"Au cœur d'al-Rusafa, il m'est apparu un palmier/Exilé des siens sur la terre d'Occident, loin du pays des palmiers/Je lui dis : tu me ressembles dans l'exil et l'éloignement/Et dans l'immensité qui me sépare de mes enfants et de mes gens/Tu as poussé sur une terre où tu es un étranger/Et je suis comme toi au bout du monde, et tu es comme moi dans l'exil/Tu t'abreuves de la rosée du nuage de l'aube qui s'écoule/Tandis que l'averse fouette tes plus hautes branches." Un poème arabe du VIIIème siècle, dit par une voix de femme, accueille le visiteur. On entendra, plus loin, sonner la poésie persane et turque. "Exilé sur la terre d'Occident", le nouveau pavillon des arts de l'Islam, au Louvre, recrée et rassemble douze siècles d'une civilisation à l'inouïe richesse, étendue des rivages de l'Atlantique jusqu'aux confins de l'Inde. Le projet de mettre à l'honneur ces collections dans un nouvel espace - aux 15.000 pièces d'origine s'en sont ajoutées 3.000 autres, déposées par les Arts décoratifs - existe depuis plus de dix ans. Ironie du sort, l'ouverture du pavillon a coïncidé avec l'embrasement du monde musulman après la diffusion du film islamophobe Innocence of Muslims. Certains se satisfont du contre-point : François Hollande, en visitant les lieux mardi, a ainsi déclaré que "l'honneur des civilisations islamiques" était "d'être plus anciennes, plus vivantes, plus tolérantes que certains de ceux qui prétendent abusivement parler en leur nom" : "Quel plus beau message que celui livré ici ? (...) Dans cette profusion d'oeuvres on comprend que les meilleures armes pour lutter contre le fanatisme qui se réclame de l'islam se trouvent dans l'islam lui-même", a-t-il ajouté. "Une fête de l'esprit et des yeux" Sophie Makariou, directrice du département, acquiesce. "Il s'agit de monter l'Islam, avec un grand I", expliquait-elle mardi. Soit l'Islam de la civilisation plutôt que de la seule religion. Un Islam qui rassemble les cultures andalouses, ottomanes, persanes, mameloukes. Qui brasse des langues diverses et des peuples différents, y compris non musulmans. "Le mot Islam, il faut l'assumer, lui redonner sa grandeur, il faut le porter, il ne faut pas le laisser aux djihadistes", ajoutait-elle. Alors que les tensions se sont aiguisées avec la publication de caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo, la conservatrice prévient toutefois que les objets présentés, si merveilleux soient-ils, "ne peuvent être les avocats des horreurs contemporaines". "Il faut les laisser être ce qu'ils sont : de très belles choses, souligne-t-elle. On est invité ici à une fête de l'esprit et des yeux." La métaphore est juste : on visite le pavillon comme l'on voyagerait. On découvre d'abord, dans le "rez-de-cour", la vaste verrière mordorée imaginée par Mario Bellini et Rudy Ricciotti, qui laisse apparaître les façades de la cour Visconti. Une "aile de libellule" pour les architectes - une dune, un tapis volant ou un dos de dragon pour d'autres -, protégée d'une résille de métal qui laisse pénétrer en la filtrant la lumière naturelle et donne sur les œuvres du VIIème au XIème siècle. Un escalier coulé d'une pièce dans un béton noir mène au "parterre" où la visite se poursuit : dans une demi-pénombre luisent les trésors du XIème au XVIIIème siècle. Ici, des poignards et des sabres ciselés, damasquinés, incrustés de pierres précieuses. Plus loin les céramiques d'Iznik et de Kütahya qui joignent le bleu de cobalt, le vert émeraude, le rouge rubis. Ailleurs des moucharabiehs, des tapis d'Inde, de Turquie et d'Iran, puis un porche mamelouk du XVe siècle, reconstruit pièce à pièce et qui, placé entre deux parties de la salle, redevient lieu de