M. Rachid Bellil est maître de recherche au Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques d'Alger. Il nous a reçus dans un bureau du Cnrpah jouxtant le Musée du Bardo. Histoire d'un parcours dynamique jalonné de travaux et publications scientifiques sur les trésors de la culture ancestrale dans leur expression contemporaine. M. Rachid Bellil est maître de recherche au Centre national de recherches préhistoriques, anthropologiques et historiques d'Alger. Il nous a reçus dans un bureau du Cnrpah jouxtant le Musée du Bardo. Histoire d'un parcours dynamique jalonné de travaux et publications scientifiques sur les trésors de la culture ancestrale dans leur expression contemporaine. Sur les traces de Mouloud Mammeri, Rachid Bellil a consacré plus de trois décennies aux recherches anthropologiques sur le Gourara. Ksours et palmeraies sont devenus le décor quotidien de ce natif de Réghaïa. C'est armé d'une méthode façonnée autant sur les bancs de la fac que sur le terrain aux côtés de Mouloud Mammeri, qu'il se lance dans l'étude de la culture vivante de cette région saharienne, voisine du Touat. Au prix d'une lente immersion dans la société zénète, le chercheur s'est approprié les subtilités de la langue taznatit. Cette langue qui «s'apparente plus à celle des Mozabites, des Chaouis et des gens du Chenoua qu'à celle des Touaregs». Sobre, le chercheur a visiblement du mal à parler de lui-même. Par contre, il est immédiatement à l'écoute dès que sont évoquées les us et coutumes d'une région ou d'une autre. L'Algérie, immense réservoir culturel, recèle tant d'énigmes… «Il faut recueillir les contes, les chants, les récits, avant qu'ils ne soient perdus à jamais.» L'homme de terrain s'anime. Sans enregistreur et sans prise ostentatoire de notes, la meilleure des approches s'est imposée à lui : «Il faut prendre le temps de s'imprégner des coutumes, de la langue…» Ce conseil que lui donne ses amis de Timimoun, il le suit scrupuleusement. Et en 1994, Rachid Bellil soutient une thèse à l'Inalco de Paris sous la direction du docteur en linguistique, Salem Chaker. C'est le volumineux travail qui sert de base aux ouvrages «Ksour et Saints du Gourara» et «Textes zénètes du Gourara» qu'il publie par la suite, poursuivant ses recherches en parrallèle. Publiant d'autres ouvrages et de nombreux articles dans les revues spécialisées, il assure jusqu'en 2006 des cours de «Culture et civilisation dans les sociétés berbérophones du Maghreb, du Niger et du Mali» à l'Inalco puis à l'université d'Aix-en-Provence. Traversée de l'Algérie et naissance d'une vocation Le Cnrpah d'Alger le sollicite en tant que chercheur associé en 2003. En 2006, il rentre au pays et devient chercheur à plein temps. En 2005, l'Ahellil du Gourara est proclamé «chef-d'œuvre du patrimoine culturel immatériel de l'humanité» par l'Unesco. Et même s'il ne le dit pas, cet homme, dont les travaux sont devenus une référence incontournable pour l'étude anthropologique du Gourara, y est pour beaucoup. C'est en 1971, que le Sud enchaîne l'étudiant en socio de la fac d'Alger. Précisément lors d'un stage à Tamanrasset : «Nous avons été 3 ou 4 à ressentir l'envoûtement. C'était les vacances de printemps. Nous sommes retournés à Alger par la route. Nous avons découvert Arak, In Salah, El-Goléa et Ghardaïa…». Il découvre Timimoun quelques mois plus tard. Sur la demande de Mouloud Mammeri, directeur du Crape, il rejoint l'équipe d'un archéologue du Cnrs de Paris, désireux d'initier les étudiants à la recherche sur le terrain. «La vocation est née lors de ce mois au Gourara», dit-il. Tam, il y rédige son mémoire de licence, avant de s'acquitter du Service national. En décembre 1975, il y retourne pour son DEA. «Je voulais faire un doctorat sur l'Ahaggar», dit-il. La vie en décide autrement. Retour au Gourara Le retour de Rachid Bellil au fief de Sidi Musa U-l-Mesâud des At-Saïd, se fait en plusieurs étapes. Dès l'année universitaire 77/78, Mammeri le sollicite de nouveau, à l'occasion du tournage d'un film du Crape, sur les spectaculaires festivités