Chakib Khelil à Madrid. Moratinos à Alger. Ça discute ferme. Mais c'est à Bruxelles que l'accord sur la suppression des clauses de territorialité a été signé. Sous le couvert de concurrence, l'UE fait bloc pour défendre ses intérêts. Genèse. Chakib Khelil à Madrid. Moratinos à Alger. Ça discute ferme. Mais c'est à Bruxelles que l'accord sur la suppression des clauses de territorialité a été signé. Sous le couvert de concurrence, l'UE fait bloc pour défendre ses intérêts. Genèse. Le petit bras de fer qui oppose depuis le mois d'avril l'Algérie à l'Espagne autour du prix du gaz et du droit de Sonatrach à commercialiser une partie de son gaz en Espagne est une composition à plusieurs mains dans laquelle au moins quatre exécutants ont joué leur partition. Rien ne laissait présager un tel bras de fer, tant les deux pays filaient un parfait amour gazier. Le projet Medgaz, dans lequel étaient associées de nombreuses sociétés européennes, notamment espagnoles, aux côtés de Sonatrach, était venu couronner une longue ère d'entente. Du reste, l'accord d'association Algérie-Union européenne avait été signé en avril 2002 à Valence, en péninsule ibérique, et le processus de Barcelone était promis à un bel avenir. Medgaz, en reliant Almeria, en Espagne, à Beni-Saf, en Algérie, devrait transposter quelque 8 milliards de mètres cubes par an vers l'Espagne, et cette capacité pourrait être doublée. Sonatrach, qui détient 36% des actions de ce projet, est l'actionnaire majoritaire, et l'Algérie, parallèlement, a souhaité augmenter le prix d'une partie du gaz livré à l'Espagne ; car le prix pratiqué actuellement ne correspond pas à celui du marché. Prix du gaz livré à l'Espagne Et voilà que la partie espagnole s'est brusquement cabrée, faisant adopter par la CNE (Commission espagnole de l'énergie) une décision conditionnant l'augmentation des droits de vote de Sonatrach dans la société Medgaz chargée de la réalisation du gazoduc Algérie-Espagne à la limitation à un milliard de mètres cubes par an du volume de gaz qu'elle est autorisée à commercialiser directement en Espagne, au lieu des 3 milliards prévus initialement. Khelil est monté au créneau en affirmant qu'il allait faire un recours : mais tous ses recours furent les uns après les autres repoussés : auprès de la CNE, des tribunaux, du gouvernement espagnol, et enfin de la Commission européenne de Bruxelles, quoique souvent d'une manière fort diplomatique. L'Algérie était prête à aller aussi loin que possible pour défendre son bon droit, dans une affaire où manifestement il y a discrimination. Dans le même temps, les responsables à l'énergie de la Commission européenne publiaient des communiqués dans lesquels ils louaient la fiabilité de l'Algérie en tant que fournisseur de gaz aux pays de l'Union européenne, à tel point qu'on avait fini par croire à un double langage de la Commission européenne. En l'occurrence, on pouvait se demander qui jouait en solo : Bruxelles ou Madrid ? L'Espagne elle-même ne parlait pas de la même voix, alors que la CNE délibérait sur le dos de l'Algérie, le roi Juan Carlos en personne, en visite d'Etat à Alger, en mars, multipliait les déclarations de bonnes intentions, en louant l'exemplarité de la coopération algéro-espagnole. Les officiels espagnols, conscients de l'enjeu énergétique et du rôle de fournisseur stratégique de l'Algérie, avaient classé notre pays parmi les neuf prioritaires, aux côtés de la Chine, de l'Inde et du Maroc, en plus des partenaires traditionnels de l'Espagne (UE et Amérique latine). Restait donc le dernier recours ; la commission de Bruxelles elle-même. En déclarant qu'il allait introduire un recours auprès de la Commission européenne, Chakib Khelil mettait Bruxelles devant ses contradictions : recherche de fournisseurs fiables et déréglementations peuvent-ils faire bon ménage, au moment où l'industrie gazière, que ce soit en amont ou en aval, nécessite des investissements lourds et longs à rentabiliser. C'est la raison pour laquelle, jusque-là, les contrats portant sur la fourniture de gaz sont signés pour des périodes de vingt ou trente ans. La déréglementation est donc une manière de pénaliser les pays producteurs, sans lier les pays importateurs consommateurs. Le dernier recours Néanmoins, une chose mérite d'être soulignée : les responsables de Sonatrach, et Chakib Khelil lui-même, sont de redoutables