passage. L'écriture comme sommet de l'esthétique L'unité de ces œuvres si diverses ? Peut-être, d'abord, l'écriture. Chaque vitrine en témoigne : elle est partout et devient une matière d'invention infinie, sur laquelle on ne cesse de jouer. "Cette place est tout à fait singulière, souligne Sophie Makariou, et existe dès le début des civilisations islamiques : on trouve dès le VIIème siècle une écriture parfaitement normée et régulière, une calligraphie harmonieuse, qui utilise l'art des nombres." Celui-ci est également omniprésent, exprimé aussi bien, explique la conservatrice, "dans des décors géométriques que dans des décors floraux, comme dans le grand mur de céramique ottomane qui clôt la visite". "Partout se manifeste, ajoute-t-elle, le goût pour la précision du dessin, la recherche systématique de la perfection, du raffinement." Les vedettes de la visite ? Le lion de Monzón en bronze, créé en Espagne vers le XIIe siècle, qui servait de bouche de fontaine et semble prêt à bondir. Le baptistère de Saint-Louis, d'origine mamelouke, qui servit pendant des siècles au baptême des enfants royaux de France. Ou l'un des premiers objets de la collection : une aiguière en cristal de roche, qui fut réalisée au Caire au tout début du XIe siècle et offerte au trésor de l'abbaye de Saint-Louis en 1152. Sophie Makariou leur préférerait presque une autre pièce : un petit bol d'apparence modeste, fait d'une terre cuite de couleur pâle et couvert d'un décor végétal en relief. "Il est tout à fait singulier, parce qu'il porte une inscription en arabe qui n'a pu encore être déchiffrée et qu'il ne porte pas ces glaçures qui rendaient les céramiques imperméables." Or, dans le monde arabe, rappelle-t-elle, on préfère alors les objets sans glaçures. Pour leur fraîcheur, mais aussi, comme le disent les poèmes, parce que l'on aime le goût de la terre. "Au cœur d'al-Rusafa, il m'est apparu un palmier/Exilé des siens sur la terre d'Occident, loin du pays des palmiers/Je lui dis : tu me ressembles dans l'exil et l'éloignement/Et dans l'immensité qui me sépare de mes enfants et de mes gens/Tu as poussé sur une terre où tu es un étranger/Et je suis comme toi au bout du monde, et tu es comme moi dans l'exil/Tu t'abreuves de la rosée du nuage de l'aube qui s'écoule/Tandis que l'averse fouette tes plus hautes branches." Un poème arabe du VIIIème siècle, dit par une voix de femme, accueille le visiteur. On entendra, plus loin, sonner la poésie persane et turque. "Exilé sur la terre d'Occident", le nouveau pavillon des arts de l'Islam, au Louvre, recrée et rassemble douze siècles d'une civilisation à l'inouïe richesse, étendue des rivages de l'Atlantique jusqu'aux confins de l'Inde. Le projet de mettre à l'honneur ces collections dans un nouvel espace - aux 15.000 pièces d'origine s'en sont ajoutées 3.000 autres, déposées par les Arts décoratifs - existe depuis plus de dix ans. Ironie du sort, l'ouverture du pavillon a coïncidé avec l'embrasement du monde musulman après la diffusion du film islamophobe Innocence of Muslims. Certains se satisfont du contre-point : François Hollande, en visitant les lieux mardi, a ainsi déclaré que "l'honneur des civilisations islamiques" était "d'être plus anciennes, plus vivantes, plus tolérantes que certains de ceux qui prétendent abusivement parler en leur nom" : "Quel plus beau message que celui livré ici ? (...) Dans cette profusion d'oeuvres on comprend que les meilleures armes pour lutter contre le fanatisme qui se réclame de l'islam se trouvent dans l'islam lui-même", a-t-il ajouté. "Une fête de l'esprit et des yeux" Sophie Makariou, directrice du département, acquiesce. "Il s'agit de monter l'Islam, avec un grand