Le harcèlement sexuel en milieu professionnel, phénomène aussi vieux que la présence des femmes sur le marché du travail, semble s'amplifier en Algérie, encouragé sans aucun doute par la présence remarquable de la femme algérienne dans différents secteurs des activités économiques et administratives du pays, la saturation du marché de l'emploi, l'apparition de statuts précaires de recrutement, mais aussi et surtout par l'absence d'une répression pénale efficiente, dûe à l'incompréhension d'un mal dangereux aux nombreuses manifestations. Apporter un éclairage sur ce sujet nous semble opportun, à l'heure ou un tribunal algérien examine un cas troublant, celui d'un directeur d'une institution publique poursuivi par trois salariées pour harcèlement sexuel ; ce procès particulier nous rappelle la triste et célèbre affaire de la société Mitsubishi, Motors manufacturing (printemps 1996), ou pas moins de vingt-huit femmes ont osé briser la loi du silence et poursuivre plusieurs cadres de ladite société pour les tortures sexuelles qu'elles ont subies en silence depuis plusieurs années. Le harcèlement sexuel : un comportement polymorphe Sont considérés comme harcèlement sexuel, les propos, actes et gestes de nature sexuelle qui se produisent sur les lieux de travail, ou ayant une relation avec le travail. De telles attitudes, qui peuvent être ou non répétées, ne sont pas désirées par la victime et portent gravement atteinte à sa dignité, son intégrité physique et/ou psychologique ainsi qu'à sa sécurité. L'auteur de ces violences sexuelles particulières peut être un supérieur hiérarchique ou tout simplement un collègue. Dans la majorité des cas, se sont les femmes qui subissent le harcèlement sexuel (90%) et peu d'hommes sont harcelés par les femmes, car il est prouvé que la femme ne se livre à de telles pratiques que si elle jouit d'un réel pouvoir. Le harceleur débute souvent ses attaques par un langage obscène, des blagues à double sens, des observations gênantes sur l'aspect physique, des allusions aux préférences sexuelles, des avances, sollicitations ou propositions déplacées faites verbalement, par courrier, téléphone ou mail. La seconde phase se caractérise par les regards osés (elevator eyes), gestes ou mouvements sexuels en présence de l'employée, reproduction du son d'un acte sexuel, envoi de cadeaux singuliers (lingerie fine, revues et portraits érotiques), brimades, chantage et menaces. Le sadique finira par passer à la dernière étape, la plus inquiétante, celle des contacts physiques, attouchements, pincements, proximité physique durant l'exécution du travail, et même visite au domicile de la harcelée s'il est au courant qu'elle habite seule. Certains tortionnaires n'hésitent pas à exhiber leur intimité ou forcer les malheureuses victimes à se déshabiller. Ces agressions sexuelles ont donc des conséquences lourdes sur la santé et la sécurité des femmes au travail. Bourreau et victime : une relation ambiguë aux conséquences dévastatrices En matière de harcèlement sexuel, le but recherché n'est pas seulement l'obtention de faveurs sexuelles, mais la chosification de la victime, son abdication, en lui reniant le droit d'exprimer son refus, en un mot sa destruction. 1- Le harceleur a subi une souffrance dont il réclame la réparation et exige inconsciemment de sa proie de jouer ce rôle, c'est un malade qui a vécu des abus sexuels dans son enfance, voire même des relations incestueuses et pourrait très bien avoir connu des problèmes d'emprise parentale. Cet état de fait l'empêche de nouer des relations sentimentales légitimes. Bien que ce prédateur manifeste une apparence de sociabilité remarquable, il demeure un manipulateur hors pair jouissant d'une hyper méfiance et s'entourant de mille et une précautions avant de commencer ses agressions, comme épier tous les mouvements du personnel à l'aide de caméras. Il agit rarement seul et jouit de la complicité de plusieurs comparses qui participeront à un moment précis aux souffrances infligées aux malheureuses victimes choisies parmi les plus vulnérables sur les plans social, économique, culturel et hiérarchique, à l'instar des salariées contractuelles, personnel féminin chargé