour moi-même, d'un certain Marc Aurèle, il remonte les siècles, passe au-delà de Churchill et de Gaulle, se mesurant à cet empereur romain qui fut, comme lui, un «soldat et un homme d'action».