du Sbouâ par lesquelles les Gouraris célèbrent la naissance du Prophète Mohamed (Qsssl). Le jeune chercheur est chargé de recueillir les données ethnographiques nécessaires à la compréhension des rituels filmés par Daniel Pelligra qui enseigne l'anthropologie visuelle à l'Inadc, Hamid Mettouchi et Akli Drouaz. L'année suivante Rachid Bellil commence une enquête sur Timimoun. C'est ainsi qu'en 1979, l'Oasis rouge l'emporte sur la capitale des Touaregs dans la vie du chercheur. Sur cet élan, sous l'égide du Crape de 1979 à 1981, il continue en solitaire la passionnante aventure. Mais par un mystérieux coup du sort, l'arrêt de son contrat d'enseignant à l'INA l'oblige à quitter le Crape ! La passion du scientifique l'emporte sur l'adversité. Loin de se décourager, il se reconvertit en enseignant de Français au lycée de Timimoun, et y enseigne deux ans et demi. Durant cette période, il prend des cours de zénète auprès d'un collègue. Son approche devient celle d'un proche qui prend le temps de connaître les habitants et d'intérioriser leur langue. Comme Claude Levi Strauss ou Paul Emile Victor, il apprend à articuler sa notion du temps à celle des concernés. «Il fallait d'abord être adopté pour commencer le vrai travail. Il fallait une imprégnation. Ce n'était pas le même rapport au temps. Tous mes amis de Timimoun me conseillaient la lenteur», narre-t-il. Et comme Ibn Arabi, El-Hujwiri, Ibn Batouta, Ibn Khaldoun, Emile Dermenghem et autres observateurs du vécu et du vivant, il rapporte minutieusement aussi bien les différents aspects du quotidien des Gouraris que de nombreux récits poétiques ou merveilleux dont les épisodes de la vie des Awliya Essalihine (les amis de Dieu). Jalons qui indiquent, entre autres, les étapes du processus d'islamisation en Afrique du Nord. Les avatars de la recherche Les travaux de recherche de Rachid Bellil résistent aux avatars des institutions qui les régissent. Crape, Cneh, Cnrpah, il poursuit son chemin alors que l'institution change de nom et d'équipes. «Je suis entré au Crape en 1977. Il fallait être enseignant pour être chercheur. J'enseignais la sociologie rurale à l'INA. Lorsque Mammeri est parti, en 1979, nous avions tous compris que les choses ne seraient plus les mêmes.» Puis le Crape a été dissout en 1984, en même temps que l'Onrs (Office national de la recherche scientifique) créé dans les années 1970. «On ne sait pas pourquoi.», dit-il simplement. Le Crape s'occupait d'anthropologie et de préhistoire. Il est phagocyté par le Cneh qui s'occupe de l'écriture de l'histoire de la Révolution algérienne. Il n'y a pour ainsi dire plus d'activités de recherche. «J'ai alors travaillé durant deux années au Cread, d'abord à Ben Aknoun et ensuite à Bouzaréah.» Subitement, cet homme réservé s'enthousiasme. Il narre une de ces rencontres dont l'Algérie a le secret. «Je participais à une enquête chez les semi-nomades entre Djelfa et Aflou. C'était une population des Ouled Naïl, des arabophones, en voie de sédentarisation. J'y ai rencontré un vieux âgé d'un siècle. Il parlait un arabe incompréhensible. Un de ses petits-fils me traduisait ses paroles. Le vieil homme parlait encore l'arabe bédouin qui était aussi en voie de disparition.» Après les évènements d'octobre 1988, le Cneh est remplacé par le Cnrpah. Cette fois-ci, les statuts permettent d'être chercheur à plein temps. Il reprend alors son travail sur le Gourara. «Je m'y rendais deux fois par an.» Cette fois, avec une land-rover. L'investissement passé s'avère fructueux. Le regard «critique et oblique» de l'anthropologue Le chercheur émerge de l'évocation de ses souvenirs pour expliquer avec animation le pourquoi de tous ces va-et-vient entre terrain et centre de recherche, la démarche de l'anthropologie et le regard qu'elle a sur l'objet d'étude : «L'anthropologie est née de la rencontre avec l'autre, c'est l'altérité culturelle, linguistique, les différentes institutions qui est au fondement de cette approche anthropologique. Le terme est apparu en Occident, mais la pratique est impliquée dans l'approche