La bâtisse en elle-même est déjà un cours d'histoire. A quelques pas de l'ancienne zaouia des rahmaniya devenue mosquée, située en plein centre-ville, à l'angle de la rue Ahcène Benchikh et de l'Avenue Ben Badis, cette imposante construction a été achevée dans les années trente. Lumineuse et aérée, elle semble digne de la première mission qui fût la sienne : celle de Médersa édifiée par le cheikh Abdelhamid Benbadis qui a posé, dit-on, la première pierre en 1932 (certaines sources indiquent 1934 ou 1939 comme date de cet évènement fondateur.) A peine le seuil franchi, le visiteur est transporté dans un autre espace temps. Le vaste patio carrelé en damier, les arcades, les marches qui mènent au premier étage, les plantes vertes et par-dessus cela, la belle lumière qui tombe tout droit d'un ciel radieux, l'apparentent à ces villas à l'architecture dite mauresque que les forces coloniales ont systématiquement détruites durant la conquête. La révolution omniprésente A la droite de l'entrée, des caractères verts sur une plaque de marbre indiquent que cette belle maison, devenue le Musée Kotama a été inaugurée par M. Mokdad Sifi en 1995. A l'Indépendance, revenue à sa toute première vocation d'établissement pédagogique, elle est l'école de jeunes sourds-muets de Jijel. Durant la guerre de Libération nationale, le deuxième bureau de l'armée française y fait retentir d'autres accents que ceux des enfants en apprentissage : les cris des malheureux tombés entre ses mains. La guerre y est encore présente. Partout. Des drapeaux délavés tombant en miettes sont soigneusement rangés dans les vitrines comme les reliques saintes du combat libérateur. Dans la cour parmi les pots ornés de grappes de raisin et les plantes vertes, des pièces de poterie alternent avec des bombes, des armes à feu, toutes sortes de fruits de fer et d'acier et de projectiles tueurs… Le pied d'une colonne antique se dresse comme le témoin d'un colonialisme plus ancien, mêlant les pièces à conviction des guerres passées à l'immuable identité de la terre cuite. Sur les colonnes de la cour sont peintes des scènes juxtaposant les différents âges du vieux Jijel : Kheireddine Barberousse semble regarder un jeune moudjahid en treillis… Kassaman, l'hymne national est encadré bien en évidence dans ces lieux où a régné un jour l'arbitraire. Des pionniers et des martyrs «J'ai vu dans les yeux des chefs qui commandent les troupes…. La décision implacable d'être sans pitié… Nous jurons que l'Algérie est, et restera française !» déclarait le 13 mai 1945, Jules Lochard dans le numéro 45 du journal «Réveil Djidjellien» du 19 mai 1945. Avant de reprendre les armes, les descendants des insurgés de la conquête ont dû apprendre la langue de l'occupant pour défendre leurs convictions. C'est dans les colonnes des journaux de l'époque qu'ils se battront contre le code de l'indigénat et l'iniquité coloniale. Les fondateurs du journal d'obédience nationaliste Er Rachidi (1911-1914) sont présentés un à un dans un article du sociologue Sekfali Abderrahim, exposé dans une vitrine avec leurs photos : Badri Ferhat (1877-1951), Hadj-A'mar Mohammed dit Hamou (1880-1932), Benkhellaf Abderahmane dit Ahcène (1881-1947), Kiniouar Mohammed (1871-1929), Kiniouar Ferhat(1864-1927), Abdelaziz Abdelaziz(1877-1951), Fergani Boudjemaâ dit Bachir (1875-1933) et Bouguessa Kacem (1864-1927) de Constantine. Juristes ou normaliens de Bouzaréah, ils ont contribué autant par l'exercice de leur profession que par leurs travaux de recherches et leurs collaboration aux différentes publications de l'époque à l'éveil de la conscience identitaire et nationale. A travers la biographie de ces pionniers, le visiteur perçoit mieux l'ébullition intellectuelle et politique qui a fait mûrir les idées d'émancipation anti-coloniale notamment dans l'est du pays. «Abdelaziz Abdelaziz est le guide spirituel