du secrétariat ou de l'entretien. C'est une grossière erreur de croire donc que dans les milieux professionnels la subordination est uniquement hiérarchique. La relation entre le bourreau et sa victime ne repose pas sur un pied d'égalité, l'employée est soumise à l'autorité d'un monstre qui la transformée en complice d'un jeu pervers, ce qui explique son mutisme. Cette situation complexe la conduira vers une destruction psychique certaine, car perdant tous ses repères, elle sera amenée à minimiser ses souffrances, voire accorder le pardon à son tortionnaire et retourner la faute contre elle. Les répercussions psychiques d'une telle relation imposée sont insupportables et conduisent inéluctablement à l'anxiété, l'altération de l'image de soi, les sensations de culpabilité, la honte, la somatisation, les troubles de la libido ainsi que les dépressions. Cette pathologie médicale qui peut mener au suicide a-t-elle reçu en Algérie une réponse juridique adéquate ? L'article 341 bis du code pénal algérien : une reconnaissance juridique inadéquate L'article 341 bis du code pénal (loi n°06/23 du 20 décembre 2006), qui introduit pour la première fois la notion de harcèlement sexuel dans la législation pénale algérienne, semble ne pas avoir pris en considération la complexité du fléau en question. Il s'agit en fait d'une copie du fameux article 222-33 du code pénal français, version 1998, née elle même d'une modification de la loi française de 1992. Importer une codification étrangère qui n'a cessé d'ailleurs d'évoluer (voir les modifications introduites durant les années 2002 et 2012), et l'appliquer aveuglement à la société algérienne, à un moment ou d'autres outils juridiques plus précis et de portée internationale existent, ne sauraient se faire sans se heurter à la dure réalité du pays. Une lecture rapide de l'article 341 bis permet de faire les constatations suivantes : a) Le harcèlement sexuel en Algérie est circonscrit dans le cadre de l'abus de l'autorité. Le harcèlement sexuel en milieu professionnel ne peut-il être commis que par un responsable hiérarchique ? 2- Les violences psychiques quotidiennes commises par les collègues sont donc considérées comme de simples plaisanteries et échappent ainsi à toute sanction, ceci en dépit de leur dangerosité. Faut-il rappeler que la subordination n'est pas obligatoirement liée aux emplois de responsabilité, d'autres facteurs socioculturels créent aussi un sentiment de rapport d'autorité susceptible d'accentuer la vulnérabilité de la femme. b) Le harcèlement sexuel doit-il obligatoirement viser l'obtention de faveurs sexuelles ? Rattacher la notion de harcèlement sexuel aux faveurs de même nature permet au coupable d'échapper aux poursuites judiciaires, s'il arrive à prouver qu'il ne cherchait qu'à séduire. Doit-on préciser que la séduction souvent utilisée par le harceleur pour asseoir son emprise sur la personne harcelée porte une véritable atteinte à la dignité. Peut-on tolérer qu'un supérieur hiérarchique demande à sa secrétaire d'opter pour une coiffure particulière ou porter une tenue précise, parce qu'il s'apprête à recevoir la visite d'une personnalité ? La secrétaire est-elle obligée de servir le café à son directeur et ses invités ? C'est par le biais de ces contraintes morales que les harceleurs préparent le passage aux contraintes physiques. c) Le législateur algérien ne fait pas de distinction entre le chantage et le harcèlement sexuels. Le chantage sexuel est un comportement ponctuel qui vise réellement l'obtention de faveurs sexuelles, notamment lors des entretiens de recrutement ou de promotion. Le harcèlement sexuel se distingue, quant à lui, par des attaques incessantes et devrait par conséquent être puni plus sévèrement que le simple chantage limité dans le temps. (Ne pas comprendre que l'auteur sous-estime les dangers du chantage sexuel). L'imprécision de l'article 341 bis laisse supposer que le législateur algérien considère le harcèlement sexuel comme un simple chantage, ce qui est aberrant d) La sanction du délit de harcèlement sexuel est dérisoire. En dépit de la gravité de ses conséquences, la sanction du harcèlement sexuel est de deux mois à une année