plus ancienne. Hérodote pratiquait cette discipline, il n'y a qu'à lire ses «Enquêtes» pour s'en apercevoir ; les voyageurs arabes et musulmans au moment de l'expansion de l'islam aussi. Spontanément, celui qui est confronté à l'altérité tend à se replier sur une attitude ethnocentriste : il privilégiera sa propre culture, son système de pensée et aura tendance à considérer l'autre de haut et à en parler en terme de «primitif», de «sauvage», d'«arriéré» etc. La théorisation de cette démarche débouche sur la théorie évolutionniste dans laquelle le chercheur se situe toujours dans la dernière phase de l'humanité et a tendance à porter sur les autres, différents, un regard méprisant voire franchement raciste. Cette approche a souvent prévalu durant la période coloniale. Mais l'anthropologie a su avancer et se débarrasser de ces travers en les regardant en face et en les analysant». M. Rachid Bellil explique avec clarté les acquis de ce nouveau regard : «La remise en question de l'évolutionnisme a pour corollaire l'idée de la diversité culturelle qui fut une véritable invention de la modernité. Pour la première fois peut-être dans l'histoire de l'humanité, on a pu penser que toutes les cultures se valent et que tous les hommes appartiennent, par delà leur altérité, au genre humain. Partant de là, l'anthropologue, qui en principe n'est ni un homme de pouvoir ni un homme du pouvoir, se doit de reconsidérer en profondeur son rapport aux hommes, au groupe social ou à la communauté qu'il a choisi d'étudier. En effet, même si la nécessité de l'insertion dans la communauté amène souvent une profonde insertion dans celle-ci avec des liens d'amitiés et de complicité parfois très forts, le chercheur ne doit pas oublier qu'il est différent, qu'il vient d'ailleurs et que la finalité de cette relation est la production de connaissances sur le groupe. En bref, l'empathie est nécessaire mais non suffisante. Et même lorsqu'il lui arrive de s'engager sur des questions identitaires, l'anthropologue ne doit pas oublier que l'altérité est à la base de sa démarch e(…). L'approche doit être souple et tout en mouvement aussi bien qu'en retours sur sa propre pratique.» Et c'est de ce regard défini par l'anthropologue britannique Jack Goody comme à la fois «critique et oblique» que se réclame celui de Rachid Bellil porteur d'une des plus nobles quêtes humaines. Sur les traces de Mouloud Mammeri, Rachid Bellil a consacré plus de trois décennies aux recherches anthropologiques sur le Gourara. Ksours et palmeraies sont devenus le décor quotidien de ce natif de Réghaïa. C'est armé d'une méthode façonnée autant sur les bancs de la fac que sur le terrain aux côtés de Mouloud Mammeri, qu'il se lance dans l'étude de la culture vivante de cette région saharienne, voisine du Touat. Au prix d'une lente immersion dans la société zénète, le chercheur s'est approprié les subtilités de la langue taznatit. Cette langue qui «s'apparente plus à celle des Mozabites, des Chaouis et des gens du Chenoua qu'à celle des Touaregs». Sobre, le chercheur a visiblement du mal à parler de lui-même. Par contre, il est immédiatement à l'écoute dès que sont évoquées les us et coutumes d'une région ou d'une autre. L'Algérie, immense réservoir culturel, recèle tant d'énigmes… «Il faut recueillir les contes, les chants, les récits, avant qu'ils ne soient perdus à jamais.» L'homme de terrain s'anime. Sans enregistreur et sans prise ostentatoire de notes, la meilleure des approches s'est imposée à lui : «Il faut prendre le temps de s'imprégner des coutumes, de la langue…» Ce conseil que lui donne ses amis de Timimoun, il le suit scrupuleusement. Et en 1994, Rachid Bellil soutient une thèse à l'Inalco de Paris sous la direction du docteur en linguistique, Salem Chaker. C'est le volumineux travail qui sert de base aux ouvrages «Ksour et Saints du Gourara» et «Textes zénètes du Gourara» qu'il publie par la suite, poursuivant ses recherches en parrallèle. Publiant d'autres ouvrages et de nombreux articles dans les revues spécialisées, il assure jusqu'en 