Cette rencontre, la deuxième du genre, après celle de Maghnia en 1989, qui se tient depuis dimanche dernier à Tamanrasset, n'a pas manqué en effet de révéler au grand jour la fébrilité de la recherche nationale. Tamanrasset. De notre envoyé spécial Rares ont été durant ces trois derniers jours les communications de spécialistes algériens à porter sur de nouvelles découvertes, de nouvelles recherches. A quelques exceptions près. « On n'a fait que ressasser les anciens travaux », commente amèrement un préhistorien du Centre de recherches en préhistoire, anthropologie et histoire (CNRPH) d'Alger. Ni les tentatives habiles des préhistoriens, comme Slimane Hachi ou Mourad Betrouni, de remettre au « goût du jour » des recherches anciennes, ni la « fraîcheur » et la consistance des travaux réalisés par les chercheurs algériens établis à l'étranger comme le paléontologue Djilali Hadjouis du Laboratoire d'archéologie du Val-de-Marne (France) ou Mohamed Sahnouni de l'université de l'Indiana, ou ceux travaillant au pays comme Malika Hachid et Abdelkader Derradji, à qui s'ajoutent les « jeunes loups » de la recherche, Khaled Illoul de l'Université Paris X ou Sari Latifa du CNRPH n'ont pu faire oublier le devenir peu glorieux de la recherche, réduite à sa plus simple expression. Omniprésentes, les équipes de recherche étrangères composées de grands noms de la préhistoire maghrébine venues des quatre coins de l'Europe : Italie, France, Espagne, Belgique, Allemagne, ont donné la mesure de leur « totale hégémonie » sur la discipline par l'abondance des recherches présentées. Les « africanistes » dont certains étaient présents comme Marcel Otte, Ginette Aumassip, Colette Roubert, Guilaine Jean (absences remarquées de Jacques Tixier, Anriette Camps Fabreur, Michele Tauvron, Hélène Roche, Stridter et autres), secondés par la nouvelle génération de jeunes chercheurs, ne se sont pas fait prier pour consolider leur autorité scientifique en tranchant comme presque toujours à la faveur de leurs écoles respectives les grands débats qui agitent la préhistoire maghrébine. Tunisiens et Marocains ont également « étonné » par la valeur de leurs découvertes. Une équipe de fouille marocaine a mis au jour dans le site d'Ifri N'âamar (région de Rabat) une sépulture qui date de 14 000 ans enfouie dans un abri épipaléolithique présentant sur une paroi une « tache » de peinture intentionnelle qui doit dater d'au moins 11 000 ans. Ce qui fait d'elle la plus ancienne « peinture » en Afrique du Nord. Jusque-là, on ne découvrit que des peintures rupestres datant de 7000 ans. Les nouvelles découvertes marocaines Cette découverte rendue publique mardi par le préhistorien céramologue Mikdad Abdeslam n'a pas laissé insensible la préhistorienne et spécialiste en art rupestre, Malika Hachid, qui la qualifiera de « grande » découverte. La veille de cette conférence, Malika Hachid nous avouait son « admiration » pour la politique de recherche menée chez nos voisins. « On est à la traîne par rapport à ce qui se réalise en Tunisie et au Maroc en matière de recherche préhistorique », nous a-t-elle affirmé. Préhistorien et directeur de l'Office national du parc de l'Ahaggar, Farid Ighilahriz déplore le fait qu'il n'y ait « presque plus de production ». Un assèchement qui, selon lui, devient d'autant plus « incompréhensible » si on considère les gros moyens mis en œuvre par la tutelle. D'après Ighilahriz, « jamais ces moyens n'ont été aussi importants que depuis quelques années ». Pour relancer la recherche, suggère le chercheur, il faudrait multiplier les structures de recherches. « Les musées, les parcs nationaux doivent à titre d'exemple posséder leurs propres unités de recherches pluridisciplinaires. » « D'autant plus, ajoute-t-il, que la loi sur la recherche le permet. Mais cela doit être précédé d'une levée des contraintes liées notamment à l'indisponibilité des ressources humaines. » Beaucoup parmi les nouveaux diplômés de l'Institut d'archéologie se font recruter à des postes sans contact réel et efficace avec la recherche. C'est le cas de M. Yacine et de nombreux autres étudiants qui occupent le poste d'attaché de conservation. La préhistorienne et chercheur associé au CNRPH, Nagette Aïn Sebâa, est encore plus cinglante dans son réquisitoire. Dans une déclaration transmise à El Watan la veille de l'ouverture du colloque de Tamanrasset, Nagette — qui est également la présidente de l'Association pour la sauvegarde et la promotion du patrimoine archéologique — n'hésite pas crucifier le CNRPAH. Cette institution, indique-t-elle, à qui est dévolue la responsabilité de la recherche, de l'organisation de rencontres, des publications en préhistoire, ainsi que l'établissement de conventions avec des partenaires institutionnels en Algérie et à l'étranger ne « joue plus aucun rôle dans la recherche préhistorique actuelle ». Le centre de recherches préhistoriques, rappelle-t-elle, était une « locomotive » dans la connaissance de la préhistoire nord-africaine depuis sa création en 1952 et continuera à assumer sa fonction à l'indépendance sous la direction de Gabriel Camps, puis de Mouloud Mammeri, qui créera une nouvelle publication, Le bulletin du Crape, en plus de Lybica, déjà existante. Les nombreux chantiers de fouille ouverts dans les années 1970, regrette la préhistorienne, comme ceux de Sidi Saïd à Tipaza, Afalou Bou Rhummel à Béjaïa, N'Gaous à Batna, Tin Hanakaten au Tassili n'Ajjer, Bordj Tan Kena près d'Illizi, les