négociateurs. Leur marché, que ce soit au niveau du pétrole ou du gaz, se situe à l'échelle internationale, et ils sont habitués à ce genre de négociations. Lorsque Chakib Khelil déclare «l'Algérie peut se passer de Medgaz !», il sait bien de quoi il parle. Les pays consommateurs sont à la recherche de cette énergie propre et bon marché qu'est le gaz, et ils ne sont pas près de lâcher prise. Et le gazoduc construit en Algérie pourra alimenter les usines de liquéfaction de gaz. Il n'y a là rien de surprenant. On ne peut être juge et partie, et en l'occurrence, les pays européens ont fait bloc pour sauvegarder leurs intérêts collectifs. C'est de bonne guerre, n'est-ce pas ? Quant aux déclarations du président français Nicolas Sarkozy, sur la possibilité d'un partenariat stratégique entre GDF et Sonatrach, elles ont participé de la même guerre psychologique : montrer, dans le cadre d'une mondialisation galopante, et qui ne laisse aucun secteur, que l'heure est aux grands mastodontes. Montrer aussi dans quel sens souffle le vent. Mais pour l'Algérie, Sonatrach n'est pas seulement la poule aux œufs d'or. Première entreprise économique d'Afrique, elle est donc inscrite dans la mondialisation et sait où sont les intérêts du pays. D'où le chassé-croisé diplomatique auquel on a assisté la semaine dernière. Chakib Khelil était invité en Espagne par son homologue ibérique, et quelques heures à peine après son retour à Alger, Miguel Angel Moratinos, le ministre espagnol des Affaires étrangères, arrivait à Alger. «Nous avons beaucoup d'ambitions communes et nous avons investi tous nos efforts pour y réussir et faire des relations algéro-espagnoles un modèle qui doit inspirer d'autres acteurs de la région, dans la recherche de la paix, de la stabilité et de la prospérité pour les deux peuples.» C'est un langage diplomatique qui sera décodé par les initiés, mais pour le commun des mortels, ce sera, curieusement, un communiqué du ministère de l'Energie et des Mines qui apportera un éclaircissement. Le compromis trouvé venait de Bruxelles, et cela mettait à nu le rôle d'arbitre de la Commission européenne. A ce niveau de négociation, la philanthropie n'existe pas. Et tout en défendant le principe de la libre concurrence au sein de l'OMC, l'Union européenne ne répugne ni à subventionner ses propres produits ni à pratiquer un fort protectionnisme. Que dit ce communiqué ? Il explique clairement que l'Algérie et la Commission européenne sont parvenues le 11 juillet dernier à un accord aménageant les dispositions relatives aux « restrictions territoriales» et «au partage de la marge» dans certains contrats de fourniture de gaz de Sonatrach à ses clients européens, dont certaines clauses interdisaient aux acheteurs européens de gaz algérien, majoritairement des grossistes italiens et espagnols, de revendre dans les pays voisins le gaz qu'ils achetaient à Sonatrach. Explication du ministère de l'Energie Cet accord a été signé par M. Chakib Khelil et la commissaire européenne chargée de la Concurrence, Nelie Kroes. Il supprime les clauses territoriales dans les contrats en vigueur, les interdit dans les contrats futurs et les remplace par un mécanisme de partage des marges bénéficiaires obligeant l'importateur à la partager en partie avec Sonatrach s'il revend le gaz à un client établi hors du territoire couvert par l'accord ou à un client utilisant ce gaz à une fin autre que celle qui a été convenue. «Cet accord constitue une percée majeure dans nos relations avec l'un des fournisseurs les plus importants d'Europe pour le gaz naturel et élimine les obstacles à la création d'un marché unique européen dans le gaz» s'est félicité pour sa part Mme Kroes. Quant à l'Algérie, elle estime qu'elle avait fait le choix de la souplesse en acceptant la suppression des clauses territoriales, et ce, en souhaitant en contrepartie que la Commission européenne apporte son plein soutien pour que les conditions de libéralisation du marché de l'énergie en Europe et celui du gaz en particulier soient de nature à permettre à Sonatrach d'en être un acteur dans un environnement non discriminatoire et transparent. Pour l'heure, et malgré les déclarations optimistes de Chakib Khelil, on ne sait pas si l'Algérie, qui fournit 12 % du gaz à l'Europe, a obtenu satisfaction sur ses demandes réitérées. Farouchement opposée à la création d'une