de Ferhat Abbas», est-il souligné dans un article consacré à cet esprit féru d'ethnologie et d'histoire. Dans un cadre, une affiche en noir et blanc, plus récente attire le regard. Sur une bannière déployée est inscrite cette phrase : «Honneur et gloire aux martyrs de l'Indépendance nationale». Les portraits de cinq martyrs de mai 1945 y figurent : Ziar Abdelkader, mort à 24 ans à Alger, Lamiach Ali, mort en Kabylie, Sridi Hamida, fusillé et brûlé à Guelma, Bouzid Salah, première victime du 8 Mai 1945 à Sétif, Benel Haffaf, mort à 22 ans le 1er mai 1945 à Alger. Une simple phrase sous les visages juvéniles: «Le peuple algérien ne vous oubliera jamais.» Des vestiges, des bijoux, des peintures Dans la vaste salle de droite du musée, sont exposés un peu en désordre les vestiges de différentes périodes. Avec des étiquettes à moitié effacées ou seulement en langue arabe, sont indiqués des échantillons préhistoriques trouvés à Djebel Mezghitane où la civilisation ibéromaurisienne du paléolithique supérieur remonte à 30.000 ans avant J.-C. Des vestiges antérieurs à ceux de Mezghitane sont également exposés. Ce sont des haches, des bifaces, des galets aménagés trouvés à Chekfa et qui sont caractéristiques de la période acheuléenne du paléolithique inférieur qui remonte à quelque 700.000 ans avant J.-C. Leurs artisans décrits comme des néanderthaliens qui vivaient principalement de la chasse et de la cueillette ont disparu de la planète pour des raisons encore inconnues des scientifiques. Poursuivant ce voyage à travers le temps, nous admirons des échantillons préhistoriques et des fossiles marins forts nombreux. Les restes d'un ours brun trouvés dan une grotte de Chita à Djimla. Des fragments de mosaïque romaine, des assiettes en céramique campanienne punique, des monnaies romaine et musulmane. Dans une armoire, des fragments de sarcophages puniques d'une grande beauté : rosaces, entrelacs, losanges… trouvés dans les tombeaux phéniciens de Rabta. Les tombes phéniciennes découvertes à Rabta et au centre ville sont datées de 4 siècles avant J.-C. Des amphores rongées de moisissure, des fragments osseux humains trouvés dans la nécropole punique : crâne, fémur, vertèbres, des clous phéniciens gigantesques en bronze, de jolies lampes en terre cuite trouvées à Tissilil, Setara… le visiteur peut rêver à loisir sur le bric à brac de l'histoire. Un musée en extension Bijoux en argent très lourd : fibules, bracelets aux attaches de serpents... Une immense épée au bout relevé nous ramène à une période plus récente. Un coran écrit en 1896 par Ali ben Mohamed El-Amin, des ceintures de laine offertes par des femmes de la région, des poteries, des mkeb pour les tadjine à crêpe, des corbeilles, des cafetières traditionnelles, des théières, djezouas, derboukas, tambourins… du 19e siècle composent les pièces d'un inventaire digne de Prévert. Dans un espace jouxtant celui de la préhistoire, des tableaux de peinture chatoient sous une lumière filtrée. La vieille église aujourd'hui détruite, la citadelle… les tableaux montrent des visages de Jijel complètement effacés. Une vague monstrueuse signe d'un naufrage où tout a péri sauf une silhouette s'agrippant aux restes d'un mât. Mammeri, Boumedjane, Bounar, Ortéga ont signé des toiles suintant l'orientalisme. Et puis, alors que l'on s'apprête à gravir les marches qui mènent aux étages supérieurs, on nous avertit que la visite s'arrête là. Le musée est en réfection. Pour faciliter les travaux, les autres vestiges ont été serrés en lieu sûr. Par ailleurs, une nouvelle bâtisse plus importante que cette ancienne médersa est en construction. Nous quittons ce musée en pleine extension sans avoir pu rencontrer la conservatrice en mission ce jour-là. Une certitude : l'envie d'y revenir s'imprégner des épisodes d'une histoire largement méconnue par les jeunes habitants de la ville. La