2006 des cours de «Culture et civilisation dans les sociétés berbérophones du Maghreb, du Niger et du Mali» à l'Inalco puis à l'université d'Aix-en-Provence. Traversée de l'Algérie et naissance d'une vocation Le Cnrpah d'Alger le sollicite en tant que chercheur associé en 2003. En 2006, il rentre au pays et devient chercheur à plein temps. En 2005, l'Ahellil du Gourara est proclamé «chef-d'œuvre du patrimoine culturel immatériel de l'humanité» par l'Unesco. Et même s'il ne le dit pas, cet homme, dont les travaux sont devenus une référence incontournable pour l'étude anthropologique du Gourara, y est pour beaucoup. C'est en 1971, que le Sud enchaîne l'étudiant en socio de la fac d'Alger. Précisément lors d'un stage à Tamanrasset : «Nous avons été 3 ou 4 à ressentir l'envoûtement. C'était les vacances de printemps. Nous sommes retournés à Alger par la route. Nous avons découvert Arak, In Salah, El-Goléa et Ghardaïa…». Il découvre Timimoun quelques mois plus tard. Sur la demande de Mouloud Mammeri, directeur du Crape, il rejoint l'équipe d'un archéologue du Cnrs de Paris, désireux d'initier les étudiants à la recherche sur le terrain. «La vocation est née lors de ce mois au Gourara», dit-il. Tam, il y rédige son mémoire de licence, avant de s'acquitter du Service national. En décembre 1975, il y retourne pour son DEA. «Je voulais faire un doctorat sur l'Ahaggar», dit-il. La vie en décide autrement. Retour au Gourara Le retour de Rachid Bellil au fief de Sidi Musa U-l-Mesâud des At-Saïd, se fait en plusieurs étapes. Dès l'année universitaire 77/78, Mammeri le sollicite de nouveau, à l'occasion du tournage d'un film du Crape, sur les spectaculaires festivités du Sbouâ par lesquelles les Gouraris célèbrent la naissance du Prophète Mohamed (Qsssl). Le jeune chercheur est chargé de recueillir les données ethnographiques nécessaires à la compréhension des rituels filmés par Daniel Pelligra qui enseigne l'anthropologie visuelle à l'Inadc, Hamid Mettouchi et Akli Drouaz. L'année suivante Rachid Bellil commence une enquête sur Timimoun. C'est ainsi qu'en 1979, l'Oasis rouge l'emporte sur la capitale des Touaregs dans la vie du chercheur. Sur cet élan, sous l'égide du Crape de 1979 à 1981, il continue en solitaire la passionnante aventure. Mais par un mystérieux coup du sort, l'arrêt de son contrat d'enseignant à l'INA l'oblige à quitter le Crape ! La passion du scientifique l'emporte sur l'adversité. Loin de se décourager, il se reconvertit en enseignant de Français au lycée de Timimoun, et y enseigne deux ans et demi. Durant cette période, il prend des cours de zénète auprès d'un collègue. Son approche devient celle d'un proche qui prend le temps de connaître les habitants et d'intérioriser leur langue. Comme Claude Levi Strauss ou Paul Emile Victor, il apprend à articuler sa notion du temps à celle des concernés. «Il fallait d'abord être adopté pour commencer le vrai travail. Il fallait une imprégnation. Ce n'était pas le même rapport au temps. Tous mes amis de Timimoun me conseillaient la lenteur», narre-t-il. Et comme Ibn Arabi, El-Hujwiri, Ibn Batouta, Ibn Khaldoun, Emile Dermenghem et autres observateurs du vécu et du vivant, il rapporte minutieusement aussi bien les différents aspects du quotidien des Gouraris que de nombreux récits poétiques ou merveilleux dont les épisodes de la vie des Awliya Essalihine (les amis de Dieu). Jalons qui indiquent, entre autres, les étapes du processus d'islamisation en Afrique du Nord. Les avatars de la recherche Les travaux de recherche de Rachid Bellil résistent aux avatars des institutions qui les régissent. Crape, Cneh, Cnrpah, il poursuit son chemin alors que l'institution change de nom et d'équipes. «Je suis entré au Crape en 1977. Il fallait être enseignant pour être chercheur. J'enseignais la sociologie rurale à l'INA. Lorsque Mammeri est parti, en 1979, nous avions tous compris que les choses ne seraient plus les mêmes.» Puis le Crape a été dissout en 1984, en même temps que l'Onrs (Office national de la recherche scientifique) créé dans les années 