Opep du gaz, l'UE se comporte en cartel vis-à-vis des pays producteurs, sur lesquels elle exerce de fortes pressions pour obtenir des avantages substantiels en négociant avec eux séparément. La tactique lui a réussi et lui réussira toujours. Le petit bras de fer qui oppose depuis le mois d'avril l'Algérie à l'Espagne autour du prix du gaz et du droit de Sonatrach à commercialiser une partie de son gaz en Espagne est une composition à plusieurs mains dans laquelle au moins quatre exécutants ont joué leur partition. Rien ne laissait présager un tel bras de fer, tant les deux pays filaient un parfait amour gazier. Le projet Medgaz, dans lequel étaient associées de nombreuses sociétés européennes, notamment espagnoles, aux côtés de Sonatrach, était venu couronner une longue ère d'entente. Du reste, l'accord d'association Algérie-Union européenne avait été signé en avril 2002 à Valence, en péninsule ibérique, et le processus de Barcelone était promis à un bel avenir. Medgaz, en reliant Almeria, en Espagne, à Beni-Saf, en Algérie, devrait transposter quelque 8 milliards de mètres cubes par an vers l'Espagne, et cette capacité pourrait être doublée. Sonatrach, qui détient 36% des actions de ce projet, est l'actionnaire majoritaire, et l'Algérie, parallèlement, a souhaité augmenter le prix d'une partie du gaz livré à l'Espagne ; car le prix pratiqué actuellement ne correspond pas à celui du marché. Prix du gaz livré à l'Espagne Et voilà que la partie espagnole s'est brusquement cabrée, faisant adopter par la CNE (Commission espagnole de l'énergie) une décision conditionnant l'augmentation des droits de vote de Sonatrach dans la société Medgaz chargée de la réalisation du gazoduc Algérie-Espagne à la limitation à un milliard de mètres cubes par an du volume de gaz qu'elle est autorisée à commercialiser directement en Espagne, au lieu des 3 milliards prévus initialement. Khelil est monté au créneau en affirmant qu'il allait faire un recours : mais tous ses recours furent les uns après les autres repoussés : auprès de la CNE, des tribunaux, du gouvernement espagnol, et enfin de la Commission européenne de Bruxelles, quoique souvent d'une manière fort diplomatique. L'Algérie était prête à aller aussi loin que possible pour défendre son bon droit, dans une affaire où manifestement il y a discrimination. Dans le même temps, les responsables à l'énergie de la Commission européenne publiaient des communiqués dans lesquels ils louaient la fiabilité de l'Algérie en tant que fournisseur de gaz aux pays de l'Union européenne, à tel point qu'on avait fini par croire à un double langage de la Commission européenne. En l'occurrence, on pouvait se demander qui jouait en solo : Bruxelles ou Madrid ? L'Espagne elle-même ne parlait pas de la même voix, alors que la CNE délibérait sur le dos de l'Algérie, le roi Juan Carlos en personne, en visite d'Etat à Alger, en mars, multipliait les déclarations de bonnes intentions, en louant l'exemplarité de la coopération algéro-espagnole. Les officiels espagnols, conscients de l'enjeu énergétique et du rôle de fournisseur stratégique de l'Algérie, avaient classé notre pays parmi les neuf prioritaires, aux côtés de la Chine, de l'Inde et du Maroc, en plus des partenaires traditionnels de l'Espagne (UE et Amérique latine). Restait donc le dernier recours ; la commission de Bruxelles elle-même. En déclarant qu'il allait introduire un recours auprès de la Commission européenne, Chakib Khelil mettait Bruxelles devant ses contradictions : recherche de fournisseurs fiables et déréglementations peuvent-ils faire bon ménage, au moment où l'industrie gazière, que ce soit en amont ou en aval, nécessite des investissements lourds et longs à rentabiliser. C'est la raison pour laquelle, jusque-là, les contrats portant sur la fourniture de gaz sont signés pour des périodes de vingt ou trente ans. La déréglementation est donc une manière de pénaliser les pays producteurs, sans lier les pays importateurs consommateurs. Le dernier recours Néanmoins, une chose mérite d'être soulignée : les responsables de Sonatrach, et Chakib Khelil lui-même, sont de redoutables négociateurs. Leur marché, que ce soit au niveau du pétrole ou du gaz, se situe à l'échelle internationale, et ils sont habitués à ce genre de négociations. Lorsque Chakib Khelil déclare «l'Algérie peut se passer de Medgaz !», il sait