bâtisse en elle-même est déjà un cours d'histoire. A quelques pas de l'ancienne zaouia des rahmaniya devenue mosquée, située en plein centre-ville, à l'angle de la rue Ahcène Benchikh et de l'Avenue Ben Badis, cette imposante construction a été achevée dans les années trente. Lumineuse et aérée, elle semble digne de la première mission qui fût la sienne : celle de Médersa édifiée par le cheikh Abdelhamid Benbadis qui a posé, dit-on, la première pierre en 1932 (certaines sources indiquent 1934 ou 1939 comme date de cet évènement fondateur.) A peine le seuil franchi, le visiteur est transporté dans un autre espace temps. Le vaste patio carrelé en damier, les arcades, les marches qui mènent au premier étage, les plantes vertes et par-dessus cela, la belle lumière qui tombe tout droit d'un ciel radieux, l'apparentent à ces villas à l'architecture dite mauresque que les forces coloniales ont systématiquement détruites durant la conquête. La révolution omniprésente A la droite de l'entrée, des caractères verts sur une plaque de marbre indiquent que cette belle maison, devenue le Musée Kotama a été inaugurée par M. Mokdad Sifi en 1995. A l'Indépendance, revenue à sa toute première vocation d'établissement pédagogique, elle est l'école de jeunes sourds-muets de Jijel. Durant la guerre de Libération nationale, le deuxième bureau de l'armée française y fait retentir d'autres accents que ceux des enfants en apprentissage : les cris des malheureux tombés entre ses mains. La guerre y est encore présente. Partout. Des drapeaux délavés tombant en miettes sont soigneusement rangés dans les vitrines comme les reliques saintes du combat libérateur. Dans la cour parmi les pots ornés de grappes de raisin et les plantes vertes, des pièces de poterie alternent avec des bombes, des armes à feu, toutes sortes de fruits de fer et d'acier et de projectiles tueurs… Le pied d'une colonne antique se dresse comme le témoin d'un colonialisme plus ancien, mêlant les pièces à conviction des guerres passées à l'immuable identité de la terre cuite. Sur les colonnes de la cour sont peintes des scènes juxtaposant les différents âges du vieux Jijel : Kheireddine Barberousse semble regarder un jeune moudjahid en treillis… Kassaman, l'hymne national est encadré bien en évidence dans ces lieux où a régné un jour l'arbitraire. Des pionniers et des martyrs «J'ai vu dans les yeux des chefs qui commandent les troupes…. La décision implacable d'être sans pitié… Nous jurons que l'Algérie est, et restera française !» déclarait le 13 mai 1945, Jules Lochard dans le numéro 45 du journal «Réveil Djidjellien» du 19 mai 1945. Avant de reprendre les armes, les descendants des insurgés de la conquête ont dû apprendre la langue de l'occupant pour défendre leurs convictions. C'est dans les colonnes des journaux de l'époque qu'ils se battront contre le code de l'indigénat et l'iniquité coloniale. Les fondateurs du journal d'obédience nationaliste Er Rachidi (1911-1914) sont présentés un à un dans un article du sociologue Sekfali Abderrahim, exposé dans une vitrine avec leurs photos : Badri Ferhat (1877-1951), Hadj-A'mar Mohammed dit Hamou (1880-1932), Benkhellaf Abderahmane dit Ahcène (1881-1947), Kiniouar Mohammed (1871-1929), Kiniouar Ferhat(1864-1927), Abdelaziz Abdelaziz(1877-1951), Fergani Boudjemaâ dit Bachir (1875-1933) et Bouguessa Kacem (1864-1927) de Constantine. Juristes ou normaliens de Bouzaréah, ils ont contribué autant par l'exercice de leur profession que par leurs travaux de recherches et leurs collaboration aux différentes publications de l'époque à l'éveil de la conscience identitaire et nationale. A travers la biographie de ces pionniers, le visiteur perçoit mieux l'ébullition intellectuelle et politique qui a fait mûrir les idées d'émancipation anti-coloniale notamment dans l'est du pays. «Abdelaziz Abdelaziz est le guide spirituel