I", expliquait-elle mardi. Soit l'Islam de la civilisation plutôt que de la seule religion. Un Islam qui rassemble les cultures andalouses, ottomanes, persanes, mameloukes. Qui brasse des langues diverses et des peuples différents, y compris non musulmans. "Le mot Islam, il faut l'assumer, lui redonner sa grandeur, il faut le porter, il ne faut pas le laisser aux djihadistes", ajoutait-elle. Alors que les tensions se sont aiguisées avec la publication de caricatures de Mahomet par Charlie Hebdo, la conservatrice prévient toutefois que les objets présentés, si merveilleux soient-ils, "ne peuvent être les avocats des horreurs contemporaines". "Il faut les laisser être ce qu'ils sont : de très belles choses, souligne-t-elle. On est invité ici à une fête de l'esprit et des yeux." La métaphore est juste : on visite le pavillon comme l'on voyagerait. On découvre d'abord, dans le "rez-de-cour", la vaste verrière mordorée imaginée par Mario Bellini et Rudy Ricciotti, qui laisse apparaître les façades de la cour Visconti. Une "aile de libellule" pour les architectes - une dune, un tapis volant ou un dos de dragon pour d'autres -, protégée d'une résille de métal qui laisse pénétrer en la filtrant la lumière naturelle et donne sur les œuvres du VIIème au XIème siècle. Un escalier coulé d'une pièce dans un béton noir mène au "parterre" où la visite se poursuit : dans une demi-pénombre luisent les trésors du XIème au XVIIIème siècle. Ici, des poignards et des sabres ciselés, damasquinés, incrustés de pierres précieuses. Plus loin les céramiques d'Iznik et de Kütahya qui joignent le bleu de cobalt, le vert émeraude, le rouge rubis. Ailleurs des moucharabiehs, des tapis d'Inde, de Turquie et d'Iran, puis un porche mamelouk du XVe siècle, reconstruit pièce à pièce et qui, placé entre deux parties de la salle, redevient lieu de passage. L'écriture comme sommet de l'esthétique L'unité de ces œuvres si diverses ? Peut-être, d'abord, l'écriture. Chaque vitrine en témoigne : elle est partout et devient une matière d'invention infinie, sur laquelle on ne cesse de jouer. "Cette place est tout à fait singulière, souligne Sophie Makariou, et existe dès le début des civilisations islamiques : on trouve dès le VIIème siècle une écriture parfaitement normée et régulière, une calligraphie harmonieuse, qui utilise l'art des nombres." Celui-ci est également omniprésent, exprimé aussi bien, explique la conservatrice, "dans des décors géométriques que dans des décors floraux, comme dans le grand mur de céramique ottomane qui clôt la visite". "Partout se manifeste, ajoute-t-elle, le goût pour la précision du dessin, la recherche systématique de la perfection, du raffinement." Les vedettes de la visite ? Le lion de Monzón en bronze, créé en Espagne vers le XIIe siècle, qui servait de bouche de fontaine et semble prêt à bondir. Le baptistère de Saint-Louis, d'origine mamelouke, qui servit pendant des siècles au baptême des enfants royaux de France. Ou l'un des premiers objets de la collection : une aiguière en cristal de roche, qui fut réalisée au Caire au tout début du XIe siècle et offerte au trésor de l'abbaye de Saint-Louis en 1152. Sophie Makariou leur préférerait presque une autre pièce : un petit bol d'apparence modeste, fait d'une terre cuite de couleur pâle et couvert d'un décor végétal en relief. "Il est tout à fait singulier, parce qu'il porte une inscription en arabe qui n'a pu encore être déchiffrée et qu'il ne porte pas ces glaçures qui rendaient les céramiques imperméables." Or, dans le monde arabe, rappelle-t-elle, on préfère alors les objets sans glaçures. Pour leur fraîcheur, mais aussi, comme le disent les poèmes, parce que l'on aime le goût de la terre.