bien de quoi il parle. Les pays consommateurs sont à la recherche de cette énergie propre et bon marché qu'est le gaz, et ils ne sont pas près de lâcher prise. Et le gazoduc construit en Algérie pourra alimenter les usines de liquéfaction de gaz. Il n'y a là rien de surprenant. On ne peut être juge et partie, et en l'occurrence, les pays européens ont fait bloc pour sauvegarder leurs intérêts collectifs. C'est de bonne guerre, n'est-ce pas ? Quant aux déclarations du président français Nicolas Sarkozy, sur la possibilité d'un partenariat stratégique entre GDF et Sonatrach, elles ont participé de la même guerre psychologique : montrer, dans le cadre d'une mondialisation galopante, et qui ne laisse aucun secteur, que l'heure est aux grands mastodontes. Montrer aussi dans quel sens souffle le vent. Mais pour l'Algérie, Sonatrach n'est pas seulement la poule aux œufs d'or. Première entreprise économique d'Afrique, elle est donc inscrite dans la mondialisation et sait où sont les intérêts du pays. D'où le chassé-croisé diplomatique auquel on a assisté la semaine dernière. Chakib Khelil était invité en Espagne par son homologue ibérique, et quelques heures à peine après son retour à Alger, Miguel Angel Moratinos, le ministre espagnol des Affaires étrangères, arrivait à Alger. «Nous avons beaucoup d'ambitions communes et nous avons investi tous nos efforts pour y réussir et faire des relations algéro-espagnoles un modèle qui doit inspirer d'autres acteurs de la région, dans la recherche de la paix, de la stabilité et de la prospérité pour les deux peuples.» C'est un langage diplomatique qui sera décodé par les initiés, mais pour le commun des mortels, ce sera, curieusement, un communiqué du ministère de l'Energie et des Mines qui apportera un éclaircissement. Le compromis trouvé venait de Bruxelles, et cela mettait à nu le rôle d'arbitre de la Commission européenne. A ce niveau de négociation, la philanthropie n'existe pas. Et tout en défendant le principe de la libre concurrence au sein de l'OMC, l'Union européenne ne répugne ni à subventionner ses propres produits ni à pratiquer un fort protectionnisme. Que dit ce communiqué ? Il explique clairement que l'Algérie et la Commission européenne sont parvenues le 11 juillet dernier à un accord aménageant les dispositions relatives aux « restrictions territoriales» et «au partage de la marge» dans certains contrats de fourniture de gaz de Sonatrach à ses clients européens, dont certaines clauses interdisaient aux acheteurs européens de gaz algérien, majoritairement des grossistes italiens et espagnols, de revendre dans les pays voisins le gaz qu'ils achetaient à Sonatrach. Explication du ministère de l'Energie Cet accord a été signé par M. Chakib Khelil et la commissaire européenne chargée de la Concurrence, Nelie Kroes. Il supprime les clauses territoriales dans les contrats en vigueur, les interdit dans les contrats futurs et les remplace par un mécanisme de partage des marges bénéficiaires obligeant l'importateur à la partager en partie avec Sonatrach s'il revend le gaz à un client établi hors du territoire couvert par l'accord ou à un client utilisant ce gaz à une fin autre que celle qui a été convenue. «Cet accord constitue une percée majeure dans nos relations avec l'un des fournisseurs les plus importants d'Europe pour le gaz naturel et élimine les obstacles à la création d'un marché unique européen dans le gaz» s'est félicité pour sa part Mme Kroes. Quant à l'Algérie, elle estime qu'elle avait fait le choix de la souplesse en acceptant la suppression des clauses territoriales, et ce, en souhaitant en contrepartie que la Commission européenne apporte son plein soutien pour que les conditions de libéralisation du marché de l'énergie en Europe et celui du gaz en particulier soient de nature à permettre à Sonatrach d'en être un acteur dans un environnement non discriminatoire et transparent. Pour l'heure, et malgré les déclarations optimistes de Chakib Khelil, on ne sait pas si l'Algérie, qui fournit 12 % du gaz à l'Europe, a obtenu satisfaction sur ses demandes réitérées. Farouchement opposée à la création d'une Opep du gaz, l'UE se comporte en cartel vis-à-vis des pays producteurs, sur lesquels elle exerce de fortes pressions pour obtenir des avantages substantiels en négociant avec eux séparément. La tactique lui a réussi et lui réussira toujours.