études géomorphologiques de la région de Timimoun, stratigraphiques de la côte ouest d'Alger, « se sont refermés — en livrant certes des données fondamentales — mais incomplètes ». Pas de « continuité ni préparation de relève », note-t-elle. Les résultats des fouilles, déclare-t-elle, n'ont pas été pour la plupart publiés. La très spécialisée revue annuelle, Lybica, a cessé de paraître en 2001. Pour publier les résultats de leurs recherches, de nombreux chercheurs ont été amenés à solliciter les revues spécialisées françaises, notamment des publications thématiques comme Archeologia, Anthropologie et autres Human Revolution. Slimane Hachi, le directeur du CNRPAH, parie, lui, sur l'avenir pour redynamiser la recherche préhistorique. A propos de la structure qu'il dirige, il dira que malgré « des hauts et des bas, le CNRPAH n'a jamais cessé d'exister et de produire ». « Le CNRPAH, dit-il, est actuellement en plein redéploiement ». Des moyens financiers « honorables nous ont été alloués, ce qui permet de recruter des chercheurs et de financer des travaux de recherches partout dans le pays ». De par ses publications, collections et l'accumulation de savoir et d'expérience, souligne le préhistorien, le CNRPH s'était imposé comme un véritable « pionnier », une structure aux « avant-postes » de la recherche en préhistoire. Lybica, paraîtra, paraîtra pas ? La démarche actuellement suivie par la direction du centre pour lui redonner son éclat d'antan consiste, aux dires de M. Hachi, d'abord en la « localisation » des lieux et l'identification des thématiques « où nous pouvons prétendre si ce n'est à l'excellence, au moins à la bonne tenue ». Pour ce faire, dit-il, nous devons fédérer les chercheurs, et reprendre continuellement le travail sur le terrain afin de pouvoir remettre en cause les théories établies. C'est un des objectifs du colloque, estime Slimane Hachi, car le « Maghreb du point de vue de sa préhistoire et de son archéologie est un territoire totalement homogène ». Il s'agit d'un territoire qui est occupé depuis pratiquement deux millions d'années, fait-il remarquer. Une région qui « constitue un réservoir de patrimoine, de vestiges, de témoignages préhistoriques d'une importance mondiale » qui « exige des chercheurs d'Afrique du Nord la concertation régulière et un recentrage des problématiques abordées ». Cette approche « maghrébine » de la recherche préhistorique, explique l'organisateur du colloque, est « capitale » pour les pays du Maghreb qui entendent s'insérer efficacement dans la mondialisation. « Entrer dans le monde avec une préhistoire d'une telle richesse, d'une telle esthétique est une garantie d'existence, d'affirmation de notre personnalité et de notre profondeur historique », déclare le chercheur. Concernant la revue Lybica, celle-ci réapparaîtra prochainement. « Vers la fin de l'année 2007, sinon au plus tard les premiers mois de l'année prochaine », précise le directeur du CNRPAH. « Nous avons d'abord commencé, explique-t-il, par relancer les anciennes collections : documents, mémoires, études, travaux, créer de nouvelles collections. » La réapparition prochaine de Lybica — dont les numéros « frigo » seraient déjà constitués — se fera, rassure Slimane Hachi, sans risque d'interruption. Tâche qui n'est pas facile, d'après lui, car une revue du standard de Lybica exige une construction en amont. « Lybica est au bout de la chaîne. Il faut du terrain, des sujets, des équipes et de nouvelles théories et découvertes pour pouvoir l'alimenter régulièrement », conclut Hachi. Pour relancer la recherche, estime pour sa part le préhistorien Abdelkader Derradji, directeur du laboratoire de recherche de l'Institut d'archéologie d'Alger, il faudrait lever l'ensemble des contraintes qui handicapent et découragent les chercheurs et les étudiants passionnés d'archéologie et de préhistoire. Les moyens dont disposent les équipes de fouille seraient, à ses dires, des plus indigents. « Nous avons été amenés, absence de logistique oblige, à solliciter l'aide des zaouïas, du Croissant-Rouge, des collectivités locales, pour pouvoir financer nos fouilles alors que les structures de recherche existantes sont dotées de gros moyens financiers », témoigne le chercheur associé au CNRPAH. Il faudrait également, selon lui, revoir certaines dispositions de la loi sur la protection du patrimoine qui freinent les initiatives et bloquent les chercheurs surtout pour ce qui est en rapport avec l'analyse de laboratoire et la datation. Le transfert à l'étranger d'échantillons à dater relève presque de l'impossible, estime-t-il. Derradji estime que vu l'importance des découvertes réalisées en Algérie, il est plus que nécessaire de revoir tous les aspects liés à l'organisation de la recherche préhistorique. Certaines fouilles comme celle de Aïn Lahnèche à Sétif ont révélé des restes de faunes et d'industries qui remontent à plus de 1,8 million d'années (civilisation oldowayenne). Le site est actuellement considéré par les préhistoriens comme le plus ancien d'Afrique du Nord. La découverte qui prouve, d'après le préhistorien, l'existence d'un passage Afrique-Afrique du Nord vers l'Europe a été fortement récusée par les spécialistes de l'autre rive car elle remettait en cause leur théorie qui privilégie le passage de l'homme préhistorique dans l'autre sens. Les périodes les plus anciennes et l'origine de la première civilisation de l'homme sont, dit-il, au cœur d'enjeux internationaux majeurs.