d'emprisonnement et d'une amende de 50 000,00 DA à 200 000,00 DA, Une telle sanction est insignifiante, vu les dégâts occasionnés à l'être humain. Soulignons que le vol en Algérie est puni de un à cinq années d'emprisonnement (ART 350 du code pénal). Les biens en Algérie sont donc mieux protégés que les êtres humains. Devant une telle situation, comment peut-on faire face à un fléau dévastateur qui en plus de la destruction des individus a aussi des répercussions négatives sur la production et même la productivité ? Lutter efficacement contre le harcèlement sexuel : c'est possible. Le harcèlement sexuel ne doit pas être considéré comme une fatalité, bien au contraire, il peut être vaincu si certaines conditions sont réunies : Ce que toute salariée doit absolument savoir Le harceleur n'est pas invincible, c'est un lâche individu qui se nourrit essentiellement du silence imposé à ses victimes par les promesses, le chantage, les menaces de licenciement ou de mutation à des emplois jugés dégradants ainsi que par les rumeurs savamment distillées par des complices sur la réputation de sa proie et son prétendu pénible caractère. Se taire ou adopter une politique de survie, comme celle qui consiste à faire croire au sadique, que la relation qu'il recherche sera pour plus tard, est interprété comme une tacite invitation à passer à d'autres étapes plus douloureuses. Il convient donc de briser le mur du silence, de discuter du problème avec sa famille, son conjoint et surtout les collègues, ce qui incitera d'autres harcelées à dénoncer le bourreau. Ainsi la hiérarchie doit être informée de la conduite délictueuse du gestionnaire incriminé au moyen de correspondances précises, transmises avec accusé de réception afin de les utiliser comme preuves une fois les poursuites judiciaires entamées. Les procès pour harcèlement sexuel sont certes lents, coûteux et surtout douloureux, car rappelant aux victimes les souffrances endurées, mais ils sont faciles à gagner, car contrairement à ce que l'on croit, il appartient au délinquant de démontrer que ses agissements contestés sont imposés par le fonctionnement normal des services, ce qui est difficile à réaliser, la plaignante par contre doit uniquement prouver l'existence du comportement nuisible à sa dignité, sa santé ainsi qu'à sa sécurité. À côté des poursuites devant la justice pénale, l'action devant le juge du social est possible et même recommandée. Ce que l'employeur doit prendre comme mesures Les problèmes organisationnels engendrés par le harcèlement sexuel en milieu professionnel sont très importants et se caractérisent généralement par un fort taux d'absentéisme, un roulement exceptionnel du personnel ainsi que sa démotivation. Adopter une politique claire en matière de lutte contre les violences sexuelles devient donc une nécessité pour l'employeur afin de se protéger et sauvegarder la réputation de l'entreprise ou de l'administration en cas de poursuites judiciaires. Ce que la législation doit prévoir Le phénomène du harcèlement sexuel ne peut être combattu par un seul article imprécis et de surcroît importé. Le législateur doit absolument faire la distinction entre le chantage et le harcèlement sexuels, comme il doit punir, non seulement les comportements délictueux des supérieurs hiérarchiques, mais aussi ceux émanant des autres travailleurs. Compte tenu des conséquences lourdes des agressions sexuelles au travail, leur répression doit être dissuasive. 4 - La législation pénale pour être efficiente doit aussi sanctionner l'employeur pour l'inciter à prendre des mesures susceptibles de dissuader les harceleurs. Le droit du travail, quant à lui, doit permettre de poursuivre sur le plan disciplinaire pour faute lourde, les auteurs d'actes de harcèlement sexuel. Pour conclure : Seule la connaissance de l'ampleur réelle du harcèlement sexuel, de ses mécanismes ainsi que de ses conséquences permet de tracer une politique préventive et répressive à même de lutter efficacement contre un phénomène qui devient, hélas, monnaie courante dans nos entreprises et notre administration. K. R. *Doctorant en sciences juridiquesFaculté de droit de Constantine Cadre Algérie Télécom, DOT. ANNABA