de Ferhat Abbas», est-il souligné dans un article consacré à cet esprit féru d'ethnologie et d'histoire. Dans un cadre, une affiche en noir et blanc, plus récente attire le regard. Sur une bannière déployée est inscrite cette phrase : «Honneur et gloire aux martyrs de l'Indépendance nationale». Les portraits de cinq martyrs de mai 1945 y figurent : Ziar Abdelkader, mort à 24 ans à Alger, Lamiach Ali, mort en Kabylie, Sridi Hamida, fusillé et brûlé à Guelma, Bouzid Salah, première victime du 8 Mai 1945 à Sétif, Benel Haffaf, mort à 22 ans le 1er mai 1945 à Alger. Une simple phrase sous les visages juvéniles: «Le peuple algérien ne vous oubliera jamais.» Des vestiges, des bijoux, des peintures Dans la vaste salle de droite du musée, sont exposés un peu en désordre les vestiges de différentes périodes. Avec des étiquettes à moitié effacées ou seulement en langue arabe, sont indiqués des échantillons préhistoriques trouvés à Djebel Mezghitane où la civilisation ibéromaurisienne du paléolithique supérieur remonte à 30.000 ans avant J.-C. Des vestiges antérieurs à ceux de Mezghitane sont également exposés. Ce sont des haches, des bifaces, des galets aménagés trouvés à Chekfa et qui sont caractéristiques de la période acheuléenne du paléolithique inférieur qui remonte à quelque 700.000 ans avant J.-C. Leurs artisans décrits comme des néanderthaliens qui vivaient principalement de la chasse et de la cueillette ont disparu de la planète pour des raisons encore inconnues des scientifiques. Poursuivant ce voyage à travers le temps, nous admirons des échantillons préhistoriques et des fossiles marins forts nombreux. Les restes d'un ours brun trouvés dan une grotte de Chita à Djimla. Des fragments de mosaïque romaine, des assiettes en céramique campanienne punique, des monnaies romaine et musulmane. Dans une armoire, des fragments de sarcophages puniques d'une grande beauté : rosaces, entrelacs, losanges… trouvés dans les tombeaux phéniciens de Rabta. Les tombes phéniciennes découvertes à Rabta et au centre ville sont datées de 4 siècles avant J.-C. Des amphores rongées de moisissure, des fragments osseux humains trouvés dans la nécropole punique : crâne, fémur, vertèbres, des clous phéniciens gigantesques en bronze, de jolies lampes en terre cuite trouvées à Tissilil, Setara… le visiteur peut rêver à loisir sur le bric à brac de l'histoire. Un musée en extension Bijoux en argent très lourd : fibules, bracelets aux attaches de serpents... Une immense épée au bout relevé nous ramène à une période plus récente. Un coran écrit en 1896 par Ali ben Mohamed El-Amin, des ceintures de laine offertes par des femmes de la région, des poteries, des mkeb pour les tadjine à crêpe, des corbeilles, des cafetières traditionnelles, des théières, djezouas, derboukas, tambourins… du 19e siècle composent les pièces d'un inventaire digne de Prévert. Dans un espace jouxtant celui de la préhistoire, des tableaux de peinture chatoient sous une lumière filtrée. La vieille église aujourd'hui détruite, la citadelle… les tableaux montrent des visages de Jijel complètement effacés. Une vague monstrueuse signe d'un naufrage où tout a péri sauf une silhouette s'agrippant aux restes d'un mât. Mammeri, Boumedjane, Bounar, Ortéga ont signé des toiles suintant l'orientalisme. Et puis, alors que l'on s'apprête à gravir les marches qui mènent aux étages supérieurs, on nous avertit que la visite s'arrête là. Le musée est en réfection. Pour faciliter les travaux, les autres vestiges ont été serrés en lieu sûr. Par ailleurs, une nouvelle bâtisse plus importante que cette ancienne médersa est en construction. Nous quittons ce musée en pleine extension sans avoir pu rencontrer la conservatrice en mission ce jour-là. Une certitude : l'envie d'y revenir s'imprégner des épisodes d'une histoire largement méconnue par les jeunes habitants de la ville.