1970. «On ne sait pas pourquoi.», dit-il simplement. Le Crape s'occupait d'anthropologie et de préhistoire. Il est phagocyté par le Cneh qui s'occupe de l'écriture de l'histoire de la Révolution algérienne. Il n'y a pour ainsi dire plus d'activités de recherche. «J'ai alors travaillé durant deux années au Cread, d'abord à Ben Aknoun et ensuite à Bouzaréah.» Subitement, cet homme réservé s'enthousiasme. Il narre une de ces rencontres dont l'Algérie a le secret. «Je participais à une enquête chez les semi-nomades entre Djelfa et Aflou. C'était une population des Ouled Naïl, des arabophones, en voie de sédentarisation. J'y ai rencontré un vieux âgé d'un siècle. Il parlait un arabe incompréhensible. Un de ses petits-fils me traduisait ses paroles. Le vieil homme parlait encore l'arabe bédouin qui était aussi en voie de disparition.» Après les évènements d'octobre 1988, le Cneh est remplacé par le Cnrpah. Cette fois-ci, les statuts permettent d'être chercheur à plein temps. Il reprend alors son travail sur le Gourara. «Je m'y rendais deux fois par an.» Cette fois, avec une land-rover. L'investissement passé s'avère fructueux. Le regard «critique et oblique» de l'anthropologue Le chercheur émerge de l'évocation de ses souvenirs pour expliquer avec animation le pourquoi de tous ces va-et-vient entre terrain et centre de recherche, la démarche de l'anthropologie et le regard qu'elle a sur l'objet d'étude : «L'anthropologie est née de la rencontre avec l'autre, c'est l'altérité culturelle, linguistique, les différentes institutions qui est au fondement de cette approche anthropologique. Le terme est apparu en Occident, mais la pratique est impliquée dans l'approche plus ancienne. Hérodote pratiquait cette discipline, il n'y a qu'à lire ses «Enquêtes» pour s'en apercevoir ; les voyageurs arabes et musulmans au moment de l'expansion de l'islam aussi. Spontanément, celui qui est confronté à l'altérité tend à se replier sur une attitude ethnocentriste : il privilégiera sa propre culture, son système de pensée et aura tendance à considérer l'autre de haut et à en parler en terme de «primitif», de «sauvage», d'«arriéré» etc. La théorisation de cette démarche débouche sur la théorie évolutionniste dans laquelle le chercheur se situe toujours dans la dernière phase de l'humanité et a tendance à porter sur les autres, différents, un regard méprisant voire franchement raciste. Cette approche a souvent prévalu durant la période coloniale. Mais l'anthropologie a su avancer et se débarrasser de ces travers en les regardant en face et en les analysant». M. Rachid Bellil explique avec clarté les acquis de ce nouveau regard : «La remise en question de l'évolutionnisme a pour corollaire l'idée de la diversité culturelle qui fut une véritable invention de la modernité. Pour la première fois peut-être dans l'histoire de l'humanité, on a pu penser que toutes les cultures se valent et que tous les hommes appartiennent, par delà leur altérité, au genre humain. Partant de là, l'anthropologue, qui en principe n'est ni un homme de pouvoir ni un homme du pouvoir, se doit de reconsidérer en profondeur son rapport aux hommes, au groupe social ou à la communauté qu'il a choisi d'étudier. En effet, même si la nécessité de l'insertion dans la communauté amène souvent une profonde insertion dans celle-ci avec des liens d'amitiés et de complicité parfois très forts, le chercheur ne doit pas oublier qu'il est différent, qu'il vient d'ailleurs et que la finalité de cette relation est la production de connaissances sur le groupe. En bref, l'empathie est nécessaire mais non suffisante. Et même lorsqu'il lui arrive de s'engager sur des questions identitaires, l'anthropologue ne doit pas oublier que l'altérité est à la base de sa démarch e(…). L'approche doit être souple et tout en mouvement aussi bien qu'en retours sur sa propre pratique.» Et c'est de ce regard défini par l'anthropologue britannique Jack Goody comme à la fois «critique et oblique» que se réclame celui de Rachid Bellil porteur d'une des plus nobles quêtes humaines.